CHUTE LIBRE
Joel Schumacher, 1993
LE COMMENTAIRE
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. À force d’avaler des couleuvres, on finit par en avoir une indigestion. Toutes les vilaines pensées qui nous traversent l’esprit (cf American Psycho) peuvent devenir réalité. On fait la bascule. Le petite employé inoffensif devient une menace pour la société de consommation.
LE PITCH
Un homme à bout de nerfs finit par péter les plombs.
LE RÉSUMÉ
Récemment divorcé d’Elizabeth (Barbara Hershey) et nouvellement chômeur (cf La loi du marché), William Foster (Michael Douglas) se retrouve coincé dans le traffic de Los Angeles, sans air conditionné. La tension monte. Il explose et quitte son véhicule dans une tempête de klaxons. William se met en tête de rentrer à la maison.
I’m trying to get home!
Aujourd’hui, c’est la fête d’anniversaire de sa fille Adele (Joey Hope) qu’il n’a pourtant plus le droit d’approcher. Foster ne veut pas rater ce moment.
Son voyage commence par le saccage d’une supérette tenue par un Coréen puis par une altercation avec deux membres d’un gang. Désormais équipé d’un fusil mitrailleur, Foster sème la pagaille dans un restaurant.
Il appelle Elizabeth pour la prévenir de son intention de rentrer. Elle prévient aussitôt les autorités compétentes : Le sergent Martin Prendergast (Robert Duvall) est mis sur l’affaire.
Foster se débarrasse d’un commerçant xenophobe (Frederic Forrest) puis s’équipe d’un lance-roquettes. Il change également de chemise, noire facho. Tout ceux qui le croisent en prennent pour leur grade notamment ceux qui n’en glandent pas une, qu’ils soient employés de la voirie ou golfeurs.
Foster rentre enfin à la maison, tel Ulysse. Malheureusement, Pénélope a mis les voiles avec leur fille. Après une minute de nostalgie à regarder de vieilles vidéos du passé, il les retrouve vers la jetée. Prendergast le retrouve aussi et tente de le raisonner.
I’m the Bad Guy?
Yeah.
How’d that happen? I did everything they told me to. Did you know I build missiles? I helped to protect America. You should be rewarded for that. But instead they give it to the plastic surgeons, you know they lied to me.
Is that what this is about? You’re angry because you got lied to? Is that why my chicken dinner is drying out in the oven? Hey, they lie to everyone. They lie to the fish. But that doesn’t give you any special right to do what you did today. The only that makes you special is that little girl. Now let’s go. Lets go!
Foster braque Prendergast – d’un pistolet à eau. Prendergast l’abat dans la foulée avec un vrai pistolet.
Prendergast informe Elizabeth et lui recommande de ne pas le dire à Adele afin de ne pas gâcher la fête d’anniversaire de la petite. Ce serait dommage en effet.
L’EXPLICATION
Chute Libre, c’est une société qui ne pardonne pas.
La société nous prend, nous essore puis nous jette avec l’eau du bain (cf Matrix). Une carrière entière dans la même compagnie puis on disparait des radars, pour ceux qui atteignent la retraite (cf Monsieur Schmidt). Foster explose en vol. Son mariage l’a laissé sur le carreau. Il est devenu persona non grata sur décision de son ex-femme, par précaution. Il est vrai que les féminicides sont encore trop nombreux.
I just didn’t want to wait until he gets around it.
L’entreprise de Foster l’a fait sauter comme un vulgaire fusible. Ça s’passe comme ça chez McDonald’s. La surpopulation mondiale bloque Foster dans les embouteillage, l’empêchant d’avancer, coincé au milieu des ambitieux (cf La La Land). Le réchauffement climatique va lui faire perdre son sang froid. Foster ouvre la portière et se débranche. Burn out. En colère, il se met en chemin pour la maison par besoin de se retrouver. Rentrer chez lui.
Plutôt que de le faire paisiblement en s’inscrivant à Pôle Emploi et en suivant des cours de yoga comme tout le monde, Foster recrache avec violence toute la haine qu’il a envers ce système qui déshumanise et nous dresse les uns contre les autres.
I don’t understand fie. there is a ‘v’ in the word five. There is no ‘v’ in China?
I’m not Chinese, I’m Korean.
Whatever. You come to my country, take my money and don’t even speak my language?
Foster n’a rien d’un gaucho qui critique la World Company libérale et son univers impitoyable puisqu’il tient même des propos Macronistes, voire Républicains, c’est à dire quasi réactionnaires.
You got to give me something.
Why don’t you try to get a job?
Il est en colère contre le système et exprime cette colère avec beaucoup de lucidité. Il a raison. Tout le monde sait très bien qu’on nous donne envie avec de savoureux burgers épais qui n’ont absolument rien à voir avec la réalité.
It’s plump, juicy, three inches thick. Look at this sorry, miserable, squashed thing. Can anybody tell me what’s wrong with this picture?
Tout le monde sait que payer sa canette de Coca plus de 2 euros, c’est du vol pur et simple.
You think I’m a thief? Oh, you see, I’m not the thief. I’m not the one charging 85 cents for a stinking soda!
