EYES WIDE SHUT

EYES WIDE SHUT

Stanley Kubrick, 1998

LE COMMENTAIRE

Qu’il est confortable de mener sa vie en spectateur. Profiter du show, sans prendre le moindre risque (cf Les Ailes du Désir). Se permettre le luxe de la critique (cf Birdman) ou se contenter d’applaudir bêtement, le cul sur sa chaise. Faire le choix délibéré de mener une existence tranquille et sans intérêt plutôt que de monter sur scène.

LE PITCH

Après une nuit blanche, un docteur n’arrive plus à fermer l’oeil.

LE RÉSUMÉ

La vie du Dr Bill Harford (Tom Cruise) est bien rangée : sa parfaite femme Alice (Nicole Kidman), sa petite fille polie, son petit sapin de Noël bien droit avec ses belles guirlandes qui scintillent. Il ne manque plus que le chien. Cela tombe bien, la gosse en veut un pour les fêtes.

Un soir de cannabis, Alice laisse éclater sa frustration en parlant à son mari d’un marin pour lequel elle se serait bien vue tout plaquer. Cette vérité inaudible fait basculer Bill dans une nuit interminable de tentations en tout genre.

Il est d’abord harcelé par la fille de l’un de ses patients (cf Harcèlement). Puis il se fait accoster par Domino (Vinessa Shaw) une professionnelle rencontrée au détour d’une rue. Après un tour dans un magasin de costumes aux mœurs plus que douteuses, il se perd lui-même dans un temple de débauches où il est reconnu par une mystérieuse hôtesse masquée (Julienne Davis).

Mis à l’index devant tout le monde, Bill est contraint de montrer son vrai visage. Il reçoit un message d’avertissement.

You are free to go. But I warn you… if you make any further inquires, or if you tell a single soul about what you’ve seen here tonight… there will be very dire consequences for you and your family! Do you understand?

Chahuté jusqu’au plus profond de ses certitudes, le voilà rongé par le doute. Il remonte en marche arrière le fil de ces événements interdits pour y trouver un sens. Mais le téléphone ne répond plus nulle part. La grille de la propriété est fermée. Dans le magasin de costumes, tout est rentré dans l’ordre entre le père (Rade Šerbedžija) et sa fille (Leelee Sobieski). La professionnelle a changé d’adresse. L’hôtesse est victime d’une overdose. Quant au pianiste (Todd Field), il a quitté les lieux. Et si rien de tout cela n’avait vraiment compté ?

La vie continue, comme le suggère Ziegler (Sydney Pollack).

Listen, Bill. Nobody killed anybody. Someone died. It happens all the time. Life goes on. It always does, until it doesn’t.

Sa femme découvre le masque de son mari, qu’elle expose sur le lit. Bill avoue après une nécessaire mise au point sans langue de bois (cf The Beta Test).

Alice invite son mari à reconnecter au plus vite.

I do love you and you know there is something we need to do as soon as possible.

What?

Fuck.

eyes_wide_shut_1999_1275x719_248587

L’EXPLICATION

Eyes Wide Shut, c’est bas les masques.

Les acteurs et actrices du quotidien jouent très bien leur rôle (cf Truman Show). Chaque jour, enfiler le costume de la bonne épouse ou du bon papa. Aller au bureau pour être de bon·nes collègues dans une comédie ridicule. Nul besoin qu’une intelligence artificielle programme qui que ce soit dans une matrice imaginaire. On s’en charge très bien soi-même.

Rien ne sert pourtant de faire semblant. Les fantasmes que l’on prétend ignorer frappent tôt ou tard à la porte. On peut bien s’imaginer être au dessus de tout soupçon, on va forcément finir par se prendre le mur d’une manière ou d’une autre. Bill le pantouflard se réveille brutalement.

Jusque là, il n’y a pas l’ombre d’une question dans sa vie. Il est le bon docteur avec sa parfaite petite famille. Tellement à l’aise dans sa routine qu’il ne regarde même plus autour de lui, y compris sa femme.

How do I look?

Perfect.

Is my hair okay?

It’s great.

You’re not even looking at it.

It’s beautiful. You always look beautiful.

