JUSTE LA FIN DU MONDE

JUSTE LA FIN DU MONDE

Xavier Dolan, 2016

LE COMMENTAIRE

À bord d’un bateau qui coule, certains hurlent et gesticulent. Refusant de s’enfoncer gentiment dans cette nuit (cf Interstellar). D’autres au contraire ne disent rien. Ils constatent les dégâts et s’apprêtent à partir dans la dignité (cf Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare).

LE PITCH

Un jeune homme retourne voir sa famille après douze ans de cartes postales.

LE RÉSUMÉ

Cela faisait quelques années que Louis (Gaspard Ulliel) n’avait pas revu sa mère Martine (Nathalie Baye) et son frère Antoine (Vincent Cassel). Il profite de l’occasion pour faire la connaissance de sa belle-sœur Catherine (Marion Cotillard) qu’il n’avait pas encore rencontrée. Et il retrouve sa sœur Suzanne (Léa Seydoux) qu’il ne connaît finalement que très peu.

Louis n’a pas fait le voyage pour rien.

Faire le voyage, pour annoncer… ma mort.

À peine rentré, Louis est assailli par Suzanne, trop contente de le revoir. Il est snobé par Antoine qui lui en veut d’être parti. Essaie de rattraper le temps perdu avec Catherine qui remarque que Louis semble absent. Elle est la première à comprendre la raison de son retour. Louis écoute sa mère parler pendant des heures de ses souvenirs, ce dont Antoine est incapable.

C’est quoi ce truc de toujours raconter des histoires qu’on connaît déjà!?

Louis ne peut pas en placer une. Il est bloqué.

J’ai peur d’eux.

Il passe un peu de temps avec Suzanne qui regrette de ne pas l’avoir connu davantage. Elle envie son courage, elle qui ne réussit par à quitter ce trou perdu. Il n’arrive toujours pas à parler.

Martine est amère. Elle ne lui en veut pourtant pas.

Tu penses qu’on ne t’aime pas, qu’on ne te comprend pas. T’as raison, je ne te comprends pas. Mais je t’aime.

Elle lui fait quand même la leçon, comme si elle savait. Il n’a rien à répondre.

Louis n’échappe pas non plus aux engueulades entre Suzanne et Antoine. Il profite d’un moment de répit pour s’isoler et s’offrir un souvenir, celui de Pierre Jolicoeur son amant de jeunesse.

Louis va ensuite affronter Antoine dans l’intimité caniculaire de sa voiture. Il essaie de s’expliquer. Antoine ne lui en laisse pas la possibilité.

T’es juste là et tu vis ta putain de vie et t’arrête de nous faire chier avec ça merde!

Antoine l’achève en lui révélant sèchement la disparition de Pierre.

Dans cette fournaise, Louis essaie de trouver le moment opportun. Quand il se lance enfin, Antoine abrège les débats et se propose d’emmener Louis à l’aéroport, créant un cataclysme familial. Tout le monde s’embrouille. Antoine reproche à sa famille d’être contre lui et menace Louis. Martine s’excuse auprès de Louis :

On sera mieux préparé la prochaine fois.

Il n’y aura pas de prochaine fois.

Tout le monde abandonne Louis. Il se retourne vers le coucou qui annonce sa dernière heure. Il est temps de partir. C’est fini. Violent.

L’EXPLICATION

Juste la fin du monde, c’est une épitaphe.

Celle de la famille dont on vante les louanges, qui n’arrive pas à ravaler sa rancœur et dépasser ses frustrations. Chacun ne pense qu’à sa gueule. Louis est là sans l’être. Comme le fait remarquer Antoine, il est loin, même quand il est dans le salon. Il s’est caché des années et ne revient que pour larguer une bombe sur sa famille qui se protège en ripostant. Sa sœur, sa mère et son frère le bombarde tour à tour de reproches.

Louis ne fait plus vraiment partie de cette famille éclatée, orpheline de son patriarche. Comme un marin qui essaie de rentrer au port et puis qui se trompe de route, ou qui se fait torpiller à l’arrivée (cf Das Boot). Il ne reconnaît plus les lieux. Sans présent. Une mère bloquée dans le passé, une sœur qui n’arrive pas à s’imaginer un futur, un frère qui refuse tout simplement de le regarder. La famille refuge est devenue un traquenard.

On vit vraiment d’une drôle de manière.

C’est aussi l’échec personnel de Louis qui était rentré expressément pour partager une nouvelle, sa nouvelle. Il a pourtant bien raté son rendez-vous.

Donner aux autres l’illusion d’être jusqu’à cette extrémité mon propre maître.

Il n’est le maître de rien du tout. Pas le temps de dire quoi que ce soit que tout le monde a déjà deviné. Quand il essaie, c’est déjà trop tard. Le metteur en scène s’est fait voler son propre drame. Son public a quitté les lieux et l’a laissé seul sur scène. Il a raté sa sortie.

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D’une manière plus globale, c’est surtout l’écroulement du monde sensible qui s’exprime à travers la défaite de Louis écrasé par Antoine. Il revient sans exister, éclipsé par ce rustre qu’on ne sait pas comment prendre. Antoine fait l’apologie du mutisme. Il méprise la sensibilité de son frère.

