LA FORME DE L’EAU
Guillermo del Toro, 2017
LE COMMENTAIRE
Un beau jour, toutes celles et ceux dont la vie ne ressemble en rien à celle des influencers sur les réseaux sociaux prendront leur revanche. Ils se couperont de ce monde futile pour se retrouver à deux, au milieu de nulle part. Loin des regards et des jugements. Ils s’embrasseront. Le bonheur leur donnera l’impression de flotter (cf Avatar : la voie de l’eau).
LE PITCH
Une jeune femme tombe amoureuse d’un mammifère marin non identifié.
LE RÉSUMÉ
Elisa Esposito (Sally Hawkins) a été retrouvée enfant dans une rivière avec des marques sur le cou. Depuis, elle est muette et vit seule dans un petit appartement de Baltimore où elle travaille dans un laboratoire aquatique secret comme femme de ménage. Son voisin Giles (Richard Jenkins) est gay. Il galère en tant que directeur artistique dans la publicité (cf 99 francs). Elisa est amie avec Elza (Octavia Spencer) qui lui sert d’interprète au travail.
À son travail justement, le Colonel Strickland (Michael Shannon) vient de pêcher un humanoïde qui pourrait bien être utile aux États-Unis dans ce contexte de Guerre Froide.
The natives in the Amazon worshipped it. Like a god. We need to take it apart, learn how it works.
Strickland veut disséquer l’humanoïde. Le docteur Robert Hoffstetler (Michael Stuhlbarg) alias Dimitri Mosenkov espion pour le compte des Soviétiques, est fasciné par la créature et ne peut se résoudre à l’euthanasier (cf Mar Adentro). Elisa se prend elle aussi d’affection pour cette créature. Elle convainc Elza, Giles et Mosenkov de l’aider à la libérer puis la cacher dans une baignoire d’eau salée chez Elisa.
Elisa et l’amphibien se rapprochent (cf King Kong). Ils font même l’amour, à leur manière. Malheureusement la santé de la créature se détériore, pas faite pour vivre dans une baignoire. Elisa et Giles s’accordent pour la rejeter dans le canal. Strickland qui a torturé Molenkov et intimidé Elza a retrouvé la trace de ce qu’il juge être ‘son’ animal. Il l’abat, ainsi que Elisa.
L’humanoïde guérit de sa blessure, se redresse et tranche le cou de Strickland puis sauve la vie de Elisa qu’il emmène avec lui sous l’eau. Les stigmates sur le cou de la jeune femme se sont transformés en branchies.
D’après Giles, ils vécurent heureux, avec beaucoup de poissons.
If I told you about her, what would I say? That they lived happily ever after? I believe they did.
On l’espère en tout cas.
L’EXPLICATION
La forme de l’eau, c’est qui se ressemble s’assemble.
Elisa est une paria, ce qui veut dire qu’elle n’est pas dans la norme. Elle n’est pas comme les autres puisqu’elle ne peut pas s’exprimer. Timide. Elle fait le ménage. Ses amis sont gays ou noirs, ce qui dans les années 60 n’est pas aussi branché qu’aujourd’hui. À vrai dire, Elisa n’aurait pas été loin d’être considérée comme une dégénérée par les Nazis (cf L’oeuvre sans auteur).
De par sa condition, elle ne peut juger personne. Elle ne snobe pas ceux qui ne portent pas les dernières chaussures à la mode. Sa condition lui permet d’être plus curieuse du monde qui l’entoure. Lorsqu’elle va à la rencontre de l’humanoïde, elle est d’abord intriguée. Elle voit une personne différente, blessée. Lui propose à manger. Elisa permet un monde de contraste dans lequel chacun pourrait vivre de manière épanouie (cf La Belle et la Bête).
À peu près tout le contraire de Strickland qui est raciste, misogyne et vulgaire. Strickland prétexte vouloir protéger pour mieux recourir à la violence. Il tue, pour apprendre (cf Life). Son intention est de transformer le monde à son image. C’est pourquoi il annexe. Figer les choses pour se rassurer. Il fait régner la terreur et agite le spectre de l’ennemi pour mieux asseoir son pouvoir.
Strickland propose une vision du monde militaire et manichéenne, faite de gentils capitalistes et de méchants communistes. Les capitalistes ont le droit d’utiliser leur matraque pour torturer tant qu’il s’agit de défendre le monde libre. Il y a les blancs et les noirs et si vous êtes noirs, vous n’avez pas le droit de vous asseoir au bar avec les autres (cf Mississippi Burning).
Elisa a la chance de trouver son histoire. Ou plutôt, elle se donne la possibilité de trouver son histoire. Une histoire qui n’est pas commune. Elisa et l’humanoïde forment un couple dont les autres aiment se moquer gentiment parce qu’ils sont marginaux. Le gentil couple de ratés attendrissant parce qu’ils se correspondent. Ils vont bien ensemble et ne dérange personne. On en connait plein.
Ce que les autres pensent d’eux, en l’occurrence, Elisa et l’humanoïde s’en moquent pas mal. Ils se sont trouvés au delà de leur différence. Elle ne voit pas en lui un Dieu ou un monstre mais simplement une personne qui la considère pour ce qu’elle est, comme la forme de l’eau, c’est à dire en mouvement perpétuel. Imparfaite.
When he looks at me, the way he looks at me… He does not know, what I lack… Or – how – I am incomplete. He sees me, for what I – am, as I am. He’s happy – to see me. Every time. Every day.
Le monde entier pourrait leur ficher la paix et les laisser vivre heureux. Mais non. Strickland a besoin de tout mettre à niveau. On met des bâtons dans les roues de leur amour. Elisa ne se résigne pas face à la difficulté. Elle n’est pas parfaite parce que humaine. C’est bien au nom de l’humanité qu’elle se bat.
It’s not even human.
If we / do nothing / neither are we.
Elle noue des alliances stratégiques.
Quand les puissants qui se ressemblent s’assemblent, cela donne des monopoles et des ententes délictueuses. Par exemple les opérateurs téléphoniques fixent les tarifs et les consommateurs trinquent. Ou bien les Nazis et les Soviétiques se mettent d’accord sur le partage de la Pologne. À la fin de l’histoire, cela coûte cher sur la facture ou cela fait du monde dans les charniers.
Lorsque les faibles qui se ressemblent s’assemblent, alors c’est la révolution (cf Joker). Un nouvel ordre est possible. On sait se satisfaire de ce qu’on a et pas forcément de plus (cf le tombeau des lucioles). Il y a de la place pour tout le monde. Soudain, un environnement un peu plus tolérant et poétique peut émerger.
Du grand art ce film!!!!