PINK FLOYD: THE WALL

PINK FLOYD: THE WALL

Alan Parker, Gerald Scarfe, 1982

LE COMMENTAIRE

Nous pouvons parfois faire preuve d’une certaine bizarrerie en reprenant à notre compte des comportements que nous condamnons par ailleurs. Paradoxalement, nous crachons sur les Nazis et la rigueur de leurs défilés au pas de l’oie. Ce qui ne nous empêche pas de demander aux élèves de nos écoles de marcher l’un derrière l’autre, en silence, comme de bons soldats – aux ordres.

LE PITCH

Une rock star hésite entre déprime passagère et dépression permanente.

LE RÉSUMÉ

Au sommet de sa gloire, Pink (Bob Geldof) semble au plus bas. Cette foule de fans qui accourent pour assister à ses concerts le terrifie, lui procurant un fantasme de dictature malsaine. Pink a été marqué dans son enfance par cette deuxième guerre mondiale qui a emporté son père. Ces Allemands responsables de la disparition du paternel. Tout ça pour quoi ? Pour du Schnaps ?

La promesse d’un monde qui était censé être soit disant meilleur…

Did you see the frightened ones, did you hear the falling bombs, did you ever wonder why we had to run for shelter when the promise of a brave new world unfurled beneath a clear blue sky?

À l’école, Pink a subi les humiliations répétés de son professeur qui n’avait visiblement aucun intérêt pour la poésie. Cet homme passait la frustration de son couple sur ses élèves, par des châtiments corporels qui seraient désormais punis par la loi. C’est ainsi que le système scolaire uniformise et passe à la moulinette de nombreuses sensibilités.

If ya don’t eat yer meat, you can’t have any pudding! How can ya have any pudding if ya don’t eat ya meat?

Pink a échangé une mère étouffante pour une femme volage. Quand l’artiste emmène une groupie avec lui dans sa loge, il finit par faire une crise de nerfs et détruit tout autour de lui. Tous les traumatismes qu’il a vécu l’ont conduit à construire un mur, brique après brique. Ce mur a fini par l’isoler du monde.

Pink bascule dans la folie, anesthésié devant l’écran de TV. Confortablement. Son manager intervient pour que sa poule aux oeufs d’or puisse continuer à se produire. Sous tranquillisant, Pink s’imagine en dictateur incitant à la violence.

Soudainement, il reprend conscience.

Stop.

Au tribunal, il est jugé par tout le monde. Son professeur, sa mère, sa femme. Tous ceux qui l’ont enfermé derrière ce mur. La sentence tombe.

The evidence before the court is incontrovertible, there’s no need for the jury to retire! In all my years of judging, I have never heard before some one more deserving of the full penalty of law! The way you made them suffer, your exquisite wife and mother, fills me with the urge to defecate! Since, my friend, you have revealed your deepest fear, I sentence you to be exposed before your peers. TEAR DOWN THE WALL!

Les briques explosent. Des enfants sortent des décombres pour reconstruire.

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L’EXPLICATION

The Wall, c’est le danger de l’isolement.

Les murs sont pratiques dans la mesure où ils nous protègent, notamment du froid. Par exemple les SDF aimeraient bien pouvoir se réfugier derrière des murs en hiver.

Cette dimension pratique a été exploitée de façon à ce que les murs nous protègent de tout ce qui pourrait constituer une menace. Le rempart contre l’ennemi. Il faut rappeler à toutes celles et ceux qui prônent la démilitarisation que le monde n’est pas rose bonbon. Certains n’ont pas toujours de bonnes intentions envers les autres (cf Kirikou et la sorcière).

C’est ainsi qu’on a construit la grande muraille de Chine. Pour défendre la frontière Nord contre ceux d’en face qui voulaient la place. Parce que l’homme est un loup pour l’homme et que même à l’époque où la surpopulation n’était pas encore un problème, la terre n’était déjà pas assez grande pour tout le monde.

Aujourd’hui, la nature de la menace a changé. On veut dresser des murs non pas pour se protéger de l’ennemi, mais tout simplement de l’étranger. Cela suffit. Pour Donald Trump, un mur serait donc une bonne solution pour empêcher les Mexicains de venir coloniser the land of the free and the home of the braves.

Le mur est le support sur lequel on abat celles et ceux qui ne sont pas comme nous. Croyant nous débarrasser de la menace mais ne faisant que jeter de l’huile sur le feu de nos propres peurs.

Are there any queers in the audience tonight? Get ’em up against the wall! That one in the spotlight, he don’t look right! Get him up against the wall! And that one looks Jewish, and that one’s a coon! Who let all this riff raff into the room? That one’s smoking a joint! And that one’s got spots! If I had my way, I’d have all of you shot!

Le mur sert les intérêts commerciaux car il permet de faire payer l’entrée. Il valide la propriété privée. Plutôt que de faire la fête en plein air, on préfère danser dans une boîte dont on est prêt à payer l’entrée. Afin d’être entre nous.

Car le mur sépare. Il empêche de voir plus loin. On ne sait pas ce qui se passe au delà. Ce qui nourrit les fantasmes les plus fous, comme les angoisses les plus terribles. Pendant la guerre froide, les esprits s’emballaient de part et d’autre du rideau de fer.

