TANGUY
Étienne Chatiliez, 2001
LE COMMENTAIRE
Pendant longtemps, nous avons souscrit à la promesse religieuse d’une hypothétique vie éternelle. Nous lui avons préféré la sécurité proposée par le marketing et sa jeunesse infinie, à consommer tout de suite et sans modération. Il s’agissait pourtant d’un sacré mensonge. On s’en rend compte. Les rides finissent par poindre, les seins tombent, les cheveux deviennent blancs quand ils ne tombent pas eux-aussi. Pire, les vêtements mignons d’hier ne nous vont plus du tout aujourd’hui.
LE PITCH
Deux oiseaux n’arrivent pas à pousser l’oisillon hors du nid.
LE RÉSUMÉ
Tanguy Guetz (Éric Berger), pluri-diplômé de 28 ans, vit encore chez ses parents. Atteint du syndrome Peter Pan de l’enfant qui ne veut pas grandir ? Sa mère Edith (Sabine Azéma) et son père Paul (André Dussollier) comprennent tout à fait que ses études prennent du temps. Les Trente Glorieuses et le plein-emploi c’est fini. Ils le soutiennent donc et ne veulent pas en faire un gosse de riches – qu’il est par ailleurs.
Néanmoins, les parents commencent à trouver le temps long. Ils s’inquiètent surtout de la possibilité que Tanguy ne parte jamais.
Il doit s’envoler prochainement pour Pékin mais sa thèse est finalement repoussée.
Je suis plus à un an près.
Il trimballe sa petite amie en repoussant sans cesse leur emménagement.
Ses excuses ne tiennent plus. La réalité est que Tanguy est bien à la maison avec tout le confort et aucune raison d’en partir, comme il l’explique à sa grand-mère Odile (Hélène Duc).
Je sais que je suis un privilégié. (…) Pourquoi voudrais-tu que je renonce à ce bonheur de tous les instants?
Edith en fait un ulcère et Paul est au bord de la crise de nerfs, sous la pression de sa mère.
Un gosse né avec treize jours de retard… il aura toujours du mal à partir!
Les parents vont essayer de tout faire pour chasser leur fils en pourrissant son quotidien. Cela ne marche pas. Alors Paul finit, à contre-coeur, par lui prendre un appartement. Échec. Tanguy fait du chantage affectif à sa mère pour revenir.
Je suis pas fait pour vivre seul : Je sais pas me faire à manger, je sais pas faire le ménage, je comprends rien aux factures. Et puis c’est petit ici. Je suis pas prêt psychologiquement. J’ai peur. Vous me manquez. Laissez moi rentrer à la maison sinon je vais rater ma thèse, je vais tout rater… Je vais mourir maman.
À son retour, il doit signer une charte de bonne conduite militaire. Son père lui trouve un job. Tanguy doit accompagner un étudiant à préparer son concours d’entrée à Normale Sup. Lorsque Paul découvre que son fils encaisse 25,000 francs par mois, nourri logé blanchi, il explose. Tanguy est viré de l’appartement.
Ne remets plus jamais les pieds ici!
Alors le jeune homme intente un procès à ses parents qu’il remporte, puisqu’ils sont légalement tenus de le reprendre en vertu de l’article 203 du Code Civil. Tanguy revient de nouveau au bercail. Cette fois-ci, c’est la guerre ouverte. À chaque fois, il pardonne les mauvais coups de ses parents, complètement à court de solution.
Je ne comprends pas leur haine à mon égard. Je les aime c’est tout.
Finalement, Tanguy part de lui-même en Chine où il se marie avec une Pékinoise. La vie est belle là-bas. Futur papa, Tanguy est d’autant plus épanoui que toute la famille vit sous le même toit. Ce qui donne l’occasion à Odile de se fendre d’une nouvelle pique à l’encontre de son fils.
Des gens qui assument leur famille, pas comme d’autres!
L’EXPLICATION
Tanguy, c’est une belle bande d’égoïstes.
