CASINO
Martin Scorsese, 1995
LE COMMENTAIRE
Au Casino, on sait avec combien on y rentre. Impossible de savoir avec combien on va en ressortir. En général, moins. Celles et ceux qui jouent petit ne gagnent pas. C’est sûr. Celles et ceux qui jouent gros, gagnent gros – parfois. Ils perdent gros, plus souvent. Il ne suffit que d’un souffle pour que le dé tourne juste un petit peu trop (cf Match Point).
LE PITCH
Un bookmaker passe de l’ombre des salles de paris à la lumière des néons de Vegas.
LE RÉSUMÉ
Ace Rothstein (Robert de Niro) a un talent, celui d’être un bookmaker hors-pair qui a le don de ne jamais se tromper et de faire gagner beaucoup d’argent. Comme n’importe quel élément brillant, les parrains de la mafia décident logiquement de le promouvoir en le plaçant à la tête du Tangier’s, l’un des plus grands casinos du Nevada.
Tout fonctionne comme Ace le souhaite car il ne laisse rien au hasard, jusqu’au nombre de myrtilles dans les muffins qu’on sert dans le restaurant de son hôtel. Ace est le roi du contrôle.
Listen to me very carefully. There are three ways of doing things around here: the right way, the wrong way, and the way that I do it.
Tout allait bien jusqu’à ce que Nicky Santoro (Joe Pesci), décide de mettre son grain de sable dans la mécanique bien huilée d’Ace. Et surtout tout allait bien jusqu’à ce qu’Ace tombe amoureux de Ginger (Sharon Stone). Le tas de jetons va fondre comme neige au soleil (cf Rien ne va plus).
Ace tente de maîtriser l’amour en contrôlant Ginger. Le boomerang va lui revenir en pleine tête. Car on ne prive pas Ginger de sa liberté. Puisque Ace est trop occupé avec Ginger, il n’a plus le temps de surveiller Nicky qui devient rapidement incontrôlable. Il se retrouve sur la liste noire. Ace perd son poste car il refuse de graisser la pâte à un local. Les deux hommes finissent par attirer l’attention.
The little guy. He wouldn’t be fucking the Jew’s wife, would he?
Les boss n’aiment rien autant que l’argent qui coule à flot, sans faire de vague (cf Les Affranchis). Décision est prise de faire du ménage : des trous se multiplient dans le désert.
Les traditions se perdent (cf The Grand Budapest Hotel).
L’empire s’écroule.
Les casinos sont rasés.
Ace parvient à survivre au milieu de ce champs de ruines en retournant à l’état de bookmaker, cet atout qu’il aura su garder dans son jeu et qui le rend indispensable aux personnes qui prennent les décisions.
And that’s that.
L’EXPLICATION
Casino, c’est repartir comme on est venu.
On essaie désespérément de s’élever dans la vie. Construire un petit empire. Un petit tas de ruines. Ace est parti de très loin pour arriver au sommet. Il a enfin tout ce dont il a toujours rêvé. On lui a donné les clés de son paradis – pour peu qu’on considère Vegas comme un paradis.
Back home they would have put me in jail for what I’m doing. Here they are giving me awards.
Malgré tout son talent, il finit par tout perdre. Comme un tas de jetons qui disparait au fil des parties de Black Jack. Sa responsabilité est énorme car il entraîne un monde entier dans sa chute. Avec lui, c’est aussi toute une idée du gangstérisme qui disparaît (cf Les Affranchis). Les casinos d’antan ont été remplacés par des parcs d’attraction, les machines à laver se sont muées en pompes à fric, les gamblers ont cédé la place aux familles.
Today it looks like Disneyland.
Ace a relevé le défi du Tangier’s avec beaucoup de sérieux. Il a tout d’abord affiché une belle maîtrise. Sa rigueur lui a permis de mettre un peu d’organisation dans une entreprise chaotique.
Son erreur a été de croire qu’il pourrait garder la tête froide. Il a été lui-même rattrapé par la règle fondamentale : on joue, on perd.
The longer they play, the more they lose.
Dans la vie, tout est fait pour nous faire continuer à jouer. Vegas est monté à la tête d’un Ace gourmand, comme tout le monde. Son succès serait encore plus fort avec Ginger à son bras. Un nouveau challenge à relever. Il va se compliquer la tâche. Ce qui prouve qu’il est difficile de rester au sommet surtout quand on ne sait pas s’arrêter de grimper.
