MON ONCLE D’AMÉRIQUE
Alain Resnais, 1980
LE COMMENTAIRE
L’individu aime à s’imaginer si émotionnellement complexe que même la plus avancée des intelligences artificielles ne saurait le décrypter. Il sous-exploite son potentiel (cf Limitless, Lucy). Tout cela pour mieux masquer la réalité qui est que l’individu ne vaut pas mieux qu’un vulgaire rat de laboratoire.
LE PITCH
Un professeur a tout compris du comportement humain.
LE RÉSUMÉ
Le médecin chirurgien neurobiologiste et philosophe Henri Laborit expose sa théorie du vivant (cf Life : Origine Inconnue).
La seule raison d’être d’un être, c’est d’être. C’est à dire maintenir sa structure. Se maintenir en vie.
Il traite des quatre types comportements principaux :
- Consommation
- Gratification
- Punition
- Inhibition
Son propos est illustré par les destins croisés de Jean Legall (Roger Pierre) qui quitte sa femme (Nelly Borgeaud) pour Jeanine Garnier (Nicole Garcia), une comédienne qui vit de petits rôles. Quand il s’en retourne avec sa femme, Jeanine intègre un grand groupe textile dirigé par Zambeaux (Pierre Arditi) où travaille René Ragueneau (Gérard Depardieu) qui va commettre une tentative de suicide après avoir été mis en concurrence directe avec Léon Veestrate (Gérard Darrieu) puis réaffecté à Cholet.
Humilier un homme, ça ne se fait pas!
Chacun d’entre eux a son histoire. Jean est né sur une île. René est un fils d’agriculteur devenu directeur d’usine. Jeanine a quitté ses parents pour mener sa vie. Chacun d’entre eux fantasme sa vie comme s’il s’agissait d’un film de cinema.
Henri Laborit prend trois expériences sur des rats de laboratoire pour démontrer la théorie de Paul D. MacLean sur les trois niveaux cérébraux :
1. Le cerveau reptilien qui nous protège et dirige notre comportement de consommation.
Nos pulsions sont toujours celles très primitives du cerveau reptilien.
2. Le cerveau limbique qui guide notre recherche de gratification, nous fait fuir la punition ou s’inhibe lorsqu’aucune option est ouverte, provoquant du stress et générant l’ulcère de René ou les coliques néphrétiques de Jean.
3. Enfin le neocortex sert à justifier nos comportements précédents et masque le fait que les humains ne cherchent qu’à instaurer des rapports de domination entre eux.
Il y a simplement l’apprentissage par le système nerveux d’un individu de la nécessité pour lui de conserver à sa disposition un objet ou un être qui est désiré, envié par un autre être. Et il sait par apprentissage que dans cette compétition, s’il veut garder l’objet et l’être à sa disposition, il devra dominer.
Ce réflexe de domination ne peut conduire qu’au malheur individuel et collectif. S’il ne peut être éliminé, il pourrait être exploité à une autre fin. Comme on ne peut pas faire disparaitre la force gravitationnelle mais l’utiliser pour aller sur la lune.
Encore faudrait-il en être conscient.
Ce qu’on appelle la personnalité d’un homme se bâtit sur un bric à brac de jugements de valeurs, de préjugés, de lieux communs qui au fur et à mesure que son âge avance deviennent de plus en plus rigides et qui sont de moins en moins remis en question. Et quand une seule pierre de cette édifice est enlevée, tout l’édifice s’écroule.
L’EXPLICATION
Mon Oncle d’Amérique, c’est un bouc-émissaire.
Henri Laborit fait le postulat d’un comportement humain qui serait conditionné par son environnement.
Au début de l’existence le cerveau est encore immature donc dans les deux ou trois premières années de la vie d’un homme, l’expérience qu’il aura du milieu qui l’entoure sera indélébile et constituera quelque chose de considérable pour l’évolution de son comportement dans toute son existence. Et finalement nous devons nous rendre compte que ce qui pénètre dans notre système nerveux depuis la naissance et peut-être avant, in utero, les stimulus qui ont pénétré dans notre système nerveux nous viennent essentiellement des autres. Nous ne sommes que les autres.
Jean a été conditionné par la volonté de sa famille père d’en faire un officier de marine. René était perçu comme un bon à rien par son père. Jeannine n’avait pas d’autre choix que d’assister chaque année à la fête de l’Huma avec ses parents.
Impossible de faire l’économie de son environnement.
Dans notre rapport à autrui, nous mettons très vite en place des schémas qui nous conduisent à essayer de dominer l’autre.
Quand deux individus ont des projets différents ou le même projet mais qu’ils rentrent en compétition pour la réalisation de ce projet, il y a un gagnant et un perdant. Il y a établissement d’une dominance d’un individu par rapport à l’autre. La recherche de la dominance, dans un espace qu’on peut appeler le territoire, est la base fondamentale du comportement humain.
C’est l’expérience brutale que vit Jeannine mise en concurrence avec la femme de Jean. Celui-ci est d’ailleurs écarté de son poste par un ancien camarade de promo. Quant à René, il rentre en confrontation directe avec son double en la personne de Veestrate.
On est en train de comparer mon travail avec celui d’un autre. Cela ne m’était jamais arrivé.
Finalement les humains se retrouvent enfermés par leurs propres conventions comme des rats dans une cage. Leurs réactions sont similaires. À ceci près que ces mêmes conventions les empêchent. L’agressivité peut alors se retourner contre eux.
Ce qui est facile pour un rat en cage et beaucoup plus difficile pour un homme en société. (…) Chez l’homme, les lois sociales interdisent cette violence défensive.
Dans leur misère, les humains peuvent toujours s’en remettre à leur neocortex pour s’accommoder de leurs deux autres cerveaux, et mieux poursuivre leur petite comédie. On trouve toujours un mystérieux Oncle d’Amérique pour légitimer son propre comportement. C’est toujours de sa faute. L’éléphant dans la pièce qu’on fait mine de ne pas voir.
Qu’il s’agisse de René qui s’agace de l’excuse utilisée par son père pour mieux inhiber son action.
Tu me rappelles mon père. Chaque fois qu’on parlait d’un changement dans nos méthodes ou d’aller travailler en ville, il nous sortait son oncle d’Amérique.
Ou de Jean qui nourrit son comportement de gratification.
J’entendais tout le temps parler d’un oncle qui était parti en Amérique. J’étais sûr qu’il reviendrait pour me dire où se trouvait le trésor. Pour moi, le roi de l’or c’était lui, mon oncle d’Amérique. Je le cherche toujours…
Ou de Jeannine qui justifie son comportement de consommation.
J’étais comme la plupart des gens qui attendent le bonheur comme on attend un héritage, quelque chose qui vous est dû. Un oncle d’Amérique.
Pendant que les autres tournent en rond, Henri Laborit a tout compris. Il prêche la bonne parole.
Tant que l’on aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent, et tant qu’on n’aura pas dit que jusqu’ici c’est toujours pour dominer l’autre il y a peu de chance qu’il y ait quelque chose qui change…
Maintenant, on ne peut plus faire comme si on ne savait pas. Mais que faire ? Comment transformer notre volonté de dominance en quelque chose de plus constructif pour la civilisation ?
On verra plus tard.
En attendant, mettons tout sur le dos de notre oncle d’Amérique.