Tout le monde est conscient que Trump dit des horreurs parfaitement intolérables.Et pourtant personne ne fait rien. On reste dans les embouteillages. À râler discrètement, manifester pour le principe. Le klaxon nous coupe le courage d’ouvrir notre portière et faire le pas nécessaire vers la liberté. Foster a pris ce risque parce qu’il ne pouvait plus continuer comme ça. Il ne reviendra pas.
I’ve passed the point of no return.
Tout ce qu’il veut c’est retrouver sa vie, être heureux à nouveau.
Parce qu’il n’en pouvait plus et qu’il a eu le malheur de le crier haut et fort, il est devenu un danger pour la société qui l’a cramé. À ce titre, il va être puni par Prendergast, le chien de garde du système (cf Piège de cristal), policier quasi à la retraite qui fait du zèle.
Foster est dangereux non pas parce qu’il menace les autres de son bazooka mais parce qu’il pourrait susciter une prise de conscience parmi tous ces conducteurs coincés sur l’autoroute. Il est l’élément perturbateur qui pourrait déclencher une révolution (cf Joker).
Alors faisons-le taire.
Marginalisons-le.
Qualifions-le de terroriste.
Le problème ne vient pas de nous, mais de lui.
Supprimons-le.
Et dissimulons son assassinat, comme si de rien n’était.
Dommage que sa femme ne crève pas , c’est elle le problème .
Merci Woinwoin pour ce commentaire. Il est vrai que sa femme manque peut-être un peu d’empathie. Après, est-ce une raison suffisante pour souhaiter la mort des gens?
Un sacré film !! Je n’en suis pas ressorti indemne perso ….
Pas facile à voir !
Assez fort la façon dont Schumacher arrive à rendre le personnage non seulement attachant, mais aussi en plus de cela, enfin en tout cas c’est mon cas, je me suis assez bien identifié à lui !
Le personnage, au chômage, vivant chez sa mère, qui a une vie sociale inexistante, une famille non présente, et surtout, c’est incompris de la société américaine et vice et versa.
Une situation en tout cas que l’on a tous plus au moins déjà vécu (à quelques degrés près bien sûr ….) et ce sentiment de honte, le fait de ne pas arriver à se rendre utile qui du coup nous culpabilise.
Et la façon dont est écrit la réaction de William Foster dans chute libre est géniale !
Et ce pauvre père de famille, qui ne souhaite q’une chose, offrir un cadeau d’anniversaire à sa fille.
Mais bon il est fou … et dans la société d’aujourd’hui, lorsque que l’on est pas économiquement viable, on est tout d’abord exclu à tout les niveaux, puis la folie ne peut que nous rattraper …. et cela ne peut que se terminer par une mort (qu’elle soit morale ou physique).
Mais d’ailleurs concernant la folie, notre antihéros n’est selon moi pas particulièrement dangereux, c’est un patriote, quelqu’un qui fait tout pour respecter la loi … Mais cela ne lui apporte rien, il a besoin (comme nous tous en fait) d’une récompense, d’être reconnu par sa famille, son pays, son boulot ….
Il va donc utiliser la violence, et c’est relativement compréhensible, car c’est seulement grâce à cela (enfin c’est ce qu’il croit) qu’il va finir par arriver à ses fins qui sont tout à fait honorables.
Voilà pour mon avis « sur le fond » de ce film … Vous allez me dire peut être un peu glauque mais c’est clairement ce que j’ai ressenti et je pense que c’est tout à fait ce que souhaitais Schumacher !
Et d’ailleurs, au passage, bon je ne vais pas dire que c’est un défaut mais juste un petit point sur la fin …. En fait tout le long du film on à affaire à un personnage qui est fou … et j’aurais personnellement apprécié un final peut être un peu moins « happy end », ou par exemple on aurait pu imaginer une arrivée au paroxysme de la folie avec le meurtre de la femme et de sa fille ….
Merci Thomas pour votre commentaire.
On retrouve ce final tragique dont vous parlez dans Parasite.
Le happy end a longtemps prévalu aux États-Unis pour ne pas compromettre le succès commercial du film.
En l’occurrence, Foster doit absolument être neutralisé par Prendergast. Le marginal doit être puni par le représentant des forces de l’ordre. On ne doit pas sortir du système.
On peut également avoir une lecture cynique de l’attitude d’Elizabeth qui ne dit rien à sa fille pour ne pas ruiner sa fête d’anniversaire.
Laissons les enfants s’amuser et protégeons-les de la réalité.
Oui oui effectivement, et c’est pour ça que je trouve que c’est loin d’être un problème au contraire comme vous le disais on est dans le système capitaliste qui est sacrément critiqué et on y reste jusqu’à la fin !
Mais en tout cas avec une fin assez ouverte quand même pour la femme et la fille ainsi que pour Prendergast si je puis dire, ce qui est toujours relativement plaisant !
Et je me disais d’ailleurs pour le coup pourquoi pas faire comme un petit remake du genre « William Foster : les origines du mal » …. 🙂
pour essayer de comprendre et de creuser la personnalité et l’histoire de ce personnage absolument passionnant !
Effectivement on pourrait se pencher sur les raisons qui ont poussé cet homme à descendre de sa voiture.
Je vous renvoie à La Loi du Marché dans lequel Thierry rend son tablier et en l’occurrence monte dans sa voiture. Sorry we missed you montre également la descente aux enfers d’un père d’une famille détruite par ce qu’on appelle l’Uberisation de la société.