RESSOURCES HUMAINES
Laurent Cantet, 1999
LE COMMENTAIRE
Les inégalités se creusent autant que la dette. La mobilité sociale devient l’exception (cf Titanic). Si le col bleu et le col blanc regardent tous les deux dans la même direction, ils ne voient pas du tout la même chose. Leurs points de vue sur le monde divergent.
LE PITCH
Premiers pas dans le vrai monde pour un jeune diplômé d’école de commerce (cf La Crème de la Crème).
LE RÉSUMÉ
Franck (Jalil Lespert) rentre de Paris pour faire son stage en Normandie, au département RH de l’usine où travaille son père (Jean-Claude Vallod).
Le directeur (Lucien Longueville) entame les négociations sur les 35 heures avec les syndicats représentés par la virulente Madame Arnoux (Danielle Mélador). Dialogue de sourds.
Nous restons dans une fragilité permanente…
On connait l’histoire! Quand ça va pas, il faut faire des sacrifices. Et quand ça va, il faut encore faire des efforts!
L’intérêt des ouvriers, c’est que l’entreprise fasse des bénéfices.
Franck propose pro-activement d’organiser une consultation, ce qui ne plait pas à Madame Arnoux, ni au DRH (Pascal Sémard).
Dans une entreprise, tu vas l’apprendre, il y a une hiérarchie. Que tu le veuilles ou non, il est toujours bon de la respecter.
Le directeur se réjouit de la division des syndicats. On félicite le jeune stagiaire promis à un avenir radieux au sein du groupe.
Franck découvre par hasard que l’entreprise souhaite automatiser certaines tâches (cf Les Temps Modernes). Par conséquent, un nouveau plan de licenciement de douze personnes est préparé. Son père en fait partie.
Toi t’es trop jeune, t’es pas assez payé pour pas être rentable. Donc tu restes. Par contre mon père est viré.
Scandalisé, le jeune homme jette un pavé dans la marre en informant Madame Arnoux afin de défendre son père. Une grève se lance. Pourtant le père de Franck continue de travailler, sans broncher. Une violente dispute éclate alors entre les deux hommes.
Foutez moi la paix, j’ai jamais rien demandé à personne…
T’arrêteras jamais! T’es un minable c’est ça? Hein? Tu me fais honte! Mais c’est pas grave parce que la honte je l’aie depuis tout petit. La honte d’être ton fils (…), la honte de sa classe.
Les ouvriers campent devant l’usine dont les machines sont à l’arrêt. Franck va retourner à Paris.
L’EXPLICATION
Ressources Humaines, c’est le sens unique de l’histoire.
Devant la reine de Danemark, Emmanuel Macron a qualifié les Français de Gaulois réfractaires au changement. Si la remarque a été faite sur le ton de la plaisanterie, elle fait néanmoins référence à un trait de caractère très Français : râleur, critique, résistant encore et toujours à l’envahisseur comme Astérix retranché dans son petit village d’Armorique face au progrès proposé par les Romains.
Au début du XIXe, Jean-Baptiste Say fut le premier à se battre pour ce qu’on a appelé plus tard les acquis sociaux : l’instruction, la durée maximum de travail, les congés payés, le droit de grève, la retraite, l’assurance maladie, jusqu’à la loi Aubry sur les 35 heures. On peut dire que de tout temps, les employés Français se sont effectivement battus contre le patronat pour faire valoir leurs droits.
C’était vrai à l’époque de Germinal. Cela était encore vrai en 2015 lorsque des salariés d’Air France se sont introduits dans le bureau de leur DRH afin d’arracher sa chemise.
En France, les ouvriers n’ont pas peur d’aller au bras de fer puisqu’ils croient qu’ils peuvent changer les choses à leur avantage. Au point qu’on en oublierait presque le monde libéral dans lequel nous nous inscrivons. Oublier que nous sommes à bord d’un train lancé à pleine vitesse sur un circuit fermé. Dont nous ne pouvons pas sauter, sous peine de devoir tout recommencer à zéro (cf Snowpiercer).
T’as vu où ça nous mène ton libéralisme à la con?
Existe-t-il seulement une autre direction ? Les ouvriers ont beau s’offusquer des pratiques capitalistes (cf Merci Patron!), il n’en existe pas d’autre. C’est bien le sens de l’histoire.
L’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron n’a fait que mettre en lumière une froide réalité : à droite comme à gauche, celles et ceux qui nous gouvernent sont contraints de mener la même politique libérale. La fameuse main invisible gouverne.
La France s’accroche désespérément à une Europe bancale pour ne pas être complètement larguée dans la course économique effrénée opposant les États-Unis à la Chine – où les ressources humaines ne comptent plus depuis bien longtemps d’ailleurs (cf American Factory).
Dans ce contexte, certains se résignent à l’image du père de Franck qui ne sait même pas répondre à la consultation de son fils.
C’est bien de pas toujours faire la même chose ?
J’sais pas, j‘sais pas c’qu’est bien.
Tu préfères quoi ?
Ça changera rien…
Le père de Franck est un honnête homme qui a travaillé toute sa vie sagement derrière sa machine, sans se plaindre. Il a essayé d’inculquer ses valeurs à son fils.
T’es plus à l’école là, t’es au travail. Faut être sérieux.
C’est qu’un stage!
Ben justement, ça se prépare. On n’y va pas les deux mains dans les poches.
Malgré tout, ces valeurs ne vont pas le protéger du licenciement. Franck assiste en direct à tout cela. Il voit surtout son père se faire mal-traiter par son supérieur, sans réagir.
S’il suffit de t’énerver pour que tu travailles plus vite, je le ferai plus souvent!
Face au déboulonnage de son paternel (cf Le Placard), Franck ne reste pas sans rien faire. Cependant il se bat pour un père qui n’a plus envie – comme le lui confirme sa mère.
Faut le laisser, il veut pas se battre. Alors maintenant, tu le laisses et tu te bats pour toi.
Ce combat semble inutile, ce qui horripile Franck qui a l’ambition de changer le monde pour le meilleur. L’attitude de son père lui est insupportable.
En vérité, Franck ne fait que découvrir simplement la loi du marché, comme le lui avait promis le DRH.
Vu de l’intérieur, c’est beaucoup moins rose que ça.
Chacun doit se battre pour soi (cf Grave). C’est pour cela que Franck va retourner à Paris. Il observe ce petit mouvement social paralyser l’usine quelques jours avant qu’elle soit peut être délocalisée. Rien à faire. Franck n’a pas sa place en Normandie. Les locaux pensent qu’il a trahi, plein de mépris (cf Orgueil et Préjugés).
Il comprend que tout cela est scandaleux. Cependant il découvrira sûrement plus tard que la situation peut être encore pire ailleurs. Le temps vient pour lui de sauver ses fesses. Car lui aussi connaitra un jour à la même problématique (cf Monsieur Schmidt). Le compte à rebours a déjà commencé.
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