LA LOI DU MARCHÉ

Stéphane Brizé, 2015

LE COMMENTAIRE

L’école française est en crise. Elle pousse ses enfants vers l’Université qui les recrache à Pôle Emploi. Quand on sait que l’ascenseur social est officiellement en panne, et que le service d’entretien est en grève, peut-on encore reprocher aux Marseillais de prendre les escaliers de la télé-réalité pour s’en sortir ?

LE PITCH

Un chômeur retrouve enfin un travail comme agent de sécurité.

LE RÉSUMÉ

Thierry (Vincent Lindon) cravache dur pour retrouver du travail. Pas facile quand on a vingt ans et encore moins quand on en a trente de plus. Il cravache parce qu’il a une femme, un fils handicapé et puis surtout des échéances à rembourser chaque mois. Il fait de son mieux, ce qui n’est pas assez : Thierry se fait trimbaler par Pôle Emploi.

Il se prend des murs en entretien alors qu’il est pourtant sur-qualifié. Se fait juger par les autres en formation sous prétexte qu’il ne se tient pas droit. Doit se résigner face à un couple d’acheteurs qui essaient de lui gratter une centaine d’euros sur son camping car.

Et sa banquière lui met la fessée tout en essayant de lui refourguer une assurance vie, une dépense « utile » au cas où la situation deviendrait encore plus ‘précaire’. Car le pire est toujours à venir.

Thierry trouve enfin du travail dans un supermarché où on lui demande de surveiller les voleurs. C’est à dire tout le monde (cf Encore heureux), même les couples d’amoureux. Parmi les voleurs potentiels, il peut aussi y avoir les employé·es. Les employé·es qui volent comptent triple en ces périodes de crise, car tous les motifs sont bons pour dégraisser (cf Un autre monde).

Thierry en coince quelques uns, puis surprend madame Anselmi en train de piquer des bons de réduction. Elle se suicide après vingt ans de bons et loyaux services. Thierry coince une seconde caissière. Après tout, il ne fait que son travail.

Dégoûté, il rend son tablier.

L’EXPLICATION

La Loi du Marché, c’est une violence d’un nouveau genre.

Ne nous y trompons pas, il est préférable d’aller faire ses courses chez Mammouth que de devoir le chasser. En cela, la Loi du Marché ne peut pas être pire que la Loi de la Jungle. Elle est cependant plus sournoise. Car au moins, les hommes pré-historiques conservaient un peu de dignité.

Il y a en effet quelque chose de profondément humiliant dans le fait de se dire que nous sommes devenus du consommable (cf Matrix).

Deux points de vue:

Les plus libéraux se diront sûrement qu’il est de la responsabilité de chacun de se bouger les fesses pour éviter de mal tourner. Pôle Emploi est une fatalité pour celles et ceux qui ne pensent qu’à toucher les allocations chômage pour partir en vacances. Car quand on veut, on peut! Et puis impossible n’est pas Français.

Précisons que beaucoup de ces libéraux n’ont pas vraiment à se poser la question des moyens de leurs ambitions et qu’ils n’ont peut-être même jamais eu à mettre un orteil dans une agence pour l’emploi. Ces juges se demandent aussi sûrement comment le fils handicapé de Thierry peut suivre la filière générale. C’est en partie pour cette raison qu’ils préfèrent l’école privée.

Les autres se diront que le système est pourri. Que la vie est vraiment injuste. Ils déploreront que le monde soit devenu aussi inhumain. Le directeur du supermarché et son directeur des RH seront perçus comme des salauds. Pôle Emploi sera considéré comme rempli d’incompétents. La chanson pour le départ de Gisèle sera perçue comme émouvante – alors que si on avait vu la même scène à la télé on aurait tous eu envie de changer de chaîne.

On ne saurait que trop dire à ces gens d’aller au bout de leur logique en menant enfin cette révolution qui nous pend au nez depuis si longtemps (cf les Misérables, Un pays qui se tient sage).

Oui mais voilà, personne n’a envie de retourner chasser le mammouth. Alors on préfère continuer à trimer la tête basse sous les coups de fouet combinés des recruteurs et des banquiers.

Dans cette Gaule, Thierry est une sorte d’Asterix à court de potion magique. Sa moustache est molle.

On peut négocier ?

Non, on ne peut pas.

On n’a même pas vraiment envie de négocier.

Il s’agit d’un monde dans lequel on ne peut plus faire confiance à personne: ni aux enseignants dont c’est quand même le boulot d’accompagner les gamins (cf Entre les murs) ni bien sûr aux conseillers Pôle Emploi, surtout pas aux banquiers ou aux autres vautours du bon coin qui essaient toujours de vous gratter 100 euros. Ni même à ces vicieuses de caissières.

La loi du Marché est résumée par la formule du directeur du supermarché lorsqu’il évoque un problème de confiance. Et le DRH de surenchérir:

Personne ici n’est responsable de ce qui s’est passé.

Tout le monde a démissionné dans ce système du chacun pour soi. Thierry a traversé ‘une rivière de merde’ (cf Les Évadés) pour gagner sa liberté et s’apercevoir qu’il est peut-être du mauvais côté de la barrière. C’est la loi du marché de la jungle finalement car cette société retourne tout le monde les uns contre les autres.

Thierry commence par insulter le conseiller Pôle Emploi comme du poisson pourri alors que ce dernier essaie aussi certainement de faire de son mieux. Et lui aussi n’est sûrement que du consommable (cf Rollerball). Puis il se retrouve à confronter des voleurs à la tire parfois simplement désespérés et incapables de payer les quinze euros de la viande qu’ils ont mis dans leur manteau.

Quand on sait la nécessité vitale de faire rentrer de l’argent, il faut bien du courage pour rendre son tablier, prendre ses clés de voiture et quitter ce putain de parking. Ne démissionne-t-il pas un peu lui aussi quand même ? L’amour est-il plus dans le pré que dans les rayons ? Ne doit-on pas reprocher à Thierry, le bon con, de se tromper de bataille ? Ou doit-on l’admirer pour son courage, lui qui choisit de rester fidèle à ses principes humains ?

Thierry s’en va-t-il pour de bon, ou reviendra-t-il le lendemain ?

Car de loi il n’en existe pour l’instant qu’une. À ce monde, personne n’a encore réussi à échapper.