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LE PRESTIGE

LE PRESTIGE

Christopher Nolan, 2006

LE COMMENTAIRE

On devrait toujours se méfier des prestidigitateurs. Celles et ceux qui ont le talent de nous faire voir le monde comme nous aimerions qu’il soit : incroyable. Ces brigands profitent de détourner l’attention des autres pour mieux les embrasser. Il en va de notre responsabilité de ne pas les laisser abuser de notre naïveté.

LE PITCH

Deux magiciens rivalisent d’ingéniosité pour prouver qui est le meilleur.

LE RÉSUMÉ

Chaque tour de magie se compose de trois actes:

  1. La promesse -Montrer l’objet qui va disparaitre
  2. Le tour – Faire disparaitre l’objet
  3. Le prestige – Faire réapparaître l’objet

Alfred Borden (Christian Bale) et Robert Angier (Hugh Jackman) sont deux magiciens qui partagent la même ambition dévorante bien que leur personnalité soient à l’opposé. Borden est un véritable amoureux de la magie tandis qu’Angier est un excellent showman. L’un est stakhanoviste tandis que l’autre est un artiste qui ne se salit pas les mains. 

Les deux hommes se livrent à une guerre sans merci. Angier veut voler les secrets de Borden. De son côté, Borden ne supporte pas qu’un vulgaire comédien puisse faire salle comble chaque soir.

Angier s’empare du journal intime de Borden qui le mène sur une fausse piste. Son voyage dans le Colorado à la rencontre de Nikola Tesla (David Bowie) lui offre pourtant ce qu’il cherche : une machine lui permettant d’éclipser son concurrent. Mais à quel prix ?

Tout comme Tesla, Angier et Borden sont les esclaves d’obsessions destructrices qui vont les conduire à leur fin.

L’EXPLICATION

Le Prestige, c’est se tromper.

Plus qu’un simple résultat, le prestige est la gloire. Ce moment unique où l’ego du magicien est flatté par les applaudissements. Angier et Borden en sont accrocs tous les deux, même si leur manière d’y parvenir n’ont rien à voir. Cette addiction va les conduire à faire n’importe quoi.

Borden est un amoureux de la complexité. Pour lui, le prestige n’a d’intérêt que si le tour en vaut la peine. C’est la maîtrise qui l’intéresse.

The secret impresses no one. It’s the trick you’re using for that is everything.

Pour réussir, il devient extrême. Son métier devient sa vie.

He lives his act!

Cette confusion lui fait prendre beaucoup trop de risques et fait aussi prendre trop de risques aux autres, puisqu’il tue Julia (Piper Perabo) par accident. Ses propres sacrifices laissent des cicatrices qui font souffrir son entourage, dont sa fille Jess ou sa compagne Sarah (Rebecca Hall).

De son côté, Angier assume pleinement son attirance pour la popularité. Ce qui le pousse à se comporter comme un véritable espion industriel. Il n’hésite pas à enfreindre tous les codes éthiques de la profession.

We don’t do any tricks we can’t control.

Dommage qu’il n’y ait pas assez de place sous les projecteurs pour ces deux monstres avides de lumière. Ils refusent de se partager la scène. Leur rivalité est un gâchis immense. Si seulement ces deux imbéciles avaient connu John Nash et sa théorie sur l’équilibre… Tous les deux auraient pu former le parfait magicien.

S’ils avaient seulement compris comment un leader et son challenger peuvent se servir l’un de l’autre (cf The Dark Knight). À croire que la rivalité semble être une maladie liée au pénis. Sans doute la malédiction du mâle alpha.

Leur rivalité les aveugle. Ou plutôt, ces deux professionnels se laissent bêtement aveugler car eux non plus veulent pas vraiment voir. Ils se trompent tous les deux. Angier refuse par exemple d’admettre la vérité : Borden est meilleur magicien. Il se joue du monde, tout le temps, grâce à un frère jumeaux dont il cache l’identité. Les deux se relaient pour entretenir le mystère.

Secrets are my life, our life.

Borden donne l’illusion de filer le parfait amour avec Sarah alors que son âme est divisée. La double vie qu’il mène avec son assistante (Scarlett Johansson), dont il ne peut pas parler à personne, l’empoisonne. Angier ne veut pas voir cette réalité, sinon il se rendrait vite compte que rien ne sert d’envier cette pseudo vie de rêve. À l’inverse, Angier préfère rester dans sa colère, sa jalousie et son nombril.

