MEMENTO

MEMENTO

Christopher Nolan, 2000

LE COMMENTAIRE

Aujourd’hui, le tatouage est devenu un instrument esthétique afin d’exprimer sa personnalité, ou combler son manque de personnalité. On a détourné l’usage premier du tatouage qui était de marquer le corps d’une information indélébile : inscrire un chiffre, un mot, ou un symbole sur la peau pour ne pas oublier (cf La piel che habito). Impossible de revenir en arrière. À l’heure du tout éphémère, on s’en moque pas mal. On peut effacer ses tatouages quand ils ne plaisent plus.

LE PITCH

Un homme s’accroche à la mémoire de l’assassinat de sa femme.

LE RÉSUMÉ

Suite à l’agression dont sa femme a été victime, Leonard Shelby (Guy Pearce) a perdu sa mémoire à court terme. Il sait qui il est mais ne peut plus se rappeler de ce qu’il a fait cinq minutes plus tôt. Pour continuer d’avancer dans cette obscurité, il se créée un ensemble de repères à base de photos polaroid ainsi qu’une série de tatouages sur le corps pour se rappeler pourquoi il existe désormais: Retrouver John G., l’assassin de sa femme.

Ces faits sont les seules bouées auxquelles il peut encore se raccrocher. De la même manière, les enquêteurs se basent sur des faits – pas sur des souvenirs.

Memories can be distorted. They are just an interpretation.

Leonard s’est écrit une énigme policière sur tout le corps. Chaque tatouage est un indice. Il finit par résoudre ce mystère en retrouvant son homme, qui n’est en réalité pas le bon.

Teddy (Joe Pantoliano) accompagne Leonard dans sa quête – en se servant de lui. Il lui fait une révélation troublante : Leonard a déjà retrouvé John G. et l’a tué. Simplement, il ne s’en rappelle plus. Il ne se rappelle plus qu’il a tué sa femme non plus – par erreur.

Face à cette vérité insoutenable, Leonard fait le choix de l’ignorance. Il laisse volontairement des trous dans son enquête pour pouvoir la mener encore et encore, faisant de Teddy, alias John Gammel, son nouveau John G.

Leonard change ses indices. Il brûle des photos et ajoute des tatouages pour réinitialiser son enquête avant d’oublier à nouveau.

mementomori

L’EXPLICATION

Memento, c’est un reformatage.

Leonard est un criminel d’autant plus parfait qu’il est persuadé d’être dans son bon droit (cf Oppenheimer). Il ne tue pas sans raison mais pour se venger, ce qui parait plus noble comme motif.

You’re not a killer! That’s why you’re so good at it.

Il n’en reste pas moins un criminel. Que se passe-t-il dans sa tête (cf Serenity, Identity) ?

Leonard vit dans son propre monde. Un monde dans lequel le réel n’a pas eu lieu (cf Spider, Moulin Rouge). Quand Teddy le sort de sa réalité pour le ramener à la réalité, il ne peut pas l’admettre. Il nie et veut qu’on le réinsère dans la matrice qu’il s’est construit lui-même (cf Matrix).

I want my fucking life back!

Sa vie a pourtant changé. Il se réfugie dans ce passé qu’il a décidé de dénaturer pour mieux continuer à vivre. Difficile d’admettre qu’on a tué sa propre femme par négligence (cf Lost Highway). D’exister sans s’inscrire dans une continuité et sans avoir le moindre souvenir de ce qu’on a entrepris il y a à peine quelques minutes. Plus rien n’aurait de sens.

Just because there are things I don’t remember, it does not make my actions meaningless.

Cet homme veut se faire justice lui-même. C’est à dire qu’il cherche sa vérité, plus qu’il ne cherche la vérité.

You don’t want the truth, you make up your own truth.

Il se berce de l’illusion de croire qu’il est sur la bonne route. Alors qu’en fait il ne cherche pas du tout au bon endroit. Peu importe. Il fait ce qui lui chante. D’ailleurs il ré-écrit ses notes quand et comme bon lui semble. Il truque les faits. Triche avec ses propres règles. Son John G. n’est pas le bon. Il fera le choix de l’oublier, par confort.

En refusant de vraiment chercher, il refuse d’accepter. Il ne veut pas assumer ce qu’il a fait, ni qui il est devenu (cf Blade Runner). Pas de risque qu’il devienne qui il est puisqu’il avance en marche arrière. En même temps, ce n’est pas si grave puisqu’il est en cavale. Finalement, tout va bien.

363

Tout ne tient finalement qu’au fil des souvenirs, qu’on peut ré-écrire à l’envie. Sans mémoire, plus rien ne compte (cf Eternal Sunshine of the Spotless Mind).

Quand il est confronté à la vérité, Leonard se demande à quoi bon. Il n’a que quelques minutes pour se décider avant d’oublier. Son choix est de continuer à vivre, même si cela doit faire de lui un monstre. Il ne s’en rappellera pas, donc encore une fois : peu importe. L’instinct de survie certainement (cf La Mort aux Trousses).

