8 1/2
Federico Fellini, 1963
LE COMMENTAIRE
Les cinéastes voient la vie différemment par nécessité (cf La Main de Dieu). La réalité derrière des verres teintés. S’écarter du réel (cf Le Prestige). Comment ne pas leur donner raison ? Quand on baisse ses lunettes ne serait-ce que quelques minutes, illuminé par la lumière du jour (cf Matrix), on n’a qu’une envie : les remettre.
LE PITCH
Un réalisateur part en cure d’inspiration.
LE RÉSUMÉ
Guido Anselmi (Marcello Mastroianni) souffre du syndrome de la page blanche (cf Le Créateur). Il se retire dans un spa 5 étoiles mais il est constamment harcelé par son entourage.
Tu as bien quelques pages, une idée ?
Le critique Carini Daumier (Jean Rougeul) refroidit chacune des pistes auxquelles il songe. Sa maîtresse Carla (Sandra Milo) s’invite également mais il l’envoie dans une chambre d’hôtel vers la gare pour avoir la paix. Il pense croiser son défunt père.
J’ai tant de questions à te poser…
Guido commence à avoir des visions d’une femme parfaite (Claudia Cardinale).
Le Cardinal (Tito Masini) ajoute un peu de pression supplémentaire.
Le cinéma se prête mal à certains sujets. (…) Votre responsabilité est grande : vous pouvez éduquer ou corrompre des millions d’âmes.
Guido confie son intention à Rossella (Rossella Falk), une amie de sa femme.
Je voulais faire un film honnête. Sans le moindre mensonge. Je croyais avoir quelque chose de simple à dire. Un film utile à tout le monde, qui puisse aider à ensevelir toute la mort que nous portons en nous.
Puis les fantômes de ses maîtresses se mettent à le hanter. Il se fantasme dans un harem, bien entouré.
Les disputes avec sa femme Luisa (Anouk Aimée) s’enchaînent. Le couple se sépare après lecture du scénario, Luisa n’étant pas à l’aise avec le portrait que Guido fait d’elle dans son oeuvre.
C’est un film!
Je le sais mieux que personne. Une invention, encore un mensonge. On y est tous, mais à ta sauce. La vérité est tout autre.
Guido retrouve sa femme idéale, Claudia. Il lui explique le pitch mais celle-ci ne semble pas convaincue par le protagoniste.
Il ne sait pas aimer.
Guido est alors tenté de tout annuler.
Il n’y a pas de rôle dans le film, il n’y a pas de film, il n’y a rien du tout nulle part!
Pendant la conférence de presse ayant lieu sur le chantier d’un pas de tir de fusée, les journalistes le somment de s’expliquer. L’invité d’honneur doit s’executer. C’est son procès.
Vous allez nous faire un beau discours.
Il s’imagine pouvoir se soustraire à ses obligations. Finalement Guido accepte que sa vie soit faite de confusion. Plutôt que de faire un film pour les autres, il veut faire un film pour lui, rempli de toutes les personnes de sa vie. Un film dans lequel tous les figurants se retrouveraient dans une grande farandole heureuse (cf Underground).
Tout est redevenu comme avant, tout est de nouveau confus. Mais cette confusion, c’est moi. Moi tel que je suis, non tel que je me voudrais. Et ça ne m’effraie plus.
L’EXPLICATION
Huit et Demi, c’est l’immense talent du réalisateur.
Tout d’abord, tout le monde n’est pas capable de raconter une histoire. Les réseaux sociaux peuvent en attester. On ne s’improvise pas réalisateur : celui qui a la capacité de faire émerger un propos, avec une structure narrative précise et un angle que personne d’autre n’aurait pu imaginer.
Ce don attire forcément l’attention des envieux. Il intrigue.
On se demande ce que veulent vraiment les auteurs. (…) À quoi tu penses ? (…) Qu’est-ce que vous nous préparez ?
Le réalisateur devient dès lors un être exceptionnel à qui l’on se croit permis de tout demander – et n’importe quoi.
Vous ne vous prenez pas trop au sérieux ? Votre vie a-t-elle un intérêt ? Vous pourriez me parler de votre vie amoureuse ?
Difficile d’avoir des idées fraîches quand on a la tête aussi farcie. Guido éprouve le besoin naturel de se retirer de ce monde pour retrouver l’inspiration. Ce qu’il essaie de faire mais il est constamment poursuivi.
Inutile de te cacher, on t’a retrouvé!
Cet esprit perché (cf Man on the Moon) se voit ramené au sol. Interdit de décoller.
Comme tout esprit créatif, son processus est long et douloureux (cf Shining). Il traverse des phases de doute aigües (cf Amadeus). Victime du syndrome de l’imposteur.
Crise d’inspiration ? Et si elle n’était pas passagère ? Si c’était la fin d’un menteur privé de génie et de talent ?
Quand il a une ébauche d’idée, il souffre de se la faire automatiquement confisquer. Malheureusement, il n’a jamais vraiment complètement la main sur son oeuvre (cf Mulholland Drive). Du scénariste au producteur en passant par ses actrices, tout le monde veut faire partie de l’aventure mais personne n’est jamais satisfait.
Pourquoi m’as tu fait venir ? Qu’attends tu de moi ? Qu’est-ce que tu veux ?
Chacun lui impose son avis alors qu’il n’a rien demandé.
Lorsqu’il dévoile l’esquisse de son projet, le réalisateur se fait aussitôt pourrir.
Comment peux-tu vivre comme ça ? Toujours à mentir, sans laisser distinguer le vrai du faux. Tu te fiches donc de tout ?
Tout ce qu’il demande est qu’on lui fiche la paix.
Je veux marcher seul!
Paradoxalement, il sait qu’il a besoin des autres pour réaliser son rêve (cf Babylon). Il ne peut s’affranchir de ses femmes ou de ses critiques en tout genre. Son talent est de savoir composer avec toutes les personnes autour de lui pour parachever une oeuvre collective (cf Birdman).
Il surmonte ses angoisses pour devenir chef d’orchestre. Un diplomate dont la vision créative finit par mettre tout le monde d’accord. Plus qu’une capacité à faire émerger un propos, il concrétise sa vision en parvenant à faire danser tout le monde. S’il ne s’agissait que de lui et ses névroses, la performance n’en serait pas aussi belle.
Il puise dans le caractère des uns et des autres pour construire un ensemble, qui n’est pas toujours cohérent mais qui a le mérite de passionner.
Adulé par certains, incompris par beaucoup (cf Kennedy et Moi).
Perfectionniste dans l’âme, devant à jamais se contenter de réalisations qui ne seront jamais suffisamment abouties à son goût.
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