Si les parents faisaient des enfants pour le plaisir, cela se saurait. Ils font des enfants pour mettre du sens dans leur vie (cf Arizona Junior). Pour seller une union trop facilement démontable par le divorce (cf Marriage story).
Plus que d’assurer leur reproduction (cf Tree of Life), les enfants donnent à leurs parents une espérance de vie prolongée en réalisant leurs fantasmes inassouvis. De manière plus pragmatique, les parents cherchent aussi à s’appuyer sur les enfants au moment de partir en retraite (cf Monsieur Schmidt). En résumé, on fait avant tout des enfants pour soi-même.
Autant de bonnes raisons auxquelles les parents doivent s’accrocher lorsqu’ils perdent leur liberté. En effet, leur vie telle qu’ils la connaissent s’arrête à cause d’un bébé qui empêche de dormir, de travailler, de se déplacer (cf Baby Boss). Une vie entière fait place à une nouvelle faite de biberons, de couches culottes et de réunions de parents d’élèves pénibles.
Ces efforts doivent permettre de tenir jusqu’au moment où l’enfant pourra quitter la maison afin de voler de ses propres ailes (cf La famille Bélier). Un crève coeur, mais surtout un gros soulagement. Le travail fait, plus besoin de se soucier de l’enfant qui bientôt gagnera suffisamment d’argent pour subvenir à ses propres besoins, voire même de renvoyer l’ascenseur à ses parents s’il réussit – et qu’il est reconnaissant.
Pour que le miracle de l’envol se produise, il faut travailler dur. On crie, on se débat. Parfois ça suffit pas, le requin il reste là (cf Les dents de la mer). Si vraiment il s’incruste, alors la galère commence.
À l’époque j’avais qu’une trouille c’est qu’il parte. Maintenant c’est qu’il reste pour toujours.
En l’occurrence, Edith et Paul n’ont pas vraiment raté l’éducation de leur fils puisqu’il a plutôt très bien réussi son cursus universitaire.
Quand vous parlez d’émergence du concept de subjectivité en Chine ancienne, on pourrait penser que vous occidentalisez malgré vous la pensée chinoise en donnant un sens qui induit une idée de représentation du réel.
On pourrait alors parler de réalité intérieure d’un sujet qui se découvre sujet au sens métaphysique du terme. Sujet capable d’agir, de penser, de rire.
Beaucoup plus juste Tanguy!
Tanguy n’est pas l’antéchrist (cf La malédiction). Il n’a pas non plus tué ses camarades de classe (cf We need to talk about Kevin). Non, il est tout simplement le digne fils de ses deux égoïstes de parents : un couple d’enfants uniques arrivés au bout de leurs limites.
J’suis un monstre mais je ne peux plus le supporter.
Ce couple n’est tellement pas solidaire qu’Edith se permet le luxe de faire des reproches à son mari, après l’avoir pourtant ouvertement trompé avec un élève de son fils!
C’est ton fils que j’ai sur l’estomac.
Tanguy n’est-il pas son fils à elle aussi (cf Mother!) ?
De son côté, Paul est tellement soucieux de retrouver son petit confort qu’il est prêt à payer un billet d’avion en classe affaire à 30,000 francs pour que son fils déguerpisse. Quand on est capable d’un tel acte d’égoïsme, comment s’étonner que son fils revienne comme un boomerang ? La soupe est bonne chez les Guetz.
Odile le sait très bien. Trop contente de pouvoir se tourner vers son fils lorsqu’elle se casse le col du fémur. Elle qui disait que Tanguy devait partir fait désormais la leçon à Paul et Edith.
Je n’ai pas de leçon à vous donner mais je vous trouve d’une indulgence coupable.
Edith et Paul ont le sentiment désagréable d’être abusés par Odile et Tanguy. Incapable de véritablement donner sans attendre en retour, ou peut-être trop soucieux de protéger ce qu’ils pensent être à eux, ils auront toujours l’impression qu’on les prive de quelque chose.
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