LES GRANDES FAMILLES
Denys de La Patellière, 1958
LE COMMENTAIRE
La démocratie promet le pouvoir au peuple, par le peuple et pour le peuple. Sachant que l’opinion est influençable (cf Les nouveaux Chiens de Garde). Les gens voteront comme on leur dira. C’est Tocqueville qui l’a dit. Pas grand chose n’a changé depuis. Le pouvoir est aux mains de quelques personnes qui ne comptent pas le partager. La démocratie n’est qu’un paravent.
LE PITCH
La leçon d’un patriarche à son fils tourne mal.
LE RÉSUMÉ
Les Schoudler forment une famille très puissante dirigée par Noël (Jean Gabin) et dont le portefeuille d’activités est variée.
Commandeur de la Légion d’Honneur, PDG des sucreries de Sonchelles, PDG des mines de Zoa, PDG de la banque générale Schoudler et de la chaîne de journaux du même nom.
Tout le monde se réunit à l’occasion des funérailles de Jean de Lamonnerie, le père d’Adèle Schoudler (Annie Ducaux), née Lamonnerie – femme de Noël.
On trouve déjà un Lamonnerie aux côtés de Saint Louis à la bataille de la Mansourah. Depuis, la famille s’est illustrée à toutes les générations.
Noël a du écourter son voyage à New York pour assister aux obsèques. Simon Lachaume (Bernard Blier), son fidèle assistant, l’informe des velléités de François Schoudler (Jean Desailly), le fils de Noël, concernant le journal.
Aujourd’hui les gens n’ont plus le temps de lire. Ce qu’il leur faut, c’est des titres choc! (…) Personne n’ose rien vous dire.
Noël sent que son fils veut la place. Il entend bien lui donner une leçon. Entre temps, il faut gérer les affaires de la famille. Le Général Robert de Lamonnerie (Jean Murat) est furieux qu’on le mette sur la touche.
Ces cochons me cisaillent ma sixième étoile! Et tu ne dis rien toi? Tu trouves normal qu’on me congédie comme un domestique!
Gérard (Aimé Clariond), le marquis de Lamonnerie, fait courir le bruit que Jean aurait voulu qu’il lui succède à l’Académie.
Sans parler de Isabelle (Françoise Delbart), une orpheline recueillie par les Lamonnerie, a été mise enceinte par Simon Lachaume marié par ailleurs.
Les piranhas sont partout, et se mêlent aux vautours.
Noël se concentre sur la leçon qu’il veut donner à son fils. Il lui confie la direction des sucreries de Sonchelles. François pense qu’il a carte blanche et commet quelques erreurs de gestion. Très sûr de lui, il confond vitesse et précipitation.
Ça va changer très vite. Dans six moi tu ne reconnaîtras pour rien.
Le plan de Noël fonctionne.
Vous m’aviez donné carte blanche!
Raison de plus pour faire attention! (…) Papa n’a pas de milliards qui dorment en prévision de tes coups de génie.
Malheureusement, Lucien Maublanc (Pierre Brasseur), s’immisce dans l’histoire et compte profiter de la faiblesse des sucreries pour faire vaciller l’empire des Schoudler – et se venger de Noël qui l’a toujours méprisé. La situation échappe complètement à François qui se sent responsable du fiasco et se suicide.
Noël a causé indirectement la mort de son fils. Il utilise ses appuis à la bourse de Paris auprès de Raoul (Louis Seigner) et Pierre Leroy (Jean Wall) pour contrer Maublanc.
Alors nous allons peut-être pouvoir nous arranger mais je vous préviens : ce sera donnant-donnant.
Tu sais très bien que nous te soutenons. Que veux-tu de plus ?
Je veux Maublanc.
Le vieux a réussi son coup, même s’il a perdu son fils dans la bataille. Dans les affaires, on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs.
L’EXPLICATION
Les Grandes Familles, ce ne sont pas toujours les plus soudées.
On dit la famille en crise (cf Les Liens du Sang, Everybody knows). Vue de l’extérieure, la famille ne va pas si mal. Elle donne quelques gages de sécurité quand on sait que quelques belles fortunes sont aux mains de certaines grandes familles. Raison pour laquelle les grandes familles forment un cercle très fermé.
Est-ce que Jacqueline de Magnac-Laval aurait épousé le fils d’un balayeur ?