Teddy l’invite à faire le point.

Maybe you should start investigating yourself.

Certainement pas!

En fait, Leonard veut être comme tout le monde.

You’re lying to yourself to be happy. There’s nothing wrong with that. We all do that! Who cares if there are little details we don’t remember…

Alors il fait semblant de comprendre ou de reconnaître. Et comme les coupables, ce n’est jamais de sa faute. Comme les coupables, il est aussi une victime volontaire. Il oublie. Son espérance de vie n’est plus très longue car au fur et à mesure des enquêtes, il n’y aura bientôt plus de place sur son corps pour d’autres tatouages.

Sa vie ne se résume de toute façon qu’à des parenthèses de cinq minutes. Sans projet, il n’a rien devant lui que son passé. Il fonctionne à la mission. Freelancer. Chacun est un Leonard en puissance, agissant sur le court-terme et avançant à coups de mises à jour. Rien ne reste.

Nothing ever sticks.

Le pauvre Leonard n’est quand même ni plus ni moins devenu qu’un tueur en série qui se re-programme automatiquement dès qu’il en a fini avec sa proie. Comme le lui dit Teddy, il ne sait plus qui il est. Leonard Shelby est celui qu’il était, pas celui qu’il est aujourd’hui. Non seulement il refuse d’accepter sa nouvelle condition, mais il refuse de mourir.

Memento, mais pas memento moris.

I have to believe in a world outside my own mind, I have to believe that my actions still have meaning, even if I can’t remember them, I have to believe that when my eyes are closed, the world is still there. Do I believe the world is still there? Is it still out there? …Yeah! We all need mirrors to remember who we are. I’m no different.

Impossible pour lui d’accepter cette réalité. Il préfère le rôle du vengeur masqué. Chaque jour, il se relance dans sa mission (cf Un jour sans fin), jusqu’à ce qu’il s’écrive une nouvelle mission.

On peut décider de se mentir pour être heureux. Le monde que nous imaginons ne disparait pas sous prétexte que nous fermons les yeux.

The world doesn’t just disappear when you close your eyes.

Quelle importance si l’on oublie ?

Qu’est-ce que le bonheur sinon une représentation que l’on s’en fait ?

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

28 commentaires

  • Bravo pour cette analyse intelligente.
    J’en conclu que le tatouage sur son cœur que l’on voit dans la brève image où il est avec sa femme n’est qu’un faut souvenir…

  • Les parties en noir et blanc ne correspondent pas au début de l’histoire. Le vrai début, c’est l’image de Teddy qui vient voir Leonard à l’asile. Teddy, sans doute animé par l’idée de trouver un homme de main facile à manipuler, se rend dans un asile. Il découvre le cas de Leonard, un homme qui a tué sa femme (diabétique) par erreur (il souffrait déjà de troubles de la mémoire) en lui injectant trop d’insuline. Teddy le sort de l’asile, lui indique un hôtel en prenant soin de lui confier un dossier écrit, une fausse enquête montée de toutes pièces par Teddy, inventant l’histoire d’un cambriolage au cours duquel un criminel aurait violé puis tué sa femme. Ce faux motif sera perçu par Léonard comme une raison de continuer à vivre : retrouver le l’assassin de sa femme. Teddy a donc laissé Léonard dans une chambre d’hôtel avec la fausse enquête. Il l’appelle un peu plus tard en se faisant passer pour un inspecteur afin de vérifier que Léonard s’est bien approprié le contenu de l’enquête. Ensuite, Teddy commence à se servir de lui pour liquider un dealer (Jimmy) afin de récupérer une grosse somme d’argent. Il lui fait croire que Jimmy est l’assassin de sa femme. Après avoir tué Jimmy, Léonard s’empare de la veste de sa victime. Il trouve dans une des poches un dessous de verre comportant un message et l’adresse d’un bar. Celui où travaille Natalie, la petite amie de Jimmy. Il s’y rend. Natalie se rend compte que Leonard porte le costume de son petit ami. Elle réalise aussi qu’il est victime d’un rouble de mémoire. Elle décide donc d’en profiter. Elle va utiliser Leonard pour tuer Tod, un autre dealer qui voulait récupérer l’argent de Jimmy. Elle comprend aussi que Jimmy a été tué par Leonard, et que Léonard a été utilisé par Teddy. Elle décide donc s’utiliser à son tour le plan inventé par Teddy et convainc Leonard que Teddy est l’assassin de sa femme. Leonard finit donc par tuer Teddy, ce petit malfrat, qui a été pris à son propre piège.