On a mis plus de vingt ans à se barrer de là-bas et toi tu veux y retourner pour vérifier si le vent a bien déposé les feuilles mortes sur la toiture rouillée en cette magnifique canicule… on s en branle!!

Antoine incarne le putsch de ces classes populaires oubliées et en colère, s’estimant victimes d’une injustice (cf Merci Patron!). On aimerait que tout le monde puisse se rasseoir à la table et discuter. Le temps joue contre nous. On se prépare à une purge. Pas de sentiment. La société s’apprête à basculer dans une nouvelle ère, plus sauvage et grossière (cf Delicatessen), où l’on ne se soucie guère des états d’âme des uns ou des autres.

Je ne veux pas savoir ce que tu fais ici, tout n est pas exceptionnel dans ta petite vie.

Dans ce monde qui n’a jamais vraiment cessé d’être violent, où la glace fond et les esprits s’échauffent, on ne communique plus. On ne cherche plus à savoir. Le sens des choses ne compte plus.

Personne comprend rien, personne comprendra jamais rien.

Pas de drame. Ce n’est juste que la fin du monde, la fin d’une vie cachée. Cela pourrait être pire. On manie l’euphémisme comme une façon de se rassurer. En essayant de se convaincre que le nouveau monde ne sera pas si terrible.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

23 commentaires

  • Très bon film qui laisse cependant un arrière goût de « pas assez » au spectateur qui rentre – en tous cas pour ma part – difficilement dans l’histoire. La réalisation est pourtant parfaite, très esthétique, mais l’inévitable comparaison avec Mommy porte malheureusement préjudice au film.

    • Merci Mathilde. Qu’est-ce qui vous empêche de rentrer dans l’histoire?

  • antoine ne serait t’il pas aussi une victime de cette tempete d’imcopréhension il est bloqué et vomi sa haine sur les autre alors que c’est lui qu’il déteste,il déteste son métier et pense que celui-ci n’interesse pas son frere il un effet miroir son frere lui renvoie sa propre image et ce qu’il y voit ne plait pas .
    alors il le chasse

    • Merci pour votre commentaire. C’est peut-être en effet just la fin du monde: nous nous repoussons les uns les autres. Nos doutes créent des incompréhensions et nourrissent d’autres doutes qui conduisent à une impasse.

  • Je me suis sentie très mal à l’aise. Dans cette famille. Comme l’ai Louis je suppose. Laissé parler les gens sa famille. Parler parler parler. Trop de place mais pas assez pour lui. J’ai attendue ce moment. En vain. Dommage.

    • Merci pour votre commentaire Genevasseries.
      Bouche bée (+) ou Bouche bée (-) ?

  • Merci pour vos explications
    Mais :
    Antoine et Martine n’aurait pas deviné la raison de sa venue ?
    Antoine a le point égratigné , car il ratio frappe dans un mur début colère en rentrant du tabac , quand Louis lui aurait probablement annoncé dans la voiture ?
    D’où cette fin abrupte , il veut me faire partir pour ne rien dire.
    Ne rien annoncer pour protéger sa soeur ?

    • Merci Deyvdeyv. Tout le monde est complice de la même comédie. Il y a des choses qui n’ont pas besoin d’être dites pour être devinées mais il y a des choses qui ne doivent pas rester non-dites sinon c’est la fin du monde.

  • Je suis du même avis, je pense en fait que toute la famille a compris la raison de sa venue et que personne est prête a l’entendre !

    • Merci Natacha. Nous jouons tous la comédie. Et nous sommes tous prisonniers de cette comédie, qu’elle soit drôle ou pas.

  • Je viens de le revoir et je trouve toujours que ce film est d’une merveilleuse beauté, avec en plus une BO à couper le souffle, les larmes coulent …

  • Bonjour à tous,

    Comme votre critique arrive dans les premiers résultats google 5 ans après, je m’interroge…

    En tout cas, une critique permet souvent de mieux connaître l’auteur de la critique que le film lui-même. Or, l’un de vos commentaires me laisse dubitatif : « Antoine incarne le putsch de ces classes populaires oubliées et en colère, s’estimant victimes d’une injustice (cf Merci Patron!) ».

    Ne pensez-vous pas que cela en dit plus sur vous et vos peurs intimes (les classes populaires agressives/dangereuses incarnées par Antoine) que du film lui-même ?

    À vous suivre, Louis représente-t-il les classes supérieures lâches et faibles (Louis ne défend personne contre Antoine, ne dira jamais qu’il va mourir, etc.) ?

    J’espère que vos lecteurs n’auront pas cette projection sociale manichéenne sur ce beau film, même si rien n’interdit intellectuellement d’interpréter chaque film à travers le prisme de son propre vécu.

    Pour ma part, ces différentes attitudes campées par chaque personnage pourraient résumer les différentes attitudes face à la mort. Antoine incarnant le déni et la colère.

    Bien à vous

    Antimanuel

    • Merci pour avoir partagé votre interprétation que vous auriez peut-être pu développer encore davantage.

  • BOnne explication pour ce FIlm magnifique avec un Gaspard Ulliel émouvant..Néanmoins dialogues de la famille inaudibles !

    • Merci Bourlon, qu’est-ce que cette fin du monde vous a inspiré?

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