HIBERNATUS
Édouard Molinaro, 1969
LE COMMENTAIRE
Le moins qu’on puisse dire est que la vie ne se distingue pas par ses bonnes nouvelles. Toutes nos certitudes peuvent s’effondrer du jour au lendemain. Et si la notion de temps était circulaire plutôt que linéaire ? De telles vérités pourraient nous donner des migraines pendant quelques temps.
LE PITCH
Un explorateur perdu dans les glaces du Pôle Nord refait surface des années plus tard.
LE RÉSUMÉ
Le corps de Paul Fournier (Bernard Alane) est retrouvé en parfait état. Soixante cinq années après. Aucune ride.
L’industriel Hubert de Tartas (Louis de Funès) se rend au Ministère de l’Intérieur, convaincu de recevoir la légion d’honneur.
Je ne m’attendais pas à un tel honneur monsieur le Secrétaire Général.
Il apprend que l’hiberné est un beau-parent. Il s’agit du grand-père de sa femme Edmée (Claude Gensac).
Paul souffre d’amnésie. Parallèlement l’humanité toute entière observe son rétablissement. Les scientifiques veulent l’étudier. Tandis qu’Edmée est bien décidée à le ramener à la maison.
La question est délicate car d’après les docteurs, la moindre maladresse pourrait entrainer des troubles psychiques irréparables. Hubert se range derrière la volonté de sa femme car c’est elle qui a la fortune et qu’en l’occurrence, tout appartient à Paul. Par ailleurs, c’est la Loi.
Les de Tartas réaménagent leur intérieur, style début XXe. Paul n’a pas le droit de sortir, (cf The Village). Tout le monde joue la comédie. Edmée se fait passer pour la mère de Paul. Hubert devient le galant d’Edmée.
Il va devoir convaincre Fournier qu’il mérite la main de sa femme (cf Retour vers le futur). Ce n’est pas gagné car Paul protège celle qu’il croit être sa mère et ne porte pas Hubert dans son coeur. Il doute de sa sincérité.
Paul devient très encombrant pour Hubert puisque non seulement il le sépare de sa femme mais en plus il veut reprendre le contrôle de son entreprise. Il devient encombrant pour Didier de Tartas (Olivier de Funès) en flirtant avec Sophie (Martine Kelly) et Evelyne (Éliette Demay).
Cette situation devient de plus en plus compliquée à gérer. Les gaffes se succèdent. Hubert craque.
Je lui dis tout!!
Paul prend pleinement conscience de ce qui se passe lorsqu’il allume la TV. Il réagit plutôt bien et s’enfuit avec Evelyne avec laquelle il se marie. Tout le contraire d’Hubert qui choisit la cryogénisation.
L’EXPLICATION
Hibernatus, c’est même si tu revenais.
Paul Fournier est un symbole à plus d’un titre. Il est d’abord la preuve scientifique que la cryogénisation peut fonctionner. Il confirme ainsi que le voyage dans le temps est réalisable puisqu’il traverse les années. Son exemple rend l’odyssée spatiale pensable: Alien, Sunshine, Interstellar, 2001 et beaucoup d’autres…
Il fait également saliver les scientifiques au sujet de l’immortalité. Cela se passe en France en plus. On se prend à rêver à nouveau.
Si l’hiberné ne meurt pas, la France aura fait la plus prodigieuse découverte de tous les temps : la survie!
Paul Fournier pose néanmoins une question. Si la survie est scientifiquement démontrée, est-elle pour autant humainement viable ? Physiologiquement, l’hiberné s’en sort bien. Psychologiquement, le traumatisme est immense.
Il fait désormais partie de ceux pour qui l’on chante parce qu’ils sont loin de chez eux. Et il ne s’agit pas d’un problème géographique mais temporel. Le traumatisme est presque encore plus fort pour la famille de Tartas qui doivent composer avec cet invité d’une autre époque. L’un est projeté en avant tandis que les autres sont propulsés vers l’arrière. La rupture redoutée du continuum espace temps (cf Retour vers le Futur).
Si elle s’était d’abord réjouie à l’idée de retrouver son aïeul, Edmée a tout d’abord une réaction de rejet lorsqu’elle fait sa connaissance. Elle est comme Neo dont la première réaction lorsqu’il se réveille est de vomir (cf The Matrix).
Je ne dépends pas de ce monstre!
Comme le fait remarquer la romantique Sophie, ce brusque bon dans le temps a quelque chose d’émouvant. C’est vrai. Il est pourtant violent car Paul dérègle tout. Les scientifiques s’inquiètent pour sa santé mentale alors qu’il le vit finalement plutôt bien. Paul reste un explorateur dans l’âme, ouvert au changement – même radical. Il aime découvrir. Pas de problème pour se mettre à jour.
Décidément j’ai du retard à rattraper!
Paul a une qualité : il sait s’adapter. Il a beau avoir raté deux guerres mondiales et une révolution sexuelle, les choses n’ont pas été complètement bouleversées sur le fond. Atterrissage en douceur dans une France de Pompidou encore relativement conservatrice. Et puis il aime et l’Amour survit aux années (cf Dracula).
On ne parle plus d’amour de la même façon mais au fond rien n’a changé.
C’est tout le contraire pour Hubert qui ne sait pas aimer. Cet homme est un conservateur devant l’éternel. Quelqu’un qui souhaite encore que son fils épouse une fille de bonne famille. La légion d’honneur l’aidera à passer à la postérité, pas autre chose. Il a tendance à voir les choses de manière négative.
Le bateau coule, on a déjà les pieds dans l’eau!
Hubert pense que le temps est figé parce que cela le rassure. Ce qui est fait est fait.
Dans la vie on n’est jeune qu’une fois!
L’évangile selon Saint Claude. Les gens font des promesses qui n’arrivent pas, on les attend jusqu’à atteindre le point de non-retour. Quand c’est mort, c’est mort. On ne revient pas en arrière. Hubert est l’imbécile qui ne change pas d’avis. Pour lui, on circule sur les autoroutes du temps à sens-unique.
Il va lui aussi s’essayer à l’aventure de la cryogénisation. À la différence de Paul qui a été précipité dans la fin des années 60, Hubert fait un choix conscient, par dépit. Il démissionne de cette vie qu’il ne maitrise plus en espérant qu’il en retrouvera une plus favorable plus tard.
C’est une différence énorme. On dit que les quelques minutes qui précèdent le sommeil augurent de la qualité de la nuit. S’endormir stressé est le meilleur moyen de se réveiller de mauvais poil. On ne peut qu’imaginer le réveil d’Hubert soixante ans plus tard, dans une société qui aura évolué vers plus de tolérance – on l’espère.
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