    • Merci Bouchard. C’est une autre lecture à travers laquelle Leonard est instrumentalisé par Teddy d’abord, puis par Natalie ensuite. Il est une victime, transformée en tueur. L’explication en serait sensiblement différente mais tournerait toujours autour du devoir de mémoire. En l’occurrence, l’absence de mémoire montre à quel point nous nous rendons fragiles et « instrumentalisables » par le premier esprit malentionné venu.

  • « Leonard est loin d’être la victime de l’histoire, il est le criminel. Il est un criminel d’autant plus parfait qu’il est persuadé d’être dans son bon droit. Il est même sympathique et touchant. Comme quoi il faut toujours se méfier des handicapés. »

    hum moui enfin d’une façon plus large ça renvoi au naturel de l’Homme de fuir la culpabilité, la responsabilité. son handicap n’est qu’un prétexte pour le déroulement du scenar

    • Merci David. Effectivement, il fuit sa culpabilité. Il se re-conditionne pour mieux éviter d’assumer la réalité (il n’a plus de mémoire immédiate, il a tué sa femme) et ses conséquences. Il s’abrite derrière son handicap pour tuer le temps (et des John G), ce qui devient sa seule raison de vivre, le cuistre. On plonge en plein dans la psychologie d’un pervers narcissique.

  • Bonjour à tous,

    pour ma part je vois léonard comme une véritable victime de teddy…

    il prend la décision de préparer la chasse à teddy après avoir eu connaissance qu’il se servait de lui… et comme il ne peut le tuer de sang froid ( il a tenté de le faire…) il met tout en place pour effectivement arriver à le tuer grâce a son désir de vengeance envers le soi disant meurtrier de sa femme.
    Je crois bel et bien que sa femme a été violée et que teddy s’est occupé de son affaire avant de se servir de lui.
    Le fait de tuer Teddy lui permettra de croire qu’il est arrivé à ses fins (il dit à natalie qu’il en fera une photo et certainement un autre tatouage après avoir tué john g…..) cela prouve bien qu’après avoir tué teddy , plus rien ne l’incitera à continuer sa chasse au meurtrier …. plus personne n’alimentera son enquête … Chose que faisait teddy pour son propre intérêt…. Et cela , léonard le sait au moment ou il met son plan en place… Il le fait pour stopper teddy pour qu’il arrête de l’utiliser à des fins criminelles et pour soulager en même temps sa désir de vengeance… ce n’est donc pas du tout un tueur en série … pour moi après teddy sa quête va s’arrêter….

    Le seul truc troublant pour moi c’est le tatouage I VE DONE IT ( Je l’ai fait) dans le plan où il est avec sa femme… Sa correspond à l’histoire de teddy sur le fait que sa femme était vivante quand il a réussi a se venger grâce à l’aide de teddy… puis sa femme est morte par overdose et teddy à continuer à se servir de léonard contre son gré.. Léonard étant de bonne foi et ne cherchant qu’a se venger en croyant à chaque fois tué le meurtrier de sa femme….. car il s’est effectivement auto-conditionné sur ce meurtre pour surement s’expliquer que sa femme n’est plus là… dans tout les cas il ne pourrait se souvenir de l’avoir tué , car s’est après son traumatisme….

    Toutefois s’il existé on devrait le voir tout au long du film….

    ou alors ce tatouage est une erreur … mais ça m’étonnerait… il faut peut être y voir un aspect psychologique….

    voilà une partie de mon analyse…
    ciao à tous….

    • Merci Pierrot pour cette explication. Dans votre idée, Memento traiterait donc plutôt d’un homme (Leonard) qui parvient à se défaire de l’influence d’un guru (Teddy) en reprenant la main sur chaque pièce du puzzle pour le démonter et refaire l’histoire. C’est reprendre sa vie en main après avoir souffert de l’influence sournoise (Teddy change de nom, il reste dans l’ombre) d’une personne malfaisante. Espérons pour lui qu’il trouve la paix au bout du tunnel, à défaut de trouver la lumière…

  • C’est vrai. En 1959 déjà, personne ne s’était méfié de Jean Marais dans le Bossu. C’était il y a presque 60 ans et on n’a toujours rien appris depuis.

  • A ce que le public peut comprendre c’est que les conclusions sont multiples, le flic ripoux ne vaut pas plus que trinity (je la connais sous ce nom). Oui en effet le dernier polaroid est un mensonge suit à son ambition, il n’est pas certain de ce qu’il avance et donc ce film est bien un drame. Lenny/Leonard est piégé par son handicap. Point

    • Leonard serait donc « victime » de son handicap, malgré son monologue?

  • S’il y a bien un film où j’avais besoin d’une explication car je n’avais rien compris, c’est bien celui-là
    merci beaucoup en tout cas car c’est frustrant de voir un film qu’on voudrait tant aimer mais sans y parvenir (comme dans la vie, quoi)

    • Merci Jinga. Il faut vous dire que chaque labyrinthe a au moins une sortie.

  • SPIDER • Explication de Film

Commentez ou partagez votre explication

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.