Il ne fait plus attention, comme si cela n’était plus nécessaire. Dans sa vie comme dans un fauteuil. De la même manière, il est installé dans son couple comme sur un canapé, Bill croit dur comme fer que le mariage le protège de l’adultère. Immunisé. Il regarde la TV sa bière à la main. Sa femme ne peut pas le tromper puisqu’elle est sa femme, la mère de son enfant. Bill est donc à l’abri de la tempête, tel un chêne inébranlable.

You sound very sure of yourself.

I’m not, I’m sure of you!

Erreur.

Il n’existe pas de terre ferme et d’océan où l’on peut perdre pied. On est plutôt en apesanteur permanente. On flotte de la même manière dans le chateau, ou lors de la réception chez Ziegler : les masques sont plus ou moins apparents. Mais le protocole en place est identique.

La vocation de l’alliance n’est pas d’éloigner du mauvais oeil. Un simple fantasme d’Alice suffit pour déséquilibrer son mari. En une nuit, il n’est plus sûr de rien. Les tentations sexuelles en tout genre se déchaînent. Toutes les certitudes s’écroulent. Alice a ouvert la boîte de Pandore. Les yeux sont désormais grand ouverts.

Impossible désormais pour Bill d’ignorer ce petit diable sur le coin de son épaule.

tumblr_nzufzv2tFy1qetb0ho1_1280

La confession de sa femme lui sert d’électrochoc. Il gamberge. Pour la première fois, il voit (cf The Game).

Le lendemain, Bill se réveille dans le déni. Il ne peut raisonner son fantasme. Quand il essaie de se refaire le film de sa nuit, ce qu’on lui a dissuadé de faire, il n’y parvient pas. Et si tout ne s’était passé que dans sa tête ? Ce qui s’en suit pourrait tout à fait s’apparenter à un délire paranoïaque dans lequel Bill aurait l’impression d’être poursuivi par sa culpabilité. Sa conscience dans le manoir lui avait pourtant ordonné de la laisser tranquille et de ne surtout pas parler de tout cela. Heureusement pour lui, refermer les yeux est désormais impossible. Plus moyen de revenir en arrière.

Il sait désormais que le monde n’a rien avoir avec les eaux tranquilles dans lesquelles il croyait nager. Son voyage lui fait entrevoir toutes les couleurs de l’arc en ciel. Bill cherche la vérité et ne la trouve pas. Ziegler lui donne sa version de ce qui s’est passé. Ce n’est que sa perspective. Bill sort de cette expérience complètement désorienté mais plus fort après avoir réalisé que rien n’est ni blanc, ni noir comme il pouvait le penser.

Bill ne se rend pas compte de sa chance. Les yeux ouverts, sans y voir vraiment clair. Il passe encore à côté de l’essentiel, comme la une de son journal.

Lucky to be alive.

Sa chance est de pouvoir discuter avec Alice. Après avoir bu la tasse, il se met à table pour parler. Car le secret des couples modernes, ceux qui durent, réside précisément dans la parole. Communiquer, en conscience. Le désir est omniprésent. L’erreur serait de l’oublier ou de fermer les yeux.

Please Bill, no games.

Le sexe et la communication sont complémentaires et ne peuvent fonctionner l’un sans l’autre. Comme le yin et le yang. Le sexe valide une envie de l’autre. Et la discussion permet d’atteindre un niveau de compréhension mutuelle nécessaire pour traverser les turbulences du quotidien. Heureusement qu’Alice est là pour voir le verre à moitié plein.

I think we should be grateful.

Cette réalité n’est pas simple pour elle à gérer. Elle n’est sûre de rien. Par contre, elle veut bien essayer de ne pas se perdre dans les eaux troubles de la routine. Ne pas ignorer les Hongrois, ni les sirènes (cf Knock Knock). La solution qu’Alice propose à Bill est de faire l’amour, pas pour le sexe mais plutôt pour se tenir les coudes.

Beaucoup de couples sont passés maîtres dans l’art de l’hypocrisie (cf Le Jeu). Peu durent (cf Les Noces Rebelles, Marriage Story, Decision to leave). De ce point de vue, les nouvelles technologies rendent les choses plus difficiles encore (cf Newness, Love). Le duo Cruise-Kidman lui-même n’aura pas survécu à cette aventure.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

34 commentaires

Commentez ou partagez votre explication

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.