IMITATION GAME

Morten Tyldum, 2014

LE COMMENTAIRE

Parfois, les hommes agissent un peu rapidement. Ils prennent des décisions avant de demander, par impatience ou par impolitesse. Tous les hommes ne sont pas faits de la même étoffe cependant. Certains pensent – parfois trop. N’arrivant pas à débrancher leurs méninges qui continuent de tourner en permanence, créant un risque de surchauffe.

LE PITCH

Un mathématicien génial et son équipe de cryptographes tentent de déchiffrer Enigma.

LE RÉSUMÉ

La deuxième guerre mondiale fait rage. Les Anglais font le dos rond dans les couloirs du métro. L’Europe est envahie. Londres est bombardée. Les Allemands semblent inarrêtables. Médusés, les services de renseignement interceptent chaque jour des dizaines de câbles nazis qu’ils sont incapables de comprendre, et pas juste parce qu’ils sont écrits en Allemand.

Alan Turing (Benedict Cumberbatch) est appelé à la rescousse pour trouver une solution. Moyennant finances, il va concevoir un système pour contrer la machine de guerre Allemande Enigma. Joan Clarke (Keira Knightley) est un membre influent de ce petit groupe. Ses parents lui ordonnent de revenir à la maison. Alan ne peut se le permettre. Il décide donc de mettre son homosexualité de côté, le temps de se marier avec Joan et lui donner une bonne raison de poursuivre la mission. Bien lui en prendra car Joan lui soufflera plus tard l’idée permettant de décoder Enigma.

Dans les années 50, Turing finit par laisser éclater son homosexualité au grand jour et se voit condamné pour atteinte à la pudeur. Il a souffert toute sa vie de ne pas avoir la chance d’être lui-même. Joan essaie de le réconforter comme elle le peut.

Now, if you wish you could have been normal… I can promise you I do not. The world is an infinitely better place precisely because you weren’t.

Les mots de Joan font une belle jambe à Turing qui a du accepter la castration chimique afin d’éviter la prison. Il se suicidera un an plus tard.

Les experts ont estimé que les travaux de Turing ont permis d’écourter le conflit de quelques années, sauvant ainsi de précieuses vies humaines. Et ses travaux ont donné naissance à ce qu’on appelait il y a encore quelques années l’ordinateur.

His machine was never perfected, though it generated a whole field of research into what became known as ‘Turing Machines’. Today we call them ‘computers’.

L’EXPLICATION

Imitation Game, c’est une leçon d’ironie très anglaise.

C’est peut-être parce qu’il a été victime d’insinuations homophobes et parce qu’il a du cacher presque toute sa vie ses orientations sexuelles qu’Alan Turing est devenu un expert en décodage (cf Code Inconnu).

When people talk to each other they never say what they mean.

Il n’empêche que la Grande-Bretagne est décidément le pays de l’ironie. Les Anglais ont remercié l’un de leurs héros en lui coupant les testicules. Cela ne se passe pas de cette manière aux États-Unis (cf Sully). C’était peut-être au siècle dernier, ce n’était quand même pas il y a si longtemps. Et c’était quand même la Grande-Bretagne.

À l’époque on ne rigolait vraiment pas avec les vilains petits canards. Un peu à la façon dont les cannibales offraient le choix au prisonnier entre n’golo n’golo ou la mort, les Anglais à l’époque laissaient gentiment les homosexuels choisir entre la peste – la prison – ou le choléra – la pilule qui fait mal.

Après avoir résisté à l’envahisseur teuton mais incapables de gagner la guerre sans l’aide des Ricains, les Anglais ne pouvaient pas, oh Grand Dieu, prendre le risque de laisser quelques pédés (cf Pédale douce) contaminer tout le Royaume. La Reine ne l’aurait pas supporté.

Alan Turing est pourtant la figure de l’anti-héros. Contre l’ogre Nazi, on n’attend rien de moins qu’Indiana Jones, Brad Pitt (cf Inglourious Basterds), Jean Dujardin (cf OSS117) ou à la limite un agent secret au service de sa Majesté (cf Goldfinger). On n’imagine pas un mathématicien un peu autiste (cf Rain Man) et complètement homosexuel renverser cette machine de guerre!

Et pourtant…

Sometimes it’s the people who no one imagines anything of who do the thing that no one can imagine.

L’ironie veut que les Anglais associent les homosexuels à des machines. Alan Turing ne baptise-t-il pas la sienne Christopher en mémoire de son camarade de classe – qui était plus qu’un simple camarade ? Alors ces homosexuels que Michel Serrault dans sa Cage a érigé au rang de folles tordues, ces gay si sensibles et fragiles (cf Philadelphia, L’inconnu du lac, Brokeback Mountain) et bien ces gay en question ne seraient en fait rien d’autre que de redoutables machines à déchiffrer les mots croisés les plus complexes, sans faire preuve de la moindre émotion.

On parle bien de machines car Turing est clairement l’inventeur de l’ordinateur. Et voilà une autre ironie! Turing l’inventeur du premier ordinateur au nez et à la barbe d’IBM, qui a fourni des machines aux Nazis, mais aussi des Chinois. Eux qui ont tout inventé mille ans avant tout le monde, dont les feux d’artifice, se sont fait voler la politesse par un petit Anglais de rien du tout. C’était aussi des années avant Steve Jobs. Et personne ne le sait. Personne ne veut le savoir.

C’est précisément pour toutes ces raisons que les gays font peur. Trop différents, trop talentueux (cf Mr Ripley). Les autorités cherchent à les enfermer loin du monde, où ils ne risqueront pas de nous nuire – ou de nous tenter. Y compris ceux qui sauvent le monde!

L’ironie se trouve enfin dans le fait que les homosexuels qui pensent aujourd’hui avoir fait suffisamment de chemin juridique pour se suffire à eux-mêmes à travers le mariage ou le droit à l’adoption restent malgré tout à la merci des femmes. C’est Joan Clarke qui permet à Turing de trouver la solution. Sans femme, point de salut.

Un dernier pied de nez peut-être. Le tyran Adolphe Hitler aura vu ses plans diaboliques déjoués par ce qu’il appelait lui-même un dégénéré.

L’histoire aurait été encore plus belle encore si Turing avait été homosexuel ET juif. La cerise sur le babka.