SEUL AU MONDE

SEUL AU MONDE

Robert Zemeckis, 2000

LE COMMENTAIRE

La société s’est sédentarisée. Bien qu’elle passe son temps à voyager à travers le monde pour affaires, elle s’est considérablement empâtée. Convaincue que le temps rectiligne n’avance que dans un sens, la possibilité d’un retour en arrière est simplement inenvisageable. Heureusement. Personne n’a envie d’imaginer devoir se remettre à la pêche au gardon pour survivre.

LE PITCH

Un homme se retrouve isolé après le crash de son avion dans l’océan.

LE RÉSUMÉ

Chuck Noland (Tom Hanks) est employé de Fedex. Le temps est son obsession comme le Lapin Blanc (cf Alice au Pays des Merveilles). Tout doit être à l’heure. Le temps est son métier. Sa vie.

We live and we die by time!

Appelé en urgence sur un vol le soir de Noël, il abandonne sa fiancée Kelly (Helen Hunt) pour l’aéroport. Son avion s’écrase quelque part dans le Pacifique. Chuck s’échoue sur une île, sans personne. Son existence, à l’image de sa montre, se fige soudainement. Il ne contrôle plus rien (cf Cliffhanger).

I had control over nothing.

Chuck va devoir passer quelques années seul sur son île, faisant avec les moyens du bord. Sans perspective, il se jette enfin à l’eau dans l’espoir d’être repêché en mer. La chance lui sourit.

De retour à Memphis, la vie ne l’a cependant pas attendu. Kelly s’est remariée.

Le temps est venu pour Chuck de tout reconstruire.

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L’EXPLICATION

Seul au Monde, c’est un exil salutaire.

Chuck passe à côté de sa vie. Lui qui sait pourtant la valeur du temps oublie totalement que la vie est courte. Sa routine l’empêche d’exister. Ce crash est paradoxalement la meilleure chose qui pouvait lui arriver, comme une sorte de burn out (cf Chute Libre) qui le contraint à faire le point. Il perd quelques années pour gagner le restant de sa vie.

Ses solides notions de survie lui sont enfin utiles, ainsi que sa fidélité au temps.

We must not commit the crime to turn our back on time.

C’est à la fois ce qui le perd et ce qui le sauve. Alors que le temps n’a plus de sens pour lui qui est désormais coupé de tout, il pourrait lâcher l’affaire. Au contraire, Chuck s’accroche machinalement aux saisons et essaie de se recréer un calendrier. Ces repères lui permettront d’abord de ne pas craquer nerveusement. De manière plus pratique, ils l’aideront à anticiper les marées et à mettre les voiles.

On est peut-être tous des Charlie. On ressemble surtout de plus en plus à Chuck, obsédés que nous sommes par nos smartwatch, toujours à voyager à droite à gauche et à négliger les personnes qui nous sont chères, obéissant à des contraintes parfois ridicules et stressant souvent pour des futilités.

Partout à la fois car incapables de couper notre téléphone et nulle part en même temps, incapables d’être présents pour les autres, ne serait-ce qu’une soirée. Les animaux sociaux que nous sommes devenus, férus de contrôle à l’image de Chuck, sont ennuyeux à mourir. Il fait bon de sortir de sa vie bien réglée de temps en temps. Quel dommage d’attendre qu’un avion se plante dans l’océan pour se permettre de vivre sa propre aventure.

Sur son île, Chuck fait l’expérience de tous ceux qui ont été « cast away », c’est à dire mis à l’écart. Et on est aussi nombreux à l’avoir vécu. Tous ceux qui ont été mis au placard dans leur entreprise, contraints d’apprendre à s’en sortir. Cela vaut aussi pour les joueurs de foot que les entraîneurs mettent sur le banc (cf Substitute), qui finissent par écrire « help » sur la plage pour qu’on les remarque. Toutes celles et ceux qui sont victimes d’une maladie qui marginalise. En cure de désintoxication – sur une île ensoleillée du Pacifique. En cellule de dégrisement – dans une geôle sombre. Une seule chose les attend:

I was gonna die there, totally alone. The only thing I could control was when, and where and how it was going to happen.

Alors ceux là peuvent d’abord s’accrocher.

I knew somehow that I had to stay alive. I had to keep breathing.

Puis une fois que le vent tourne, parce qu’il finit toujours par tourner un jour, ils peuvent se mettre en ordre de marche. Se lancer dans le vide de l’océan. Et peut-être y trouver un porte-conteneur. Il est vrai qu’il faut parfois une situation extrême pour se lancer et qu’on se lance mieux avec l’énergie du désespoir. Peu importe. Et tant pis si on perd Wilson en court de route. Ce qui est sûr, c’est que personne n’aura jamais autant pleuré pour un ballon de volley-ball.

csway

Le retour au monde est toujours délicat. Car le monde ne s’arrête pas, lui. Il a changé, de son côté. Et nous aussi en fait. Quand Chuck revient, Kelly est partie. Il fallait qu’elle parte. Elle ne pouvait pas s’arrêter de vivre pour toujours. Chuck doit la retrouver pour qu’ils réalisent tous les deux qu’ils se sont définitivement perdus, ce qui n’a rien de grave en soi (cf La La Land).

