HAPPINESS

HAPPINESS

Todd Solondz, 1998

LE COMMENTAIRE

Il y a quelques années déjà, le chanteur professionnel Cali posait une question essentielle sur le bonheur. Un autre chanteur professionnel lui répondit dix ans plus tard de manière un peu simpliste et avec une condescendance très américaine : Pharrell a balayé le quand pour imposer le comment. Les hipsters lui ont aussitôt emboité le pas en frappant dans leurs mains sans se poser de question, pendant un jour entier parfois. Pour d’autres, c’est plus dur. La vie peut s’apparenter à un long calvaire. On essaie de garder le sourire en ré-ajustant sa cravate.

LE PITCH

Le monde part tout doucement en sucette.

LE RÉSUMÉ

Trish Jordan (Cynthia Stevenson) est mariée au psychiatre Bill Maplewood (Dylan Baker). Ils vivent heureux avec leurs deux garçons dans un pavillon de banlieue. Sauf qu’ils ne font plus l’amour parce que Bill préfère fantasmer sur les copains de classe de son fils Billy (Rufus Read). Il va profiter que le petit Johnny Grasso (Evan Silverberg) dorme à la maison pour le droguer puis le violer. Il répète son crime en agressant Ronald Farber, un autre copain de classe de son fils. Mis en liberté sous caution, Bill se confie à Billy de manière troublante.

… Would you do it to me?

No… I’d jerk off instead.

Helen Jordan (Lara Flynn Boyle), la soeur de Trish, est une auteure prisonnière de son succès. Elle se désespère que personne ne s’intéresse à elle pour elle.

I’m just so tired of being admired all the time.

Allen (Philip Seymour-Hoffman) est épris d’elle mais il est transparent aux yeux d’Helen. Il n’a pas de meilleure idée que de l’appeler de manière anonyme pour lui proférer des obscénités. D’abord séduite par la rudesse de cet inconnu, elle se retrouve une nouvelle fois déçue lorsqu’elle réalise qu’il s’agit d’Allen.

This isn’t working. You’re not my type.

Il essaie de faire passer sa solitude à coups de masturbation. Sa thérapie avec Bill Mapplewood ne le conduit nulle part. Il va se rapprocher par hasard de sa voisine Kristina (Camryn Manheim) qui visiblement en pince pour lui. Elle lui avoue un soir qu’elle a été violée par un homme qu’elle a découpé en morceaux dont certains sont encore dans son frigo.

Joy (Jane Adams), l’autre soeur de Trish, se perd dans sa complexité.

Do you like men? 

Yes but it’s not so simple.

Son malheur lui donne un peu de consistence. Elle aime se plaindre.

Happiness, where are you? I’ve searched so long for you. Happiness, what are you? I haven’t got a clue. Happiness, why do you have to stay… so far away… from me?

Elle tombe sous le charme de l’un de ses étudiants étrangers du nom de Vlad (Jared Harris) puis met fin à cette relation lorsqu’elle comprend qu’il ne cherche qu’à se servir d’elle.

Enfin, les parents Jordan, Mona (Louise Lasser) and Lenny (Ben Gazzara) se séparent après quarante ans de vie commune. Lenny s’ennuie dans son mariage et tente de réanimer la flamme en séduisant sa voisine, en vain.

Alors que tout le monde se lamente, Billy est tout fier d’annoncer qu’il vient d’avoir sa première éjaculation.

I came!

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L’EXPLICATION

Happiness, c’est l’échec de Saint Just.

En 1794, Saint Just a déclaré que le bonheur était une idée neuve en Europe. Il n’avait pas tout à fait tort à l’époque. Pendant longtemps, le bonheur a été un concept hautement spirituel associé avec une forme de salut, chasse gardée du religieux. Après les Lumières, les hommes se sont mis en tête qu’ils pouvaient se ré-approprier le bonheur et le construire sur terre à travers l’harmonie sociale, permise par la démocratie.

Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Le bonheur est devenu une sorte d’idée fixe, un objectif à atteindre coûte que coûte. Il faut être heureux dans son couple, dans son travail, dans sa vie. On appelle cela « la plénitude ». Ce bonheur capricieux ne cesse de nous filer entre les doigts au point qu’il s’est transformé en impossibilité et qu’il génère une véritable source de frustration. La société nous rabâche à longueur de journées qu’il faut être heureux sans nous donner le mode d’emploi. Il en résulte de nombreux dérèglements.

Le premier est que nous errons tous comme des âmes en peine.

We’re all alone.

Mona et Lenny n’arrivent plus à jouer la comédie du mariage sans pour autant jouer le jeu du divorce (cf Kramer contre Kramer). L’édifice se fissure (cf Une Séparation).

Les rencontres heureuses, « organiques », ont laissé la place à d’autres rencontres quasi-accidentelles de personnes qui se trouvent dans leur désespoir comme Théodore et Amy (cf Her). La norme, c’est plutôt la rencontre préfabriquée ou virtuelle, qu’on peut prévoir par la statistique. Algorithmique.

L’estime de soi est en chute libre. Allen a du mal à se fondre dans le moule de cette société hyper-sociale. Par conséquent, il se juge tellement ennuyeux qu’il endort celui qui est payé pour l’écouter.

People listen to me and they get bored.

Ceux ou celles qui sont persuadés d’avoir atteint le Graal se permettent de faire la leçon aux autres pour mieux éviter de regarder la vérité en face, comme Trish avec sa soeur Joy:

She pretends to be happy but inside she’s miserable.

Trop impatients dans notre recherche du bonheur, nous ne savons plus interagir avec les autres sans violence. Trish est la reine du passif-agressif.

I’m not laughing at you, I’m laughing with you.

But I’m not laughing.

Helen s’est refermée sur elle même. On ne la distingue même plus de son canapé. Joy au contraire fuit cette violence. Elle essaie de plaquer Andy (Jon Lovitz) « en douceur » mais s’écrase lamentablement. Le retour de baton est terrible.

You think I don’t appreciate art, you think I don’t understand fashion, you think I’m not hip, you think I’m pathetic? A nerd, a lard-ass fat-so? You think I’m shit? Well, you’re wrong, ’cause i’m champagne, and you’re shit. 

Le père du petit Johnny Grasso ne pardonne pas à son fils de ne pas réaliser ses fantasmes de coach de soft-ball homophobes.

My son is a fag!

Bill, le psychiatre censé précisément guérir la société de ses maux se révèle être un monstre pédophile. Il n’est finalement que le résultat de cette société invivable.

I wake up happy, feeling good… but then I get very depressed, because I’m living in reality.

L’espoir ne vient pas des quelques gouttes de sperme de Billy mais plutôt de la rencontre entre Allen et Kristina, les deux naufragés. Leur discussion dépasse le jugement et semble indiquer qu’un reboot de la matrice semble possible, pour peu qu’on commence par accepter notre propre humanité.

We all have our pluses and minuses.

Peut-être que Saint Just avait tout simplement mis la barre un peu trop haut ?

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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