SAFE
Todd Haynes, 1995
LE COMMENTAIRE
Un pot de fleurs est en général choisi par la personne en charge du public d’un programme TV. Il est placé derrière l’invité·e, face caméra. On ne lui demande rien d’autre que d’être agréable à regarder. Le problème apparait lorsque l’on a l’impression de servir de pot de fleurs… chez soi.
LE PITCH
Une desperate housewife perd les pédales.
LE RÉSUMÉ
Carol White (Julianne Moore) vit avec son mari Greg (Xander Berkeley) dans les quartiers chic de Los Angeles. Elle est ce qu’on appelait une femme au foyer qui ne s’assume pas.
Do you work?
No, I’m a house… I’m a homemaker, I’m working on some designs for our house in my spare time.
Carol occupe son temps à surveiller les employé·es de maison, gérer le mobilier, assister à des cours de gym pour garder la forme et regarder le plafond lorsque Greg a une érection.
Alors qu’elle conduit, elle manque de s’étouffer à cause d’une crise de toux soudaine.
Une amie lui conseille de commencer un régime à base de fruits.
They’re supposed to sort of naturally cleanse the body of all the toxins. (…) Maybe you should try it? We can do it together. It will be a lot of fun.
Lors d’un diner, Carol semble absente. Elle consulte le docteur Hubbard (Steven Gilborn) qui ne voit aucun problème.
I really don’t see anything wrong with you.
Cependant Carol ne semble pas aller mieux. Elle change de coiffure. Son mal de tête est toujours là. Greg perd patience.
What the hell is going on? Nobody has a fucking headache every night of the fucking week!
Carol consulte un psy. La thérapie ne la mène nulle part.
Aren’t you supposed to ask more questions?
Well, no. We really need to be hearing more from you. What’s going on… in you?
Bien que ses examens physiques soient parfaitement normaux, Carol a des crises d’angoisses et semble développer des réactions allergiques au contact de certaines substances chimiques.
Une publicité pour une communauté attire son attention : des individus qui, comme elles, sont hypersensibles aux produits chimiques et vivent en isolation dans le désert californien. Elle se rend à des réunions en compagnie de Greg et décide de tenter l’aventure à Wrenwood.
Your oasis is your safe space.
Cette communauté aux allures de culte est animée par Peter Dunning (Peter Friedman) dont le discours moralisateur créée une forme de dépendance.
What you see outside is a reflection of what you see within. (…) Nobody out there made you sick. You know that. The only person who can make you get sick is you, right? (…) Does anybody have a problem with that?
Bien qu’entourée de malades comme elle, Carol voit ses symptômes s’aggraver. Elle a des tâches sur la peau et se sert d’un masque respiratoire. On lui propose de s’isoler dans un igloo où ses contacts avec le monde extérieur seront encore réduits.
I’ve stopped reading the papers.
Désormais dans un espace complètement clos, elle peut s’observer dans le miroir.
I love you, I love you, I really love you, I love you…
L’EXPLICATION
Safe, c’est plus dangereux de jouer la carte de la sécurité.
Si l’on part du principe que l’on ne vit qu’une fois, alors il est préférable de s’installer à la table du casino pour y jouer. À défaut de gagner, on peut au moins ressentir quelques frissons. Sinon, le risque serait de tout perdre quoiqu’il arrive – avec le regret de ne même pas avoir misé. Le drame de découvrir au soir de la vieillesse que je n’avais pas vécu (cf Le Cercle des Poètes disparus). Rien de pire.
Carol préfère jouer safe.
Elle est femme au foyer et fait le strict minimum dans sa journée. Cette situation ne lui convient pas puisqu’elle est totalement désorientée. On ne réussit pas à trouver sa place sans rien faire.
Where am I right now?
À privilégier la sécurité, Carol devient transparente.
Le danger vient également du fait que Carol est conseillée par des proches qui ne lui souhaitent que du bien. Personne n’est donc capable de lui dire de se mettre les doigts dans la prise – façon de parler. On ne l’incite à se mettre un bon coup de pieds aux fesses pour se réveiller et faire quelque chose de sa vie. Au contraire, on l’écoute et on a plutôt tendance à l’inciter à en faire encore moins.
You just relax and take care of yourself…
Cet environnement vicieux fait plonger Carol dans une spirale infernale. Moins elle joue, et moins elle a envie de jouer. Elle devient hypersensible et sombre dans une forme de dépression hypocondriaque. Incapable de trouver une solution à son mal être qu’aucun·e n’arrive véritablement à définir.
My concern is that it sounds like a spiraling down.
Moins on en fait et mieux on se porte ? Erreur!
Si rien ne va mal, la situation de Carol empire.
À force de chercher à se mettre en sécurité et se protéger du monde, on ne fait que s’isoler encore davantage. Carol se coupe petit à petit de son mari, dont elle n’était déjà pas très proche. Puis elle se coupe également de ses amies pour rejoindre une secte d’inconnu·es, et finir seule dans un igloo.
Au sein de cette secte, elle rencontre des malades imaginaires qui s’entretiennent dans leur malaise, avec la complicité d’un gourou.
It is in your head.
Le discours fonctionne. Les membres de la communauté se réfugient avec fatalisme derrière le fait qu’ils ou elles se sont rendues malades. Ainsi soit-il.
I believe that I made myself sick.
Étrangement, on ne s’active pas beaucoup pour quitter cette communauté où tout le monde se sent bien au chaud. Pas d’initiative. Ainsi Carol peut s’enterrer tranquillement dans son igloo où elle s’estime enfin heureuse.
I’m trying to see myself, hopefully, more as I am.
Sa petite lumière n’aura pas brillé de milles feux, ni très longtemps. Elle va s’éteindre toute seule dans le désert où personne ne la remarquera.