Chuck et Kelly peuvent faire leur deuil. Quelque chose de nouveau va pouvoir redémarrer. C’est une nouvelle page blanche dont il ne faut surtout pas avoir peur. Chuck est à un carrefour de sa vie, littéralement, et il peut décider d’aller où il veut. C’est une opportunité.

Tout est possible, même dans l’adversité ou dans l’isolement (cf The Wall). Réapprendre les basiques et redécouvrir sa force de volonté. Faire du feu ou manger du crabe. C’est la réhabilitation de Robinson Crusoe, quelques années seulement avant les réseaux sociaux (cf The Social Network)

Que toutes celles et ceux qui sortent de leur réveillon avec une bouée gonflée à bloc en guise de bidon n’oublient pas que le meilleur régime est encore de vivre seul sur une île, si possible une île du Pacifique.

Pas besoin d’un crash aérien pour remettre les pendules à l’heure (cf Flight), un simple carrefour peut suffire.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

17 commentaires

  • Il ne s’agit pas seulement de « prendre son courage à deux mains et de littéralement se jeter à l’eau ». En début de film, juste avant le repas en famille, on voit très brièvement que Chuck Noland (dont le nom complet est Chuck C. Noland, donc « Chuck see no land »…) a un diplôme de navigation, Parce qu’il a les connaissances adéquates, il sait se constituer une sorte de voile pour son radeau et attendre le bon moment pour se jeter à l’eau et passer cette fichue vague qui le coinçait.

    Parfois le « comment » est un peu trop… « Hollywood ». Dans Rain Man, gros coup de bol, Charlie Babbit est sauvé de ses problèmes financiers parce que son frère autiste compte les cartes à Las Vegas. Dans Training Day, Jake Hoyt, gros coup de bol, n’est pas tué par Smiley pour avoir aidé la cousine de celui-ci et gardé par hasard son portefeuille (et ne pas avoir été assassiné AVANT que Smiley ne décide de le fouiller et trouve le portefeuille). Dans « Seul au Monde », gros coup de bol, Chuck est diplômé de navigation, finit par trouver le moyen de quitter l’île et retrouve la civilisation.

    Mais le film est ailleurs, bien-sûr. Charlie Babbit a été forcé de passer du temps avec ce parfait inconnu et a fini par se rendre compte qu’il est bel et bien son frère. Jake Hoyt a survécu à son premier jour sans (trop) se compromettre (Il a quand même une dette envers Smiley). Chuck, lui, a réussi à survivre et, revenu à la civilisation, doit réapprendre à vivre.

    Chuck Noland est un peu comme Henri Guillaumet, échoué dans la Cordillère des Andes,tenté par la Mort mais qui ne s’est pas laissé mourir et s’est forcé a vivre en mettant simplement un pied devant l’autre jusqu’à ce que son chemin lui fasse retrouver la société humaine. Chuck Noland a aussi été tenté par la Mort, s’est forcé à continuer de vivre, a réussi à quitter le lieu où il avait échoué et son chemin l’a mené sur les voies commerciales qui, Civilisation oblige, ramènent à la société humaine

    Henri Guillaumet travaillait pour l’Aéropostale, Chuck Noland pour Fedex. Les facteurs sont des héros méconnus.

    • Merci pour ce commentaire très juste. Ces aventures se produisent-elles grâce à un heureux hasard ou se provoquent-elles?

    • Comme dans la plus part des films américains, les ficelles du scénario sont énormes. Par exemple ; lorsque Chuck retrouve Kelly, leurs retrouvailles ont lieu sous la pluie. Ils auraient pu s’embrasser dans le garage ou bien dans la voiture, non c’est sous la pluie. Pourquoi ? Parce que les conventions hollywoodiennes mentionnent que les scènes « émotion » doivent avoir lieu sous la pluie. Vous ne vous demandez pas pourquoi les colis de la Fedex renfermaient des patins à glace, des cassettes vidéo, un ballon ? Pour les besoins du scénario bien sûr. Pourquoi n’y avait-il pas de boite à outils, d’ustensiles de cuisine ? Pour que le naufrage de Chuck ne ressemble pas au Club Med. Ça ne vous vous a pas étonné de voir des pâtes d’araignées de mer sur le buffet de retour ? Ce n’est pourtant pas facile à manger, un verre de champagne à la main !

      • Merci pour ce commentaire Bob. Il est clair que le cinéma Américain laisse toujours la place au rêve. L’histoire doit être belle plus qu’elle ne doit être réaliste. On ne cherche pas forcément à coller au plus du tragique, comme dans le cinéma britannique de Ken Loach par exemple (cf Sorry We Missed You).

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