En vérité, il n’a pas d’autre choix. Au casino, on ne fait pas de tourisme. On n’est pas là pour regarder. C’est un piège. Il faut miser sans arrêt et surtout essayer de ne pas se tromper.
Ace joue serré et tente de maîtriser ce qui ne peut pas l’être. Les paramètres se multiplient et tout s’accélère. La situation va finir par lui échapper pour de bon. La vie finit toujours par s’imposer, quoi qu’il arrive. Ace va l’apprendre à ses dépens avec Ginger pour laquelle il est incapable de dominer ses propres sentiments. Ace mise tout sur Ginger et il perd.
Il arrive toujours un moment où l’on doit mettre un genou à terre. A vouloir jouer au jeu de la vie selon des règles trop strictes, Ace va finir par rompre comme le chêne de La Fontaine. Il se met lui-même hors-jeu. Comme le lui avait rappelé gentiment le County Commissioner, il n’est de toute façon qu’un invité.
En accordant sa confiance à Ginger il fait all-in au mauvais moment, avec la mauvaise personne. Erreur. Le mauvais pari.
When you love someone, you’ve got to trust them. There is no other way.
À qui peut-on faire confiance à Las Vegas, là où tout le monde doit surveiller tout le monde (cf Very Bad Trip). Accorder sa confiance à quelqu’un revient à miser ce qu’on a de plus important sur cette personne. Un risque énorme. Tapis sur la mauvaise couleur et tout est perdu. Ace se trompe d’abord avec Ginger, puis Nicky. Il se fait petit à petit lâcher par tout le monde, jusqu’aux sénateurs qu’il avait pourtant copieusement arrosés.
I was never your guest at the Tangier’s.
Et si toute cette histoire n’était qu’un mirage finalement, comme une ville au milieu du désert qui n’aurait pas lieu d’être ? Un retour à la case départ sans toucher les 20.000. Ashes to ashes. À vouloir s’approcher un peu trop près du soleil on se brûle les ailes.
Nicky s’est imaginé en Al Capone du Nevada. Dépassé par cet endroit, sa tête s’est mise à tourner tellement fort qu’il a enfreint tous les codes. Il s’est vu trop beau alors qu’il aurait du se rappeler de ne pas oublier là d’où l’on vient: bookmaker tu es, bookmaker tu resteras.
C’est ce qui va sauver la vie de Ace. Grâce à son talent initial qu’il a continué d’entretenir, Rothstein ne finit pas dans un trou. Contrairement à Nick qui ne causait que des problèmes, Ace peut toujours servir. Il reste utile à la production de richesse des nations, pour reprendre l’expression d’Adam Smith. C’est son assurance vie.
Au moins, il aura eu la chance de vivre la grande vie sans se griller. Comme la majorité des joueurs, il n’a pas gagné (cf La Baie des Anges).
Sa tête a tourné mais elle n’est pas tombée. Il peut s’en retourner à sa vie d’avant. Une main devant, une main derrière. Et c’est déjà pas mal.
je voulais savoir si en plus des destins personnels des personnages, vous voyez une morale particulière derrière cette histoire du casino à Las Vegas? A la fin les casinos corrompus sont remplacés par des casinos tout neufs tout propres bien gérés comme il faut. Faut-il y voir une signification particulière? sachant que dans la plupart des états américains le casino est interdit pour des raisons historiquement religieuses. J’ai lu par ailleurs qu’à Hawaï les machines à sous étaient interdites simplement parce qu’elles empêcheraient le tourisme local. Les gens s’enferment, ils vont plus à la plage. Est ce qu’on aurait acté qu’il n’y a vraiment rien d’autre à faire à Las Vegas? Est ce que cela justifierait de s’occuper par tous les moyens quitte à oublier certains principes puritains?
Merci Delphine.
Las Vegas a été pensé à l’origine comme un lieu de détente pour « divertir les travailleurs » qui oeuvraient sur les chantiers. Pas beaucoup d’autres occupations dans le désert, en dehors de creuser des trous pour y déposer des cadavres…
Selon moi, il y a effectivement une morale particulière, quasi religieuse, comme dans l’ensemble des films de Scorsese. Il ne s’agit pas des casinos mafieux remplacés par des parcs d’attraction. La morale est inspirée du destin de Ace qui sort des salles de paris lugubres pour atteindre les sommets de Vegas, puis connait la descentes aux enfers alors qu’on lui avait pourtant donné les clés du Paradis. Personne n’échappe à l grande lessive finale, à part lui. Ce qui prouve que cultiver un talent unique, qui permet de continuer à servir les Dieux, reste sans doute la meilleure des assurances vies.