LA FAVORITE

LA FAVORITE

Yórgos Lánthimos, 2018

LE COMMENTAIRE

Les instituteurs ont leurs élèves préférés. Tout comme les parents ont leur enfant préféré, quoiqu’ils puissent en dire. Nous avons tous nos têtes. Ce qui veut dire qu’il y a des chouchous et des souffre-douleurs. Celles et ceux là doivent éviter les coups, encaisser les insultes et toujours se relever avec le sourire. 

LE PITCH

Une jeune femme habile se fraye un chemin jusqu’à la Reine.

LE RÉSUMÉ

En ce début de XVIIIe siècle, la guerre fait rage entre la France et l’Angleterre de la Reine Anne (Olivia Colman), sous l’influence de Sarah Churchill (Rachel Weisz), duchesse de Marlborough. Malgré les conseils du conservateur Robert Harley (Nicholas Hoult), la Reine continue d’allouer des fonds à son armée, étouffant son peuple sous toujours plus de taxes.

C’est dans ce climat de tensions qu’Abigail Hill (Emma Stone) fait une entrée discrète à la Cour. Cette jeune fille issue de l’aristocratie a souffert de l’infortune de son père qui l’a vendue à un Allemand lors d’une partie de cartes. Elle vient supplier sa cousine Sarah de lui offrir un poste, n’importe lequel. Abigail commence en tant que domestique, tout en bas de l’échelle : là où non seulement personne ne vous fait de cadeau mais en plus vous met des batons dans les roues.

My life is like a maze that I continually thought I’ve gotten out of. I need to find another, corner, right in front of me.

Abigail parvient à apaiser une crise de goutte royale grâce à des herbes. Sarah lui offre une promotion pour la remercier. Harley la remarque et lui propose d’espionner son ennemie. Abigail reste loyale à Sarah.

Un soir, elle découvre par hasard la relation homosexuelle que la Reine entretient avec Sarah. Elle ne va pas hésiter à courtiser la Reine elle-même. Profitant du fait que Sarah soit occupée à piloter la guerre, Abigail vole la politesse à sa cousine en se rapprochant d’Anne, d’abord comme confidente puis comme maitresse.

Sarah découvre les intentions de sa cousine. Une crise de jalousie aigüe éclate entre les deux jeunes femmes. Abigail empoisonne Sarah pour l’éloigner de la Cour. Elle en profite pour stabiliser sa position en épousant le Baron Masham (Joe Alwyn), avec le consentement de la Reine dont la santé se détériore de plus en plus. Abigail devient officiellement Gardienne de la bourse privée, fonction qu’occupait Sarah auparavant.

Elle porte le coup de grâce à sa rivale en révélant à la Reine que Sarah lui a volé de l’argent. Le couple Marlborough est contraint à l’exil.

La Reine voit partir Sarah, non sans amertume. Pendant ce temps, Abigail laisse éclater sa véritable nature en abusant des bonnes choses d’une part ; et d’autre part en torturant les lapins si chers à Anne. La Reine n’a pas encore complètement perdu la tête. Elle se chargera bien de rappeler à Abigail qui commande.

Rub my legs!

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L’EXPLICATION

La Favorite, ce sont les dérives du favoritisme.

Les femmes sont souvent les victimes de patriarches machistes sans foi ni loi. Face à ce terrible constat, certaines d’entre elles ont décidé de prendre les hommes à leur propre jeu, voire d’égaler les pervers dans leur médiocrité (cf Harcèlement).

Les féministes ont décidé de descendre dans la rue pour manifester contre cette injustice (cf Je ne suis pas un homme facile). Des femmes ont pris le maquis pour renverser la toute puissance masculine, avec leurs propres armes. On pense à la Marquise de Merteuil (cf Les Liaisons Dangereuses) qui excelle dans la manipulation.

Sometimes a lady likes to have some fun.

Sarah et Abigail sont d’excellentes disciples, chacune à leur manière. La première exerce une domination mentale sur Anne en prétendant lui dire la vérité et agir dans son intérêt. La seconde exploite parfaitement son apparente fraicheur désintéressée pour mieux profiter des faiblesses de la Reine.

I like when she puts her tongue in me.

