MESRINE, L’INSTINCT DE MORT
Jean-François Richet, 2008
LE COMMENTAIRE
L’examen du permis de conduire fait partie des moments fondateurs qui permettent à un petit garçon de savoir s’il peut devenir un homme. Une autorité bienveillante, assise à l’arrière de la voiture, évalue les aptitudes du jeune homme pour savoir s’il a l’étoffe. Quand l’autorité bienveillante est un gros mafieux libidineux, on regarde plus la capacité à flirter avec les limites de vitesse que la manière de se garer en épi. Le jeune pilote fait peut-être fausse route, au moins il a le volant.
LE PITCH
Un esprit rebel revient d’Algérie.
LE RÉSUMÉ
Jacques Mesrine (Vincent Cassel) rentre à Paris après en avoir terminé avec les horreurs de son service.
Ça va l’Algérie, tu la laisses où elle est l’Algérie.
Son père (Michel Duchaussoy) est tout content de lui avoir trouvé un travail chez Darquer que Jacques décline poliment – il ne fait pas dans la dentelle. Il préfère suivre son pote Paul (Gilles Lellouche) sur les chemins du travail au noir et des braquages en tout genre. C’est ainsi que Jacques fait connaissance de Guido (Gérard Depardieu), l’une des figures du milieu, également lié à l’O.A.S.
Jacques part pour l’Espagne où il va rencontrer sa première femme Sofia (Elena Anaya). De retour en France il se fait arrêter par la police et purge sa première peine de prison. À sa sortie, il tentera de se ranger.
Je voudrais remettre les compteurs à zéro.
Il a du mal à ne pas succomber aux sirènes du banditisme, scellant de manière brutale la fin de sa première relation.
Entre mes amis et toi je choisirai toujours mes amis.
Jacques abandonne femme et enfants. Il fait la rencontre de Jeanne (Cécile de France) avec laquelle il fait quelques beaux casses. Ce couple sulfureux, sorte de Bonnie & Clyde à la Française, se met pourtant tout le milieu à dos.
Jacques se sort miraculeusement d’une tentative d’assassinat et décide de partir au Canada avec Jeanne. Là-bas ils kidnapperont un milliardaire et fuiront aux États-Unis avec la rançon. Finalement rattrapé puis extradé vers le Canada, Jacques atterrit dans les QHS.
Comme une bête sauvage mise en cage, il cherche immédiatement un moyen de s’enfuir. Il y parvient avec son pote Jean-Paul Mercier (Roy Dupuis) et reviendra même sur les lieux de son évasion pour libérer d’autres prisonniers, histoire de faire la nique au directeur.
Jeanne l’a plaqué. Il fait désormais cavalier seul.
L’EXPLICATION
L’instinct de mort, c’est le choix d’une vie.
On pourrait penser comme Freud que Jacques choisit le gangsterisme par compulsion. Cette voie va lui permettre de reproduire les crimes auxquels il a assisté en Algérie. C’est la pulsion de mort. Jacques au contraire va faire le choix de la liberté.
Lorsqu’il revient à la case départ (cf Tanguy), Jacques a très vite la possibilité de se réinsérer tranquillement dans la vie civile avec un travail bien propre dans une entreprise respectable (cf The Yards). Cela ne l’intéresse pas. Il n’achète pas le modèle que veut lui vendre sa mère (Myriam Boyer).
Un homme digne de ce nom gagne sa vie honnêtement, il fonde une famille et il est respecté des voisins.
Ce que pensent les voisins, Jacques s’en fout. Au contraire, ce qui compte pour lui est sa propre estime de lui-même. Il a besoin d’être capable de se regarder dans une glace. Et donc il ne veut surtout pas emboîter le pas de son père à qui il reproche d’avoir travaillé avec les Allemands pendant la guerre (cf Uranus). Sans doute aurait-il préféré être le fils de Jean Moulin.
Jacques il arrive plus à supporter que son père se comporte comme une serpillière.
Le père de Jacques a abdiqué face au monde. Il a suivi les règles, comme tout le monde. Et donc comme les autres, il est devenu parfaitement invisible. Jacques lui veut vivre. Comme Vito Corleone (cf Le Parrain), il ne veut pas dépendre de ceux qui tirent les ficelles. Il veut être quelqu’un. Craignant la mort par dessus tout.
Pour lui, la mort représente l’immobilisme, la routine ou la prison. Jacques ne veut pas se laisser enfermer, que ce soit derrière un bureau ou des barreaux.
Dehors ou mort!
Jacques partage la vision du monde de Guido:
Des règles ? Mais quelles règles ? Après à chacun ses principes. À chacun sa morale.
Pas de règle. Il ne s’agit pas d’un monde complètement anarchique puisque chacun fonctionne selon son propre code déontologique. On reste quand même très proche de la jungle. Dans cette jungle, seuls les plus sauvages s’en sortent. Et personne ne décide pour les sauvages. Jacques ne s’est pas laissé aboyer des ordres en Algérie (cf Qu’un sang impur), c’est pas pour commencer aujourd’hui. Il est trop soucieux de sa liberté. Personne ne décide à sa place.
Jacques pense que chacun doit prendre ses responsabilités. Encore une raison pour laquelle il est en pétard contre son père. L’occupation n’était pas une excuse, au contraire. C’était le moment parfait pour ne pas se coucher. Jacques est un choc générationnel, la France d’après-guerre veut se renouveler.
J’ai jamais travaillé pour les Allemands! C’était le service du travail obligatoire.
Mais ‘obligatoire’ ça existe pas!
La jungle n’est pas de tout repos. Jacques sait parfaitement où il met les pieds. Il sait qu’il n’a pas choisi la facilité.
Dans notre business, y’a rien à gagner.
Ce qui permet à Jacques Mesrine de survivre, c’est qu’il est bien plus qu’un gangster. Il est un romantique épris de liberté. Fougueux, increvable car il croit en lui (cf Mission : Impossible).
Personne me tue tant que j’ai pas décidé.
Quelque part, Jacques a préfiguré une générations d’entrepreneurs français casse-cou et qui n’hésite pas à traverser l’Atlantique pour réussir (cf Bernard Tapie l’Affranchi). Il représente une forme d’ambition nouvelle pour l’époque. Le regard à l’horizon. Il n’a pas de limite. Pour lui tout est possible. Il n’est ni plus ni moins qu’une réincarnation de Napoléon qui disait qu’impossible n’était pas français.
Tu n’iras pas loin.
Je vais où je veux.
C’est pour cela qu’on l’aime. Imprévisible, cabotin, vaillant et conquérant. Jacques Mesrine souffle sur les braises de la glorieuse France. Il est parvenu à s’extirper de la médiocrité ambiante. Un hors la loi convaincu que rien n’est décidé à l’avance. Il a plus que l’instinct de survie, il a l’instinct de mort.
La volonté de vivre en grand. Qu’on l’aime ou qu’on le redoute, on ne peut que le respecter. Il est ce cancre que l’on préfèrera toujours au premier de la classe (cf les 400 coups).
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