SYRIANA

SYRIANA

Stephen Gaghan, 2005

LE COMMENTAIRE

Il y a des années, on a fait tout un pataquès médiatique autour des voitures qui brûlaient dans les banlieues (cf La Haine). Depuis, on n’en parle plus. Les voitures continuent pourtant de brûler pour le 14 juillet et à Noël. Une tradition Française. Brûler des voitures est tellement Français qu’à l’étranger, les terroristes font sauter des Peugeot en notre hommage.

LE PITCH

Des voitures qui explosent, des conspirations gouvernementales… Sale histoire au Moyen-Orient.

LE RÉSUMÉ

Bob Barnes (George Clooney) est un agent de la CIA en poste en Iran. Sa mission est de surveiller le traffic d’armes et d’en reporter à Washington. Ses mémos agacent l’état major qui souhaite le réassigner. Barnes est un homme d’action, moins à l’aise derrière un bureau. Il est donc renvoyé sur le terrain (cf Mensonges d’état).

Ses opérations se déroulent sur fond de fusion entre Connex et Killen, deux ‘compagnies d’énergie’ comme il est convenu de les appeler aujourd’hui. Cette fusion intervient après que la famille Al-Subaai ait décidé d’accorder un gros contrat aux Chinois plutôt qu’à Connex. Une grande manoeuvre financière est sous haute surveillance.

C’est pourquoi Dean Whiting (Christopher Plummer) assigne l’un de ses meilleurs avocats Bennett Holiday (Jeffrey Wright) sur cette mission.

At my firm, I have a flock of sheep who think they’re lions. Maybe you’re a lion everyone thinks is a sheep.

Bennett doit mettre de l’huile dans les rouages pour donner naissance à ce qui deviendra la 23e puissance économique mondiale – si la commission d’enquête ne découvre pas que Killen a obtenu ses contrats au Kazakhstan de manière illégale.

Now the job is find the problem, fix the problem. And if you do not find a problem, then there is no problem.

Bryan Woodman (Matt Damon) est un analyste spécialisé dans l’énergie basé à Genève est envoyé par son patron à une fête organisée en Espagne par les Al-Subaai. Lors de la réception, un accident dramatique se produit dans la piscine. Le fils ainé de Woodman s’électrocute. En réparation, le prince propose à Woodman de devenir son conseiller personnel, en plus d’une importante somme d’argent pour la perte de son fils.

Woodman se dispute avec sa femme puis finit par accepter, alléché par l’idée d’être au contact d’un homme si influent. Ses analyses sont franches. Il ne se prive pas pour jouer les Lawrence d’Arabie et rentrer dans le lard du prince. Le désert fait tourner les têtes (cf Dune).

You know what the business community thinks of you? They think that a hundred years ago you were living in tents out here in the desert chopping each other’s heads off and that’s where you’ll be in another hundred years.

Bob est renvoyé à Beyrouth pour y tuer le prince Nassir Nasir Al-Subaai (Alexander Siddig) jugé dangereux pour les États-Unis. Et pour cause : le prince n’agit pas dans les intérêts américains. Il voudrait sortir de la répression imposée par son père (Nadim Sawalha) pour instaurer un régime plus démocratique dans le Golfe. Faire progresser son pays plutôt que de le voir continuer de gaspiller des ressources qui commencent à se faire rares.

Son père sentant la menace qu’il représente décide de nommer son frère le prince Meshal (Akbar Kurtha) comme héritier car il est beaucoup plus conciliant. Nassir songe à faire un coup d’état avec le soutient d’autres puissances du Golfe.

Bob contacte un mercenaire du nom de Mussawi (Mark Strong). Mauvaise idée puisque Mussawi travaille avec l’Iran et torture Bob pour lui soutirer des informations. Le Hezbollah intervient pour empêcher le pire. La CIA prétend que Bob agit de manière indépendante. Pour éviter qu’il ne parle et donner du crédit à leurs affirmations, la CIA lance une enquête contre Bob et suspend ses passeports. Ses accès à ses fichiers sont bloqués.

Pour que la fusion réussisse, Holiday doit trouver un ‘corps’, quelqu’un à faire tomber et qui ne fera pas trop de bruit, pour faire preuve de diligence. Il y est presque. Il propose Danny Dalton (Tim Blake Nelson) impliqué dans une affaire de corruption avec le Kazakhstan.

Corruption is government intrusion into market efficiencies in the form of regulations. That’s Milton Friedman. He got a goddamn Nobel Prize. We have laws against it precisely so we can get away with it. Corruption is our protection, corruption keeps us safe and warm, corruption is why you and I are prancing around in here instead of fighting over scraps of meat out in the streets, corruption is why we win.

Ce n’est pas suffisant. Il faut quelqu’un d’autre. Holiday dénonce alors son ancien mentor Sydney Hewitt (Nicky Henson) pour que tout se passe bien et que le patron de Connex (Peter Gerety) puisse recevoir son prix de Oil Industry Man of the Year sous les yeux du patron de Killen (Chris Cooper). Personne n’a compris mais tout le monde est content.

Legal didn’t understand. Accounting didn’t understand, and nobody understood anything. 