(…) Ne pensez-vous pas qu’il soit souhaitable que ce suppléant appartienne à notre milieu?
(…) Une Lamonnerie, même avec tâche, reste une Lamonnerie.
Leur pouvoir fait rêver les personnes de peu de vertu comme l’actrice Sylvaine Dual (Nadine Tallier), qui couche utile (cf Promotion Canapé). Des actrices couchent parfois tellement utile qu’elles doivent changer de nom et renoncer à leur carrière. Dans le cas de Sylvaine, elle flirte ouvertement avec Simon Lachaume dans le but de se rapprocher des Schoulder et obtenir de bonnes critiques dans leur journal – presque comme une professionnelle.
J’aimerais devenir votre amie…
La reproduction sociale fait que l’héritage peut se transmettre tranquillement de grand-père en petit-fils.
Et voici Jean-Noël Schoudler (Patrick Millow). Il a tout trouvé dans son berceau y compris la beauté.
Le tout est évidemment exonéré d’impôt, malgré ce que peut en dire le Général.
Avec les impôts que tu payes…!
Pour les riches, les impôts sont toujours trop élevés dès lors qu’il s’agit de leur patrimoine.
La famille Schoudler s’est diversifiée et sait se recycler. Ses membres n’ont pas de souci à se faire a priori.
Mis à la retraite mon cher!
Et bien. J’ai justement besoin de quelqu’un pour un conseil d’administration délicat. L’expérience d’un général de division me sera précieuse…
Les grandes familles se construisent de jolies légendes : ils se font passer pour des bosseurs qui ont pris des risques. Noël Schoudler développe toute une propagande visant à faire croire que les Schoudler n’ont pas volé leur argent.
Ce sont les Schoudler qui ont fait la prospérité de la région! C’est le berceau de la famille. Mon arrière-grand-père était un grand cultivateur dans la région. C’est mon grand père qui a fondé l’usine et mon père y a passé toute sa vie… Il était debout le matin à 6h. Ma mère aussi d’ailleurs. Y’avait cinq domestiques à la maison mais c’est elle qui lui faisait son café et nouait sa cravate. Le matin à 7h il était à la porte de l’usine si personne n’était en retard. Il ne s’abstenait jamais. Sauf le jeudi et le dimanche pour venir me chercher au collège, après la messe.
Même si le véritable talent est de faire travailler les autres (cf Germinal). Ce sont des gens qui n’ont aucune générosité et qui masque à peine leur mépris de classe.
Nous votons tous les deux à droite : toi c’est pour préserver la famille. Moi c’est pour écraser les ouvriers.
Ces légendes servent essentiellement aux grandes familles pour pour éviter de se faire détester par les pauvres. Elles n’en ont pas besoin car la haine qui les ronge en interne suffit largement.
Comme toutes les grandes familles, les Schoulder sont remplies de loups qui ne veulent pas laisser leur place comme Noël, ou d’ambitieux comme François. Il y a aussi quelques parasites comme Lucien Maublanc.
Vous me haïssez parce que je m’amuse, vous me haïssez et je vous emmerde.
Et évidemment, tout le monde se jalouse. Le père n’est pas tendre avec son fils.
Il est toujours gênant devant les étrangers de traiter son fils de morveux.
Je ne vous permets pas!
Tu n’as rien à me permettre. Pour permettre il faut pouvoir interdire. Il faut être le patron et le patron c’est moi! N’oublie pas que tu es le fils Schoudler, un point c’est tout. Tout ce que tu as était dans ton berceau et tout ce que tu es, c’est moi qui l’ai payé. Car j’ai tout payé! Y compris ta sortie de polytechnique, ta légion d’honneur et ta femme…
Chaque membre de cette grande famille pense d’abord à sa gueule. Il n’y a pas de place aux scrupules. Le père joue avec le feu pour prouver au fils qu’il est le maître absolu. Ce qui va conduire le fils à se coller une balle dans la tête à cause du cousin. Le père ne verse aucune larme. Dans les grandes familles, on ne s’aime pas. Surtout, on n’est pas là pour enfiler des perles (cf Le Parrain 2). C’est Dallas, ton univers impitoyable. Les pauvres ne sont pas taillés pour cela.
Que les miséreux se réconfortent. Ils sont exploitées certes, mais au moins ils sont solidaires dans leur galère (cf Parasite, les Tuche).