LE PLACARD
Francis Veber, 2001
LE COMMENTAIRE
L’entreprise est le royaume des faux-semblants. Parce que les collaborateurs ou collaboratrices sont souvent de piètres acteurs ou actrices, les regards peuvent en dire long. Certains silences ne trompent pas. Plutôt que dissimuler leurs opinions, ils ne font que refléter leur hypocrisie.
LE PITCH
Un comptable découvre par hasard que sa hiérarchie s’apprête à s’en séparer.
LE RÉSUMÉ
Pas de place pour François Pignon (Daniel Auteuil) sur la photo annuelle d’entreprise. Kopel (Jean Rochefort), le directeur de cette usine de préservatifs (cf El buen patron), s’impatiente. Tant pis pour Pignon.
Bon on la fait cette photo ?! On a déjà assez perdu de temps…
C’est dans les toilettes que Pignon apprend son futur licenciement, de la bouche de Félix Santini (Gérard Depardieu), le chef du personnel avec un autre collaborateur. Classe.
C’est pas grave, il est viré le mois prochain. Mais il le sait pas encore.
Pauvre type.
Non, c’est un con.
Pignon tente d’appeler son ex-femme (Alexandra Vandernoot) qui ne prend pas le soin de décrocher. Après quoi, elle lui laisse un message de politesse.
Je ne me fais pas de souci, tu vas rebondir.
Sympa.
Abattu, Pignon rentre chez lui et songe à se suicider.
Son nouveau voisin Jean-Pierre (Michel Aumont), ancien psychologue d’entreprise, s’invite pour l’empêcher de faire une bêtise. Les deux hommes parlent. Pignon se livre.
C’est toute ma vie qui est loupée…
Jean-Pierre lui suggère alors de sortir du placard avant qu’il ne soit trop tard, pour attirer l’attention d’une manière qui puisse le protéger d’une fin de contrat.
Avouez votre homosexualité!
Jean-Pierre pense que le motif pour lequel il a été lui-même viré il y a des années pourrait aider Pignon à rester dans sa boîte.
Un photo-montage de Pignon les fesses à l’air, en charmante compagnie masculine, circule dans les bureaux. Si le directeur le vire, il redoute d’avoir les associations gay sur le dos. Le plan de Jean-Pierre fonctionne. Soudainement, le licenciement n’est plus d’actualité.
Fait chier ce pd!
La rumeur se propage vite en interne. Guillaume (Thierry Lhermitte) et un collègue (Edgar Givry) l’exploite pour mettre la pression sur Santini en lui faisant croire que son homophobie risque de le conduire vers la sortie. Il doit sympathiser avec Pignon.
Mademoiselle Bertrand (Michèle Laroque) ainsi que son assistante (Armelle Deutsch) ont des doutes sur l’orientation sexuelle de leur collègue.
Les événements s’enchainent. Pignon qui se fait d’abord passer à tabac par deux collègues, puis qui couche avec Mademoiselle Bertrand.
Vous n’êtes pas un bonhomme grisâtre, vous êtes quelqu’un de bien.
Lui qui était sur la touche commence enfin à marcher dans ses pompes.
Depuis que je passe pour un homo, je commence à me conduire comme un homme.
Il coupe définitivement les ponts avec son ex-femme. Regagne l’estime de son fils (Stanislas Crevillen). Sécurise sa place au sein de l’entreprise.
L’employé a du sortir des conventions pour mieux rentrer dans le cadre.
L’EXPLICATION
Le Placard, c’est de la politique d’entreprise.
L’entreprise est un microcosme au sens littéral du terme. C’est à dire un groupe représentatif de son milieu social. Une image réduite du monde. Un monde dans le monde, pas hors du monde. Ce qui veut dire que l’entreprise n’est pas régie par la règle du Ce qui se passe à Vegas reste à Vegas. Elle n’est pas étrangère aux évolutions de la société.
Au contraire, elle reflète les évolutions de la société. Les conduites inadmissibles en société ne sont pas plus permises entre les murs de l’entreprise. Certains comportements tolérés hier (cf Promotion Canapé) sont devenus illégaux.
Kopel en est parfaitement conscient, que cela lui plaise ou non. Lors de son comité de direction, certaines réflexions embarassent – notamment les remarques homophobes de Santini.
À notre époque il faut éviter certaines plaisanteries, je ne vous le répéterai pas.
On se met au diapason.
L’entreprise est aussi violente que la société peut l’être (cf La Loi du Marché, Chute Libre), bien qu’en apparence tous les poissons donnent l’impression d’être heureux dans leur bocal. Dans les couloirs, c’est le far-west. Les ragots s’échangent. Tout le monde joue la comédie.
Je crois pas que ça soit utile de le rappeler mais vous êtes tous là pour une photo d’entreprise. Alors on sourit, on est content. On montre qu’on est heureux de faire partie de cette belle maison.
L’entreprise est violente de deux manières. Elle peut être sans filtre, à l’image d’Ariane dont les menaces misogynes à l’encontre de Pignon sont pour le moins explicites.
Vous vous êtes conduit comme une bonne femme hystérique et je peux vous dire que si vous continuez à vous comporter comme ça, vous n’aurez plus beaucoup d’amis dans l’entreprise.
L’entreprise, comme la société, peut aussi exclure les membres qui la compose de manière dépassionnée (cf Ressources Humaines). Sans bruit. Pignon est copieusement ignoré par son ex-femme et son fils. De la même manière, ses collègues lui réservent un sort identique : certain·es s’emploient à le faire disparaitre discrètement. Sans rien lui dire en direct, comme on peut se prendre des couteaux dans le dos parfois.
Mademoiselle Bertrand est au courant de tout. Elle ne dit rien.
Vous le saviez ?
Non pas vraiment.
Dans cette jungle, Pignon a un souci qu’il a réussi à identifier grâce à Jean-Pierre. Il est transparent (cf Joker).
Mon problème, c’est que je suis insignifiant.
S’il veut exister, ou plutôt s’il ne veut pas disparaitre, il doit se faire violence. Jouer des coudes pour ne pas se faire marcher sur les pieds par les brutes autour de lui.
Personne ne va le prendre par la main. Alors il doit s’installer à la table des négociations pour jouer le jeu politique. Un sale gosse de plus à la table des hautes instances. Se lancer dans une partie d’échecs (cf L.A. Confidential).
Vous avez eu une vie bien vide jusqu’à présent et maintenant il vous arrive enfin quelque chose.
Penser de manière stratégique, grâce à l’aide de Jean-Pierre. Pas forcément pour se hisser jusqu’au sommet, mais ne serait-ce que pour rester accroché à l’échelle.
Il utilise son orientation sexuelle comme un gilet par balles. Sa couverture explose lorsqu’il est pris sur le fait par Kopel et une poignée de clients Japonais, en train d’essayer des préservatifs avec Mademoiselle Bertrand. Mais comme cette surprise a eu un effet positif sur les clients, ce mensonge n’est plus un souci pour personne. L’éthique tient à la fois du chêne et du roseau.
Le problème ne se pose pas en ces termes…
François Pignon s’est constitué son assurance vie au sein de l’entreprise.
Homosexuel ou pas, vous êtes un chieur Monsieur Pignon!
On ne peut plus le déboulonner. Jean-Pierre peut être fier de son élève.
Vous avez bien manoeuvré mon petit bonhomme.
Il a réussi. Salarié épanoui, François Pignon est également un homme heureux.