CANINE
Yórgos Lánthimos, 2009
LE COMMENTAIRE
Le monde extérieur est inconnu. Sauvage en apparences. Depuis la maison, cet environnement apparait terrifiant. On se pose rarement la question de savoir de quel côté de la fenêtre se trouve la véritable violence.
LE PITCH
Un homme prive ses enfants du monde, avec le consentement de son épouse.
LE RÉSUMÉ
Un père (Christos Stergioglou) élève ses enfants à l’écart. Ils n’ont pas le droit de sortir de la propriété (cf Le Village). La grande (Angeliki Papoulia), la petite (Mary Tsoni) et le fils (Christos Passalis) sont pourtant des adultes. Ils boivent les paroles du père qui leur fait croire que leur grand frère vit de l’autre côté de la barrière et qu’il fallait lui envoyer des vivres de temps en temps.
Quand les enfants sont sages, ils reçoivent des images. S’ils ne sont pas sages, ils reçoivent des châtiments.
Une seule manière de partir.
Un enfant est prêt à quitter sa maison quand…?
Quand sa canine droite tombe.
À ce moment son corps est prêt à affronter tous les dangers. Pour quitter la maison sans risque il faut prendre la voiture. Mais quand peut-on apprendre à conduire?
Quand la canine droite repousse.
Autant dire que personne ne risque de partir.
La mère (Michelle Valley) est complice de cette mascarade sordide.
Au travail, personne ne se doute de rien. Le père prétend que sa femme a eu un grave accident et qu’elle ne peut plus sortir.
Elle a honte, elle refuse les visites.
Il paie Christina (Anna Kalaitzidou), une employée de la sécurité, pour venir à la maison afin d’avoir des relations sexuelles avec son fils. Frustrée de ne jamais recevoir de cunilingus de la part du fils, elle demande à la grande de lui en faire un en échange de son bandeau de cheveux. La fille s’exécute.
Le père se rend dans un chenil pour récupérer son chien qu’il a laissé en dressage. Son chien n’est apparemment pas encore prêt.
Les enfants sont terrifiés de découvrir un chat dans la pelouse. Le fils le tue. Pour rassurer tout le monde, le père invente la mort du grand frère.
Votre frère est mort. Il a été déchiqueté par une bête dans le jardin. (…) L’animal qui nous menace s’appelle ‘un chat’. Le plus dangereux qui soit. Il se nourrit de viande, de chair d’enfants surtout.
Christina réclame plus de cunilingus. En échange, la grande veut des cassettes vidéos qu’elle commence à regarder en secret. Puis elle répète des dialogues qu’elle a entendu dans ces films. Quand le père le découvre, il la violente. Il frappe également Christina et la défend de revenir.
Puissent tes enfants être mal influencés et devenir très mauvais. Je te le souhaite de tout coeur.
Pour continuer l’éducation sexuelle du fils, le père décide de le laisser choisir l’une de ses deux soeurs. Après avoir été violée, la grande fait référence à des dialogues de film pour exprimer sa colère.
Refais ça et je t’étripe sale garce. Je te jure sur la tête de ma fille que toi et ta bande n’allez pas tarder à quitter le quartier.
La grande s’arrache une canine pour pouvoir partir. Elle s’enfuit et se cache dans le coffre de la voiture de son père.
Quand celui-ci découvre que sa fille est partie, il la cherche partout sans la retrouver.
Le lendemain, il prend sa voiture pour se rendre au travail comme à l’habitude. Il ne remarque même pas que sa fille est dans son coffre – une canine en moins.
L’EXPLICATION
Canine, c’est rester enfermé·e.
Les parents ont la responsabilité d’éveiller leurs enfants au monde pour que ceux-ci puissent s’épanouir, et quitter le foyer un jour afin de voler de leurs propres ailes (cf Tanguy). Faire du vélo sans les roulettes.
Dans la tradition paternaliste, le père prend la main sur ce sujet – et sur tous les autres (cf Captain Fantastic).
Quand le père prend le contrôle absolu, le pouvoir peut lui monter à la tête. Auquel cas, il va tout faire pour que ce pouvoir ne lui échappe pas. Il devient tyrannique.
On ne peut faire confiance à personne.
Il n’hésite pas à priver ses proches de leur liberté pour les garder sous sa coupe. Pour cela, il n’a même pas besoin de s’expliquer puisqu’il incarne l’autorité suprême. Toute forme d’autorité visa à garder les sujets bien au chaud dans leur cage. Il suffit au père de parler d’une pseudo-menace extérieure pour se poser en protecteur et garder tout le monde dans les rangs. Exploiter la peur est une stratégie redoutablement efficace.
Ici vous ne risquez rien, je vous protège.
Si son autorité est questionnée, le père emploie aussitôt la force pour la rétablir. Ainsi, personne ne risque de contester quoi que ce soit sous peine de se prendre une tarte. Comment les enfants pourraient le contester ? Eux qui n’ont jamais connu autre chose. Aucun autre modèle n’existe à leur connaissance.
Le système de récompenses que le père a mis en place leur suffit à faire passer la pilule (cf The Island).
Le père devient omnipotent. Il ne laisse aucune autonomie à personne. Pas de dialogue, pas de rencontre qui ne se produise en dehors du contrôle paternel. On le vénère et consulte pour tout. Les enfants sont totalement dépendants de lui.
Il n’y a plus de teinture d’iode, d’antihistaminique et je n’ai plus de pansement…
Le père traite ses enfants comme des animaux. Il ordonne à ses enfants d’aboyer pour éloigner les chats, de rapporter les avions qui se sont écrasés dans la pelouse ou de lécher pour avoir une récompense en retour. Sa philosophie est très proche de celle du responsable du chenil.
Je vais vous expliquer : le chien, c’est comme de l’argile. Notre boulot est de le façonner. (…) Le chien attend qu’on lui montre comment se comporter.
C’est le père qui décide des émotions. Il octroie la permission d’être content·e.
Voyez le bon côté des choses. Applaudissons tous votre mère pour ce cadeau.
Il ré-écrit la réalité pour mieux la déformer, inventant des mythes comme celui du chat ou celui du grand frère. Un grand frère imaginaire qui aurait fait l’erreur de partir et qui sert de contre-exemple.
Il est vrai qu’il a fait une grave erreur en partant sans être prêt.
Le père éduque à sa manière. Les mots prennent une nouvelle définition.
C’est quoi une ‘foufoune’ ?
Une ‘foufoune’, c’est comme une grande lampe.
Par manque de culture, les enfants se transforment en des marionnettes désarticulées, incapables d’exprimer leurs sentiments dans un langage intelligible. Leurs réactions sont exagérées. Les enfants sont prisonniers de leur caverne, prenant pour vérité les ombres que leur projette le père. Ils seraient incapables de vivre dans le monde (cf One of us).
Malgré tous ses efforts, le père ne parvient pas à maintenir le couvercle sur la casserole. Mais le mal qu’il a causé est trop profond. Il a programmé ses enfants en leur faisant croire que leur canine était un visa. On ne peut donc même pas avoir une dent contre ce monstre. Sa grande fille finit par lui échapper, pour mieux se cacher dans le coffre de sa voiture.