He’s performing again. Borden is out there, living his life just as he always intended as if nothing had happened. And look at me. I’m alone and no theater will touch me.

Il se trompe depuis le début en utilisant la machine de Tesla à mauvais escient : pour se dédoubler. Ce qui le contraint à tuer une part de lui à chaque tour, en croyant finalement se salir les mains.

It took courage to climb into that machine every night, not knowing if I’d be the man in the box, or the prestige. Do you want to see? What it cost me? 

Alors que Borden a su partager le prestige avec son jumeau, Angier ne regarde pas suffisamment près pour voir tout ça. Il ne veut pas voir (cf Eyes wide shut).

Are you watching closely?

Incapable de dépasser sa rancoeur. Aveuglé par son orgueil. Bien qu’il soit sous le feu des projecteurs, il n’en profite jamais vraiment.

Borden se trompe lui-aussi car il se sur-estime, méprisant son public au passage. Il ne veut pas faire le spectacle parce que cela l’arrange, refusant au passage d’admettre que la vie est également faite d’artifices. Angier n’a pas tort de ce point de vue:

You never understood why we did this. The audience knows the truth, the world is simple, miserable, solid all the way through. But if you can fool them, even for a second. Then you can make them wonder, then you got to see something very special. 

Borden souffre de vivre dans un monde où la reconnaissance des clients est nécessaire. Et comme disait Pascal dans ses Pensées, les clients se moquent pas mal de la prise, ce qui compte c’est la chasse. La valeur travail n’est pas récompensée. Le concept de méritocratie est une autre illusion. Non seulement Borden n’est pas reconnu à sa valeur mais il est carrément déclaré coupable d’un meurtre factice. Il paie de sa vie pour son obstination, piégé par une illusion. Drôle d’ironie.

Ces deux orgueilleux courent désespérément après un mirage. Car personne n’obtient jamais vraiment le prestige pour soi. C’est la punition des artistes narcissiques, incapables de remercier leurs équipes. Angier ne pense qu’à lui. Il instrumentalise Olivia et Cutter pour son succès personnel. Détourne une invention pour mieux se mettre en scène. Prend les mauvaises décisions et complote pour faire disparaitre son rival.

De son côté, Borden ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Incapable d’ignorer Angier, il s’est pris au piège tout seul en se retrouvant au mauvais endroit, au mauvais moment. Désormais sans son jumeaux, Borden ne peut plus être magicien.

Ces imbéciles ne parviennent pas à se dépasser eux-mêmes. Par conséquent, ils finissent immanquablement à la trappe. Au sous-sol. Là où ils seront ignorés du monde. Oubliés.

No one care for the man in the box.

Pour s’émanciper, il est donc absolument nécessaire de réussir à se détacher de son ego (cf The Words). Si nous n’arrivons pas à nous détacher de cet ego trop encombrant (cf Birdman), nous ne nous donnons pas la permission de regarder vraiment.

Now you’re looking for the secret. But you won’t find it because of course, you’re not really looking. You want to be… fooled.

Quand Borden se voit séparé de son double, il a la chance de pouvoir enfin se débarrasser de son obsession.

Obsession is a young man’s game.

Libéré de Fallon, Borden se voit offrir une chance unique : voir la vie autrement. Pouvoir mener pleinement son existence et s’occuper enfin de quelqu’un d’autre que lui-même en vivant sa vie de papa. Lui qui a cherché toute sa vie à s’échapper de la réalité peut désormais la regarder en face. Il est libre de pouvoir la vivre comme il l’entend.

You live your life in full now!

Plutôt que d’accepter notre place dans le monde, la possibilité de la mort et donc de voir la réalité telle qu’elle est ; nous cherchons à être divertis. Nous fuyons en permanence (cf Courage fuyons).

Pascal encore : L’homme est si vain qu’étant plein de mille causes essentielles d’ennui, la moindre chose comme un billard et une balle qu’il pousse suffisent pour le divertir. La fameuse rubber ball de Borden…

La fable nous permet de nous voir plus grands que nous ne sommes, ou a minima de croire en cette possibilité. Pourquoi garder le nez collé sur nos écrans sinon pour rester dans la matrice (cf Matrix) ?

Ainsi nous nous trompons également nous-mêmes en passant notre temps à regarder des fictions de divertissement. Nous ne voulons pas vraiment voir, nous voulons être trompés.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.


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