RAISONS D’ÉTAT
Robert de Niro, 2006
LE COMMENTAIRE
Quand une femme ravissante se propose de danser, comment lui refuser cet honneur ? Sans rien savoir encore de ce qui va suivre… Sur quelle piste de danse s’engager ? Qui est notre partenaire ? Quelles sont ses intentions ? Suffit-il de s’en remettre à son instinct pour faire confiance à quelqu’un ? Peut-on seulement faire confiance ?
LE PITCH
Rentrer dans la CIA, pour ne plus la quitter.
LE RÉSUMÉ
Edward Wilson (Matt Damon), fils de bonne famille et étudiant à Yale est invité à rejoindre Skull & Bones, une société secrète qui produit les élites de la nation Américaine. Au cours de son séminaire d’intégration, il est demandé à Edward de partager un secret avec ses futurs frères. Il évoque le suicide de son père dont il fut le témoin malheureux.
Sur les bancs de la bibliothèque universitaire, le jeune Edward tombe amoureux de Laura (Tammy Blanchard), sourde et muette. Il se fait parallèlement mettre le grappin dessus par Margaret, alias Clover (Angeline Jolie) qui tombe enceinte, contraignant Edward au mariage. Le jour de ce mariage forcé, il est convoqué par le Général Sullivan (Robert de Niro), qui lui propose de rejoindre l’OSS (cf 117) en Europe.
No matter what anyone tells you, there’ll be no one you can really trust.
Edward fait son apprentissage de l’espionnage au contact des réseaux britanniques de Arch Cummings (Billy Crudup): les alliances, les traîtrises et les sacrifices… comme se débarrasser du professeur Fredericks (Michael Gambon), pas assez scrupuleux sur ses fréquentations.
De retour au pays, Edward rejoint Margaret, une femme qui ne l’aime pas, et Edward Jr. (Eddie Redmayne), un fils qui ne le connait pas.
Are you saving the world? Keeping us safe?
Edward rejoint la CIA où il met à profit ses talents de contre-espionnage contre l’URSS. Tandis qu’il se livre à un jeu d’intox avec son miroir soviétique, Ulysse (Oleg Stefan), son fils Edward Jr. rejoint les rangs des défenseurs de la nation lui-aussi, pour marcher sur les traces de ce père qui ne l’a jamais vraiment considéré.
Edward réalise plus tard, avec effroi, que son fils est le maillon faible. Manipulé à son insu par une agente Soviétique (Liya Kebede), Edward Junior a fait couler son père dans la baie des cochons.
Grâce aux dossiers qu’il accumule sur tout le monde, Edward parvient à tenir en respect ses adversaires pour sauver son fils. Le Maître des Secrets Richard Hayes (Lee Pace), en personne, lui propose la direction du service de contre-renseignement de la CIA.
The President’s asked me to become director and do a complete housecleaning at my discretion. I need someone I can trust.
Edward finit seul avec ses secrets lui-aussi. Il relit le testament dans lequel son père confesse qu’il a trahi la nation et où il exprime le souhait que son fils vive une vie plus épanouissante que la sienne.
I compromised myself. My honor, my family, my country. I am ashamed of myself. To my wife, I am sorry I’ve done this to you, to my son, I hope you will grow to be a courageous man. A good husband, a good father. I hope whatever you decide to do, you lead a good, full life, I hope whatever your dreams may be come true.
L’EXPLICATION
Raison d’Etat, c’est un sacerdoce.
On rentre dans la CIA comme on rentre en religion.
I remember a senator once asked me. When we talk about ‘CIA’ why we never use the word ‘the’ in front of it. And I asked him, do you put the word ‘the’ in front of ‘God’?
La CIA est une organisation qui cultive la discretion. De son côté, Edward a une passion pour le secret. La preuve : il ne divulgue la véritable histoire de son père à personne. Personne ne le connaît véritablement. Aucun hasard si Edward a été repéré pour faire partie de Skull & Bones lors de sa pièce de théâtre. Il se révèle excellent acteur, dissimulant jusqu’à sa propre personnalité. Personne ne le connaît vraiment, pas même sa femme ou encore moins son fils.