Certains Berlinois·es se rappellent encore de la vie à l’époque où leur ville était coupée en deux, victimes du découpage du gâteau décidé par les super-puissances. La personne qui se trouve de l’autre côté du mur nous est de moins en moins connue, donc de plus en plus dangereuse.

Le mur marque une limite là où seul le ciel devrait en être une. Il nous enferme dans notre monde qui devient chaque jour de plus en plus petit. Le mur nous offre la tentation du protectionnisme. Garder ce qui est à nous précieusement. On se recroqueville.

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L’isolement finit par nous rendre fou, à l’image de Pink dont le cerveau est rongé par les vers. Heureusement, il comprend quelles ont été les briques qui ont constitué le mur qui l’étouffe. Il sait quoi faire exploser.

We don’t need no education, we don’t need no thought control. No dark sarcasm in the classroom. Teacher, leave them kids alone. Hey, teachers, leave them kids alone! All in all, it’s just another brick in the wall. All in all, you’re just another brick in the wall.

Le mur écroulé, les enfants peuvent investir les lieux.

Sans jugement (cf Tomboy). Ni besoin de cocktail molotov.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

7 commentaires

  • Superbe analyse ! Pour ma part, j’y ai aussi vu un aperçu romancé de la vie de Roger Waters (son père mort à la guerre, le rock, la drogue…), ainsi qu’une condamnation du fanatisme et du conformisme. La foule docile face aux paroles du dictateur se laisse endoctriner et insulter. Elle va jusqu’à semer le chaos pour obéir à son maître… Roger Waters avait d’ailleurs exprimé sa peur de se retrouver face à une foule (dommage pour lui, Pink Floyd n’était pas du genre à faire salle vide…). La foule apparaît presque comme un personnage à part entière tant le groupe agit souvent d’un seul homme, entre les enfants cruels et les adultes fous…
    Ce film regorge de symboles et d’éléments d’analyse, je pense le regarder de nouveau (j’aurai le temps pendant les semaines qui suivent….), ne serait-ce que pour ses chansons !

    • Merci Manon pour ce commentaire. Effectivement, il s’agit là d’un récit quasi-autobiographique. On sent déjà chez l’artiste une colère profonde contre un système qui encouragent le business des conflits armés (cf Lord of War). Toujours au détriment des mêmes personnes, et au service des mêmes personnes. Il dénonce un système scolaire frustré, violent, oppresseur, et conformiste. Un système médiatique abrutissant qui grille les cerveaux. Un système matrimonial qui fait souffrir (cf Marriage story). Il dénonce aussi le matriarcat à base de symboles phalliques. L’instinct grégaire qui nous transforme en moutons ou en clients de grande surface les veilles de Black Friday. Des briques qu’on dépose une à une et qui finissent par nous isoler des autres et de nous-mêmes, en nous coupant des enfants que nous étions jadis.

  • Z • Explication de Film
  • Pour moi le mur symbolise aussi la société qui nous façonne, fait effectivement de nous des moutons, clients de grande surface et avides de biens. Le système éducatif nous programme pour juste être une brique dans cet édifice mondialisé.
    Tel est l’essence de l’être humain et des civilisations, bâtir, s’organiser pour mieux se préserver, jusqu’à mettre en place des système trop complexes qui finissent pas se briser lorsque que des paramètres de l’environnement se modifient.
    Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, c’est cette fois un effondrement à l’échelle planétaire qui se profile, avec l’épuisemet entre-autre des energies fossiles, reponsables dans le même temps des dérives climatiques.
    Sur les décombres de cette ère d’expansion et de croissance dans un système qui n’est pas conçu pour s’auto-réguler, les enfants survivants rebatirons des murs pour protéger les communautés qui s’organiseront pour survivre, dans un monde affamé et aux ressources raréfiées.

  • Depuis ma découverte de Shine on your Crazy Diamond sur Oui FM en 1987 (j’avais appellé la radio en furie pour savoir quel était ce morceau), Pink Floyd est devenu est reste mon groupe préféré.
    The Wall n’est pas l’album que je mettrai au sommet (je lui préfère le rageur et désespéré Animals), mais l’adaptation cinématographique d’Alan Parker reste un choc absolu.
    Après un premier visionnage vers mes 20 ans, il m’a fallu dix ans pour accepter de le revoir tellement il m’avait bousculé.
    Tous les traumas de Pink passés en revus ont fait un écho violent à des réalités douloureuses et violentes chez moi.
    La puissance phénomênale de la musique des Floyd, associée aux scènes (surtout celles animées) malaisantes voire perturbantes ne parlera pas à tout le monde. Combien d’entre nous ont construits ce mur ? Combien en sont désormais prisonniers ?
    The Wall, le film, encore plus que l’album, a ceci d’unique qu’il est capable d’aller chercher des zones qu’on pensait inaccessible chez nous. Et de les questionner.
    Encore aujourd’hui à chaque visionnage, bien des questions émergent.
    Et la principale, la plus difficile, pourtant placée au centre du film, revient invariablement: doit on quand la douleur, le manque, sont trop douloureux, se protéger au point de se couper de tout ?
    Je n’ai toujours pas la réponse à cette question essentielle que pose ce film majeur.

    • Merci Olivier pour ce beau commentaire et cette question. Quand on a souffert soi-même, il est difficile de résister à la tentation de s’emmurer. Prisoners est une autre histoire qui montre les dangers de l’isolement.

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