GOMORRA
Matteo Garrone, 2008
LE COMMENTAIRE
À Marseille, on a des Stan Smith aux pieds et le regard froid, le trois quart en cuir roulé autour du bras. On vrille, on se bousille et on finit par se rhabiller. À Naples, le Marseille transalpin, ce n’est pas la même histoire. La Main de Dieu mais le regard sombre. On longe les murs et on se retourne, pour ne pas se prendre une balle perdue.
LE PITCH
La mafia Napolitaine fait régner la terreur dans le quartier de Scampia.
LE RÉSUMÉ
La Camorra profite de la misère populaire pour prospérer à Naples dont la banlieue s’est transformée en une sorte de jungle à la sauce tomate / basilic. Dans cette zone de non-droit, la violence est partout. Don Ciro (Gianfelice Imparato) passe déposer un peu d’argent aux familles de victimes ou dont les membres sont en prison. Toto (Salvatore Abruzzese) livre les courses. Pasquale (Salvatore Cantalupo) taille des robes haute-couture pour un studio possédé par la Camorra. Roberto (Carmine Paternoster) travaille pour Franco (Toni Servillo) qui enfouit des déchets toxiques dans des carrières abandonnées. Marco (Marco Macor) et Ciro (Ciro Petrone) se prennent pour des Scarface et jouent les Tony Montana.
La corruption est profonde. Le système est bien gangréné. Suite à une descente de police, c’est tout juste si l’ordre est un peu bousculé. Un clan disparait. Il est aussitôt remplacé (cf Piranhas). Les cartes sont rebattues.
Remember when we were brothers? Now we’re ennemies.
Ça parait simple mais ça ne l’est pas. Parfois le père est dans le bon camp, c’est le fils qui trahit. Don Ciro doit retourner sa veste pour ne pas perdre la vie. Toto doit trahir Maria (Nazionale) à qui il livrait pourtant des produits car elle fait partie d’un clan sécessionniste. Pasquale paie ses extras avec les Chinois et échappe par miracle à un règlement de comptes. Dégoûté, il abandonne son métier et devient camionneur. Sur une aire d’autoroute, il aperçoit à la TV l’actrice Scarlett Johansson portant l’une de ses robes pendant le festival de Cannes. Roberto aussi est dégoûté par les magouilles de Franco. Les gens à qui ils rachètent des terrains meurent du cancer à cause de la toxicité des déchets. Ils ont tout pollué. Même les pêches puent. Il plaque tout.
I don’t want to work anymore.
Marco et Ciro de leur côté ne lâchent pas le morceau, malgré les mises en garde des parrains locaux. Ils n’en font qu’à leurs têtes et ne font surtout que des bêtises. Ils volent de la drogue ou des armes à des trafiquants. Après plusieurs avertissements sans frais, ils finiront liquidés sur la plage. Nettoyés à coups de tractopelle.
L’EXPLICATION
Gomorra, c’est la violence à 99% pure.
Les talents à l’état brut sont intéressants mais on ne sait pas quoi en faire. Il en va de même avec la violence. Si elle n’est pas un peu romancée, elle nous explose à la figure. On ne sait pas comment la gérer. Cela fait mal et c’est à peu près tout. On n’en retire ni enseignement, ni morale. Exactement le genre de violence qui règne en Campanie. Assez loin des criminels du Parrain, leur esthétique et leurs états d’âme. À Naples, les boss portent des débardeurs et ils ont la clope au bec. Ils jouent au flipper, font des UV comme des gros porcs. Un accent Napolitain à couper au couteau. Odeurs de sueur, claquettes et des cadavres à la pelleteuse, sans se poser de question.
Ce qui compte là-bas n’est pas de rester en vie comme essaie de le faire Don Ciro, mais plutôt d’accéder au pouvoir comme le font Marco et Ciro. On ne peut pas parler d’un manque d’ambition.
If that guy is the boss here, then we can be the bosses!
Les caïds se suivent et se ressemblent. Une fois en place, ils doivent défendre leur territoire. Jusqu’à la prochaine descente de Carabiniers ou le prochain règlement de comptes. Un jeu de chaises musicales qui se mord la queue, le tout sur fond de dance music.
Contrairement aux Milanais (cf House of Gucci), Les Napolitains se moquent de la mode.
Leur violence est sans filtre. Certains s’offusquent parfois de toute cette brutalité en se réclamant d’un code éthique.
We don’t touch women!
La seule éthique qui vaille là bas est de ne pas pas perdre la face, quitte à tuer des gamins si nécessaire. C’est pas grave. Les Camorristes s’en lavent bien les mains, comme Franco qui n’a pas son pareil pour se donner bonne conscience.
We solve problems created by others.
Les gangsters comme lui, qui ont un peu plus de classe en apparence, sont encore plus répugnants : Il négocie des terrains avec des gens mourants et il met des gosses derrière le volant de ses camions à ordure quand les autres conducteurs se sont faits contaminer.
C’est la nature profonde d’une région qui pourrait être si belle, où les touristes se pressent pour voir Capri sans se demander ce que ce décor de rêve peut bien cacher comme quantité d’immondices.
On mange sa pizza sans se soucier de la qualité des ingrédients. Une région du monde splendide qu’on a laissé se transformer en déchèterie par négligence, en abandonnant ces terres à des gredins sans scrupule. Là bas, des gamins turbulents finissent criblés de balles sur des plages qui pourraient être magnifiques. C’est la face cachée d’une Italie dont l’économie souterraine représente 35% du produit intérieur brut.
You know that guys like me put this shit country in Europe?
Un monde cru, sans maquillage, qui sent tellement mauvais qu’on préfère se boucher les narines. Des Jeux Olympiques où l’on refuserait de considérer la possibilité que les champions Français puissent se doper – comme les autres. On fait semblant d’ignorer tout cela. Si on ne l’ignore pas, alors on est dégoûté comme le sont Pasquale ou Roberto. Ils préfèrent arrêter de faire le jeu des mafieux pour continuer leur route, à pieds ou en semi-remorque (cf Sonatine). Comment leur en vouloir? On comprend certainement mieux l’adage voir Naples et mourir, une fois qu’on a vu tout cela.
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