LES FRÈRES SISTERS

LES FRÈRES SISTERS

Jacques Audiard, 2018

LE COMMENTAIRE

Ceux que le futur rend anxieux portent en général un regard nostalgique sur le passé. Pas besoin d’attendre la mort de Johnny (cf Jean-Philippe) ou du grand Charles (cf Tirez sur le pianiste) pour les regretter avant l’heure. Ils songent aux Lumières (cf Marie-Antoinette) pour leurs costumes – plus que pour leurs odeurs. Les cow-boys sont perçus comme des chevaliers philosophes à la barbe impeccable, aux yeux clairs et aux dents blanches, chevauchant leur monture à travers les prairies du Far West.

LE PITCH

Course poursuite dans l’Oregon.

LE RÉSUMÉ

Les frères Charlie (Joaquin Phoenix) et Eli (John C. Reilly) Sisters forment un tandem à l’image des frères Taloche ou des frères Mickey (cf les trois frères). Deux hommes qui sont par ailleurs deux redoutables tueurs à gage engagés par le commodore (Rutger Hauer) pour retrouver un chimiste du nom de Hermann Kermit Warm (Riz Ahmed), aidé par le détective privé John Morris (Jake Gyllenhaal).

Warm a concocté une formule pour faciliter la prospection. Cette formule vaut de l’or.

John Morris met la main sur Warm à Oregon City et donnent rendez-vous aux frères à Mayfield. Ils trainent un peu en route car Charlie a régulièrement la gueule de bois et Eli fait une réaction infectieuse après avoir avalé une araignée en dormant au clair de lune.

Entre temps, Warm arrive à convaincre Morris de le rejoindre dans son entreprise. Il projette de faire fortune et d’aller s’installer au Texas pour créer une communauté véritablement fondée sur la démocratie et le respect. Pas comme ces États nouvellement Unis dans lesquels on peut se faire flinguer dans un saloon pour avoir regardé la mauvaise personne de travers. Morris est séduit.

Quand les frères Sisters arrivent à Mayfield, les deux autres ont déjà filé.

Le commodore, ne voyant pas ses employés revenir, finit par s’impatienter et embauche de nouveaux tueurs à gage. La tâche des deux frères se complique. Déjà que Mayfield (Rebecca Root), la tenancière du saloon avait essayé de les faire descendre… Tout le monde est désormais à la recherche de Warm qui a littéralement chaud aux fesses.

Charlie s’accroche et ambitionne secrètement de prendre la place du commodore quand tout sera terminé, tandis que Eli se verrait bien prendre sa retraite.

Les tueurs finissent par retrouver Warm et Morris et se retrouvent à devoir les épauler face aux autres chasseurs de prime. Ils prêtent une oreille attentive au projet de Warm qui leur fait une démonstration en utilisant sa formule pour trouver des pépites dans la rivière. Ivre de tout cet or et frustré par la courte durée de ce produit, Charlie renverse un baril de ce produit très abrasif et blesse mortellement Warm et Morris qui mourront le lendemain. Charlie se brûle grièvement les mains et en perdra même un bras.

Eli le protège comme il le peut contre leurs nombreux assaillants. Puis au bout de quelques jours, les menaces disparaissent. Le commodore est mort. Eli et Charlie viennent lui rendre un dernier hommage avant qu’on referme son cercueil. Le premier en profitera pour lui mettre deux bon coups de poing.

Just to be sure! 

Il est l’heure de retourner chez leur mère (Carol Kane).

We just want to say hello!

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L’EXPLICATION

Les Frères Sisters, c’est le triomphe de la modération sur l’ambition.

Dans les États-Unis de la conquête de l’Ouest, le capitalisme est déjà dévorant (cf There Will Be Blood). On ne fait de cadeau à personne. Les pionniers doivent aller vite et ne pas avoir de scrupule pour s’approprier ces territoires vierges. Un peu comme aujourd’hui finalement.

Le commodore fait figure de GAFAM qui commissionne deux hommes à la solde du système pour empêcher une entreprise disruptive de menacer son hégémonie.

Charlie a tué le père pour mieux prendre la place. Son moteur est l’argent. Il lui en faut toujours plus. Son ambition est débordante (cf Bernard Tapie l’affranchi). Rien n’est trop beau pour lui. Afin d’assouvir ses rêves, il est prêt à tuer tous ceux qui se mettront sur son chemin (cf La Petite Boutique des Horreurs).

Charlie est à l’image de ces commerciaux affamés, instrumentalisés par leur hiérarchie pour aller chasser les clients et ‘développer le business’. Il veut monter dans l’organigramme jusqu’au poste suprême. Rouage essentiel d’un système concurrentiel épuisant, où personne ne fait confiance à personne. On surveille toujours son voisin de peur qu’il n’empoisonne notre liqueur ou qu’il nous colle une balle entre les deux épaules.

L’appât du gain nous conduit à des excès en tout genre (cf Le Loup de Wall Street). On finit par perdre pied, ou en l’occurrence ses dix doigts. Charlie a donné sa main au libéralisme qui lui a pris le bras, en le privant de chocolat par la même occasion.

Warm veut proposer une alternative à ce système sans garde fou (cf The Inside Job). Il est un idéaliste qui songe à la possibilité d’une société égalitaire, utopique (cf The Beach), qui ne serait pas obsédée par le profit.

Une sorte de socialiste un peu rêveur ? Plutôt un centriste déterminé qui manoeuvre par opportunisme pour nouer les alliances qui l’aideront à créer son nouveau monde (cf Macron à l’Elysée). La fin justifie les moyens (cf The Watchmen).

Warm n’est pas moins ambitieux que Charlie. Il aime aussi beaucoup l’or. Et il a une solution à tout. Y’a plus qu’à. Malheureusement pour lui, il est tellement malin qu’il en devient un peu prétentieux et ne voit pas les failles de son propre schéma. Il construit son rêve sur une substance toxique. Son projet est un chateau de sable.

Face à ce nouveau monde mort-né, il ne reste plus qu’un ancien monde qui consume ses sujets à coups de burn-out (cf Falling Down). Il reste également Eli, ce frère ainé un peu bonne poire qui s’est fait doubler par Charlie – un peu comme Fredo (cf Godfather part 2). Celui dont on se moque.

Eli se distingue des autres car l’argent n’est pas son obsession. Personne ne comprend ses motivations – pourtant nobles. Il n’aspire qu’au bonheur et il estime avoir déjà largement assez d’argent pour être heureux. Tellement romantique qu’il fait peur aux prostituées (Allison Tolman).

Un sentimental attaché à son cheval et qui écrasera une petite larme après la mort de sa monture. Entouré de grandes gueules qui l’éclipsent un peu, parmi lesquelles son frère, Eli s’accroche discrètement. Il fait le dos rond dans la tempête. Sans erreur. Sa tête ne tourne pas et sa main ne tremble pas non plus au moment d’appuyer sur la gâchette. Il maintient le lien avec son frère qu’il ramène en vie à sa mère.

Il est celui qui fait le boulot, l’exemple à suivre. Celui qui dure.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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