INCENDIES
Denis Villeneuve, 2010
LE COMMENTAIRE
Au petit garçon qui sourit innocemment l’on donnerait le bon Dieu sans confession (cf Capharnaüm). Par contre au petit garçon à qui l’on rase la tête et dont le regard traduit une envie de tuer l’on aurait plutôt envie de lui dire qu’on est désolé mais qu’on n’a plus d’argent. Quand on sait comment le pseudo bon Dieu traite ses sujets de toute façon…
LE PITCH
Des jumeaux tentent de rétablir l’honneur de leur défunte mère.
LE RÉSUMÉ
Nawal Marwan (Lubna Azabal) vient de décéder à Montréal. Ses jumeaux Jeanne (Mélissa Désormeaux-Poulin) et Simon (Maxim Gaudette) se rendent chez le notaire Jean Lebel (Rémy Girard) pour découvrir le testament.
Enterrez moi sans cercueil, nue et sans prière. Le visage tourné vers le sol, face première contre le monde. (…) Aucune pierre ne sera posée sur ma tombe et mon nom gravé nulle part. Pas d’épitaphe pour ceux qui ne tiennent pas leurs promesses. À Jeanne et Simon, l’enfance est un couteau planté dans la gorge. On ne le retire pas facilement.
Dur.
Chacun reçoit une lettre avec une mission : retrouver leur père qu’il croyait mort et leur frère dont ils ignoraient l’existence.
Simon aimerait s’arrêter là.
Elle est plus là, crisse, on a la paix!
Jeanne n’y arrive pas.
Ce qui est ridicule c’est que tu remettes en question l’inéluctable. Tu dois savoir. Sinon ton esprit ne sera jamais en paix.
Elle part au Moyen-Orient sur les traces de sa mère en plein conflit géopolitico-religieux. Nawal de confession chrétienne est contrainte d’abandonner son fils Nihad Harmanni issu d’une union avec un Musulman. Le bébé est marqué de trois petits points derrière le talon droit.
Nawal est envoyée chez son oncle pour étudier.
Là-bas tu vas aller à l’école pour apprendre à lire, à penser. Pour sortir de cette misère.
Elle garde dans l’idée d’aller chercher son fils à l’orphelinat. Les années passent. Le conflit s’envenime. La ville de Daresh a été détruite. Les Musulmans ont emmené les enfants au camps de Deressa. Là-bas, Nawal découvre le camp de réfugiés rasé par les Chrétiens.
Je n’ai plus rien à perdre.
Sans mari, ni enfant, elle rejoint les Musulmans radicaux et tue un dirigeant politique Chrétien. Ce qui lui vaut une quinzaine d’années à la prison chrétienne de Kfar Ryat où elle est régulièrement violée par Abou Tarek (Abdelghafour Elaaziz). Les jumeaux sont le fruits de ce drame.
Un plus un, ça peux-tu faire un..?
À sa sortie de prison, les Musulmans permettent à Nawal de retrouver ses jumeaux et de partir au Canada.
Alors qu’elle se baigne dans une piscine de Montréal, elle reconnaît son fils Nihad Harmanni par hasard en remarquant les trois petits points derrière son talon droit. Lorsque l’homme se retourne, Nawal découvre avec horreur que l’homme en question est… Abou Tarek.
Elle meurt de chagrin quelques temps après, après avoir confié son secret au notaire.
Les Jumeaux ont accompli leur mission. Ils reçoivent deux lettres à confier à leur frère / père. Nihad Harmanni lit avec attention.
Je vous ai reconnu. Vous ne m’avez pas reconnue. C’est un miracle magnifique. Je suis votre numéro 72. Cette lettre vous sera remise par nos enfants. Vous ne les reconnaîtrez pas parce qu’ils sont beaux. Mais eux savent qui vous êtes. (…) Je parle au fils, pas au bourreau. Quoi qu’il arrive, je t’aimerai toujours. C’est la promesse que je t’ai faite à ta naissance mon fils. (…) Je te souffle toute la douceur du monde mon amour. Console toi, parce que rien n’est plus beau que d’être ensemble. Tu es né de l’amour. Ton frère et ta sœur sont donc eux aussi nés de l’amour.
Nihad Harmanni se recueille devant la tombe de sa mère / victime.
L’EXPLICATION
Incendies, c’est une rhétorique pour essayer d’arrêter les flammes.
Comment enrayer un conflit si vieux qu’il en a perdu tout son sens. Dans lequel les belligérants sont des cousins et se tapent dessus sans même plus savoir pourquoi ?
Si le notariat avait existé à l’époque de Noé, on n’en serait pas là. On n’aurait qu’à retrouver les contrats d’origine : Ça c’est à vous, ça c’est à vous… et un droit de passage là.
Certains conflits en deviennent si dramatiquement ridicules qu’ils sont à l’image de l’histoire de Nawal. Une femme dont on exécute le mari car on ne permet pas les couples mixtes (cf Blue Bayou), et à laquelle on prend son fils. Un fils que le hasard va remettre sur sa route, des années plus tard, dans des circonstances bien différentes.
Un jour, je vais retrouver mon fils.
Si Nawal avait su…
Des années plus tard, quand Jeanne se refait le fil de l’histoire, elle découvre que sa mère est à la fois martyr et paria. Personne là-bas ne veut plus entendre parler d’elle – malgré ce qu’elle a enduré.
Si tu es la fille de Nawal Marwan, tu n’es pas la bienvenue ici. Retourne chez toi!
Certains conflits conduisent à des aberrations dignes d’une tragédie grecque (cf Manon des Sources).
On n’invente pas ces choses là.
Dès lors, comment faire pour éteindre l’incendie ?
Avoir le courage de mener son enquête pour aller au devant la vérité qui blesse. Sans se laisser dissuader par toutes celles et ceux qui vous invitent à lâcher l’affaire…
Parfois il faut peut-être mieux ne pas tout savoir.
Les jumeaux s’inspirent de leur mère pour aller jusqu’au bout du périple. Nawal le méritait.
Elle n’a jamais plié.
Grâce aux jumeaux, ce que la mère a essayé d’accomplir ne s’éteint pas.
Les idées survivent si quelqu’un est là pour les défendre.
Jeanne et Simon retrouvent la clé de l’enigme et permettent à leur mère de partager des mots cicatrisants pour continuer à vivre (cf Three Billboards).
Le silence sera brisé, une promesse tenue et une pierre pourra être posée sur ma tombe. Moi je dis que votre histoire commence par une promesse : celle de briser le fil de la colère. Grâce à vous je réussis enfin à la tenir. Le fil est rompu.
Nihad Harmanni était devenu soldat de la mort (cf Sicario), capturé par les Chrétien et reconverti en gardien de prison. Victime de la guerre. Il a torturé sa mère sans le savoir, comme un peuple instrumentalisé qui se retourne contre lui-même.
Une situation ridicule et contre laquelle personne n’a malheureusement de réponse.
Si seulement des mots pouvaient suffire à mettre fin à un conflit millénaire…