Sarah et Abigail sont toutes deux de redoutables tireuses. Malheureusement, le gateau n’est pas assez grand pour leur appétit. Ces deux ambitieuses finissent par se neutraliser, en se crêpant le chignon d’une manière un peu ridicule.

Cette comédie ridicule est permise par une autre femme. La Reine est celle qui autorise ces comportements, car elle exerce son favoritisme. Elle a ses têtes. L’histoire eut été bien différente si Anne avait valorisé ses sujets pour leurs principes moraux, comme Marc-Aurèle (cf Gladiator) ou plus simplement Tess (cf Working Girl), plutôt que pour leurs flatteries.

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Oui mais voilà, la Reine est une femme blessée, encore marquée par la disparition précoce de ses 17 enfants qu’elle a vainement essayé de remplacer par des lapins.

Some wounds do not close. I have many such.

Anne est seule, faible, narcissique et capricieuse.

Did you just look at me? Did you?… Look at me! LOOK AT ME!… HOW DARE YOU! CLOSE YOUR EYES!

Elle est une sorte de corbeau, tellement content de pouvoir se faire charmer qu’elle réclame deux renards. Le couple se transforme en trio, dont on sait pourtant qu’il ne fait jamais bon ménage. Desproges n’a-t-il pas dit que moins de deux était l’idéal ?

Trois cela ne marche jamais (cf Love). Anne commet néanmoins l’erreur de faire rentrer Abigail dans la boucle, comme une manière de maintenir Sarah sous tension. Elle pense que les règles de la concurrence joueront à son avantage.

Erreur! Tout le monde finit par perdre à ce jeu-là.

There is always a price to pay. 

Le prix à payer pour une Reine qui a désespérément besoin d’amour, est de comprendre qu’on ne lui porte d’attention que par intérêt. Sarah qui ne veut partager le pouvoir avec personne, doit accepter de devoir tout perdre. Quant à Abigail qui a lutté toute sa vie pour sortir de l’asservissement, elle se retrouve contrainte de devoir masser la jambe d’une Reine qui la dégoûte profondément.

Les femmes peuvent être leurs meilleures alliées (cf Suspiria), comme leurs pires ennemies. Ces trois se neutralisent plutôt que de s’encourager (cf Hidden figures). Elles n’ont pas bougé d’un millimètre. Le piège du favoritisme s’est refermé sur elles.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

3 commentaires

  • Merci beaucoup pour cette recommandation de film! De mon coté, j’ai vu une belle leçon de psychologie avec une parfaite démonstration de ce qui fait la différence entre désir, envie et jalousie.
    Ainsi le film pourrait se diviser en 3 parties.
    Première partie, le désir. Un jeu pour soi. Abigail arrive au château, elle n’a qu’un seul désir: faire partie de la cour des grands et tourner définitivement le dos à ce passé qui l’empêche de se sentir légitime. Son désir se cristallise sur la figure de la Reine pour ce qu’elle représente.
    Deuxième partie, l’envie, un jeu qui se joue à 2. Découvrant la relation que Sarah entretient avec la Reine c’est l’envie qui s’installe chez Abigail. Elle va chercher à tout prix à écarter Sarah. Une compétition entre les 2 femmes s’installe. Les parties de chasse en sont la symbolique.
    Troisième partie, la jalousie, un jeu qui se joue à 3. Quand Abigail gagne les faveurs de la Reine c’est un trio infernal qui s’installe. On comprend ici tous les ressorts de la jalousie. La peur voire la haine de se voir prendre par l’autre, l’être du désir.
    A la fin du film on se dit que la nature humaine est bien compliquée et on a de la sympathie pour tous ces petits lapins qui semblent vivre dans un amour fécond et une harmonie parfaite!
    Conseilleriez-vous d’autres films sur le thème de la jalousie? Ou sur les lapins ?

    • Merci pour ce commentaire Delphine. Il y a effectivement trois temps dans cette histoire, dans un huis clos qui n’est pas sans rappeler « l’Enfer c’est les autres ». Parmi les films sur la jalousie : L’Enfer de Claude Chabrol, Jalouse, Black Swan
      Pour ce qui est des lapins, il y a toujours Alice au Pays des Merveilles, ou Donnie Darko. À moins qu’il ne s’agisse de lièvres…

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