Bob, de retour à la maison, apprend l’un de ses contacts (William Hurt) que Whiting est derrière ses ennuis. Il le retrouve pour le menacer directement. Juste le temps de repartir et prévenir le prince du projet d’assassinat. Il arrive trop tard. Le missile est déjà lancé (cf Good kill).

Woodman faisait partie du cortège, une voiture plus loin. Il n’est que blessé. Aux États-Unis, il retourne auprès de sa femme dont il s’était séparé, croyant qu’il pourrait aider le prince à changer le monde.

Wasim (Mazhar Munir), un jeune immigré pakistanais radicalisé après avoir été viré du chantier où il était censé travailler pour Connex, se dirige vers un cargo de la Connex pour un attentat à la bombe avec l’un des missiles que Bob a vendu aux terroristes Iraniens. Life goes on.

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L’EXPLICATION

Syriana, c’est un jeu à somme nulle (cf Mensonges d’État).

En économie, deux théories s’opposent :

D’un côté, le jeu à somme nulle, théorisé par John von Neumann et Oskar Morgenstern. Dans cette configuration, les échanges entre n personnes avantagent ou désavantagent nécessairement n+1 personnes. De l’autre côté, le jeu à somme non nulle, théorisé par John Nash (cf A Beautiful Mind). Dans cette configuration, chacun peut s’y retrouver à condition que les décisions individuelles soient prises en concertation dans le but de l’intérêt collectif.

L’économie est aujourd’hui mondialisée. C’est à dire que tous les pays commercent avec les autres et sont aussi déficitaires avec les autres. Un réseau de créances complexe au moment de faire les comptes! Les amateurs de dominos s’en réjouissent à l’avance.

Dans cette économie, il semble que le jeu soit à somme nulle puisqu’il profite clairement à certains, souvent les mêmes, et pas à d’autres – qui sont souvent les mêmes aussi.

On compte beaucoup d’acteurs avec beaucoup d’intérêts divergents, parfois complètement opposés, liés à l’argent ou à la religion donc au pouvoir.

Le jeu est très compliqué à jouer comme le fait remarquer Bob, ce qui ne plait pas à la conseillère du Président (Viola Davis).

It’s complicated.

Of course it is. Thank you for your time.

En tout cas, la théorie ambitieuse de Nash semble quasi impossible à appliquer dans les faits à l’échelle planétaire, pour l’instant en tout cas.

Qui sont les gagnants, qui sont les perdants ?

Parmi les gagnants :

    • Les patrons de Connex et Killen qui obtiennent leur fusion, ce qui va leur permettre non seulement de continuer à prospérer mais surtout d’accroître leur pouvoir.
    • Des consommateurs censés payer moins cher à la pompe.
    • Holiday qui a permis la fusion en donnant deux noms.
    • La CIA qui se félicite d’avoir éliminer Nassir depuis leur salle de contrôle (cf Good Kill).
    • L’émir et son fils pour lesquels c’est business as usual. L’argent va continuer à rentrer dans les caisses du Royaume.

Du côté des perdants :

    • Bob, torturé pour rien, trahi par son pays et qui meurt bêtement dans l’attentat, tué par une roquette lancée par son propre pays.
    • Nassir, un érudit qui plaçait les intérêts de son peuple avant les siens et dont le rêve ne verra pas le jour.
    • Woodman qui a perdu son fils et son client.
    • Wasim dont le sacrifice au nom d’Allah lui coûte quand même très cher.
    • Danny Dalton et Sydney Hewitt qui paient pour les autres.

Le capitalisme repose donc essentiellement sur un jeu à somme nulle, bien que les progressistes s’en défendent. On se berce de croire que la production globale ne cesse d’augmenter chaque année, ce qui nous permet de vivre dans le perpétuel espoir de connaître des lendemains meilleurs. Fermant les yeux sur ceux qui n’en profitent pas.

On ne dit pas trop fort que ce système permet aux plus riches de continuer à s’enrichir (cf Inside Job) tandis que les plus pauvres sont de plus en plus nombreux, et pas beaucoup moins pauvres – créant ainsi des inégalités qui ne peuvent être que source de conflits si l’on a quelques notions d’Histoire. 

Tant mieux, les conflits font tourner la planche à billets (cf La guerre selon Charlie Wilson).

When a country has five percent of the world’s population but does fifty percent of its military spending, then the persuasive powers of that country are on the decline.

Dans le monde capitaliste, les gagnants n’ont pas intérêt à ce que le système change dans un sens qui leur serait défavorable. On pourra toujours argumenter que rien n’est plus dangereux qu’une situation d’instabilité politique (cf Sicario). Alors autant essayer de garder l’équilibre des forces en place.

On pourra quand même demander qui est pris en otage par cette situation ? Woodman n’a-t-il pas tout perdu ? Les gagnants d’aujourd’hui seront peut-être les perdants de demain ? De même que les gagnants de demain pourront dire merci au perdants d’aujourd’hui ?

Se résigner au capitalisme sous prétexte qu’il s’agit du pire des systèmes possibles à l’exception de tous les autres est peut-être aussi l’excuse de ceux qui ne cherchent pas assez.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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