L’intérêt d’Edward pour Laura, la muette, n’est pas étonnant. Laura pourrait être une espionne. Tout l’inverse de Margaret, qui parle tout le temps – pour ne rien dire.
Margaret incarne malgré tout un autre visage de la CIA, avec l’emprise tentaculaire qu’elle exerce sur Edward. Ce choix s’est imposé à lui. L’agence l’a choisi. Il n’a pas pu y échapper. Pas d’autre option que d’épouser Margaret et de lui faire un enfant afin de sceller l’union pour l’éternité. Tous les deux font chambre à part et se trompent mutuellement, tout en restant ensemble. On ne quitte pas la CIA, sauf exception (cf Burn after reading). Rien de cette conversation ne doit sortir de cette pièce.
Whatever we discuss here doesn’t leave this room.
Rien, ni personne.
Edward qui semble être fait sur mesure pour cette institution. Il est le bon soldat qui abandonne son premier amour sur l’ordre du Général Sullivan.
I’d be glad to help in any way I can.
Les menottes que Margaret lui a passé n’en finiront pourtant pas de lui lacérer les poignets.L’un pour l’autre vont nourrir une haine réciproque au fil des années. Edward se résigne.
Le couple se fissure. Edward Jr, le fruit de leur union, incarne sa faiblesse. En effet, Junior va trahir son père lors de l’invasion de Cuba. Le père était un traître, le fils également. Les fantômes hantent Edward…
Il ne se plaint pas, continuant à danser. Impassible.
Il voit au delà de sa propre personne. Ainsi, il s’en remet corps et âme à sa nation, protégée par cette CIA qui le maltraite par ailleurs.
What do you have?
United States of America. The rest of you are just visiting.
Un monde où l’on doit constamment surveiller ses arrières, dans lequel il n’y a pas de place pour la poésie. On se bat pour créer la confiance, sans y croire une seconde. Le Dr Fredericks l’avoue:
I hope you’re lucky enough to meet someone you can trust.
Ce climat de suspicion permanente va pénétrer le quotidien d’Edward pour devenir sa vie. Le sénateur Russell souhaitait pourtant autre chose.
I see this as America’s eyes and ears, I don’t want it to become its heart and soul…
Il a échoué dans sa mission de protéger sa famille et faire en sorte que son fils se sente en sécurité (cf Le Silence de la Mer).
Encore une fois, peu importe.
Edward fait son devoir (cf L’exercice de l’état), avec honneur et loyauté, ou plutôt conviction. Tourmenté par le souvenir de ce père suicidé, Edward ne peut pas fuir ses responsabilités. Toujours pleinement conscient des enjeux qui s’imposent à lui: entre protéger son pays ou son fils, il choisira toujours son pays. Il a recours au mensonge Platonicien pour préserver l’État tout puissant (cf Leviathan).
Comme il le dit lui même, il n’est qu’un gardien. Tous les autres ne sont que de passage. Lui est seul, prisonnier de son enclos. Il n’est pas là pour être heureux.
merci beaucoup de m’avoir dirigé vers ce film. C’est une histoire qui marque, la tension est permanente et la chute terrible. Il parait qu’on peut se remettre de ses traumatismes les plus profonds, le cas d’Edward est un beau défi à toute forme de résilience. Comme j’ai du mal avec les histoires qui finissent mal, je ne peux m’empêcher de chercher une lueur d’espoir et voir dans la flamme de la fin le début d’une reconstruction. Apprendre à brûler son passé pour renaitre. Je suis curieuse d’avoir votre avis sur cette interprétation ou si vous pensez au contraire qu’Edward est condamné au malheur ?
Merci Delphine. On peut s’imaginer qu’Edward pense de son père et de son fils qu’ils étaient faibles. Edward a fait des erreurs, mais il n’a jamais trahi.
La traitrise se transmet peut-être, en sautant une génération?