LES DÉMONS DE JÉSUS
Bernard Bonvoisin, 1997
LE COMMENTAIRE
Les historiens affirment que Jésus n’aurait pas été crucifié les bras ouverts contrairement à ce qu’affirme la légende. À l’époque, on crucifiait plutôt les bras en l’air. Plus efficace. Il n’aurait pas porté une couronne d’épines. Peut-être qu’il était souriant. De toute façon, il n’aurait peut-être même pas existé. En tout cas pas comme on le soupçonne (cf La vie de Brian).
LE PITCH
Il était une fois dans la banlieue Ouest.
LE RÉSUMÉ
Jésus (Thierry Frémont) et son frère Dédé (Patrick Bouchitey) vivent de petites magouilles. Ils sont issus d’une famille de forains sédentarisés : les Jacob. Le père Jo (Victor Lanoux) noie sa dépression dans l’alcool et passe son temps à râler contre De Gaulle devant sa télé.
C’est hors de question que je lèche le cul de la République!
La mère Rita (Antoinette Moya) tente discrètement de maintenir l’équilibre. Jeannot (Ludovic Vandendaele) a hâte de quitter l’école pour faire de l’artiche. Ernest (Pierre LaPlace) est le seul à avoir quitté la banlieue pour faire des études à Paris. Tandis que Marie (Nadia Farès) aimerait bien sortir de sa condition minable.
Mes racines je les renie pas moi, mais c’est pas une raison suffisante pour que je reste toute ma vie une putain de caissière.
Jésus est morgan de Mathilde (Fabienne Babe) dont le frère Gérard (Elie Semoun) ne se prononce clairement pas en faveur de cette relation.
T’as pas compris que cet enculé il en veut qu’à ton cul ? Une fois qu’il t’aura pinée, il va te jeter comme une merde!
Et alors ? C’est mon cul!
Quoi ?!
Une brouille de plus qui vient s’ajouter à un climat déjà passablement tendu entre les Jacob et les Piacentini, une famille d’immigrés Italiens.
Race de traîtres! S’agit de pas se faire enfiler par ces menteurs.
Lorsqu’Antoine Piacentini (Jean-Louis Tribes) viole Marie avec la complicité de son frère Bruno (José Garcia), c’est la goutte d’eau qui fait déborder le Ricard. Jo sort les fusils à pompes.
Montrez leur qui on est à ces bâtards. Les chiens mangent les chiens.
Jésus et Dédé ont déjà réglé son compte à Gérard.
On va le clouer au mur, ça va lui détendre les nerfs du cul.
À présent, ils se rendent chez les Piacentini pour faire le ménage. Les flics Caldet (Martin Lamotte) et Morizot (Yann Collette) arrivent sur les lieux pour éviter la catastrophe.
Un an plus tard, la famille se retrouve au grand complet et en profite pour maudire les manifestations de mai 68.
Y sont beaux les libérateurs!
On vit une drôle d’époque…
L’EXPLICATION
Les Démons de Jésus, c’est trouver la sérénité.
La fin des années soixante sonne le crépuscule des Trente Glorieuses. On fume encore allègrement dans les cafés sans trop se soucier du cancer. Le chômage guette. L’immigration commence à poser problème pour certains. Les Français se plaignent à nouveau, à l’image de Jo.
Société de merde…
Le libéralisme est en train de pervertir la belle cohésion née de l’après-guerre. Raymond Piacentini (Roberto Herlitzka) ne pense qu’au business.
J’ai pas de voisins, j’ai que des clients.
La jeune génération se renferme peu à peu sur elle-même, faisant preuve d’un protectionnisme farouche.
Tu regardes ma soeur, j’t’encule ta race!
Un regard de travers et l’affrontement éclate.
Qu’est-ce t’as ? Tu veux qu’j’te nique ta mère ?
On peut dire que la paix est belle et bien finie. Tout le monde a envie d’en découdre à nouveau.
C’est au calibre que ça se règle ces choses là, pas au carton comme les tapettes!
Des heures sombres se profilent à l’horizon.
Dans ce monde pugnace, les Jacob font figure de pèlerins à l’arrêt. La fête est finie pour les forains. Au sein de cette famille rongée par les frustrations en tout genre, Jésus tente de redonner un peu de mouvement. Il prêche la bonne parole.
Il faut s’arracher y’a que ça à faire, mais ensemble. Ça tient qu’à nous. Ni une ni deux on reprend la route j’embarque tout le monde moi. On va se faire une embellie ailleurs. Bourlinguer on a ça dans le sang. Quitte à se rouler dans la boue autant le faire en famille.
Jésus cherche un peu de bonheur, avec humilité. Après tout, celui qui est censé marcher sur l’eau ne sait même pas nager.
Avec un prénom comme ça vous faites quoi ? Des miracles ?
Non, moi j’essaie de vivre…
Car Jésus n’est pas encore un Saint. Loin de là. Un homme, avec tous ses démons. Sans attache. Il n’est pas encore dans l’amour de son prochain
Nous au moins, on se mélange pas!
Lorsqu’Antoine viole Marie, Jésus est aussitôt tenté par la vengeance.
Ils ont violé notre soeur alors on est venu leur brûler les couilles c’est tout!
En réalité, Jésus porte en lui ce que l’humanité a de pire. Une colère thanatophile très prononcée.
J’enculerai la vie avec la haine dans les yeux.
Sa sérénité est troublée car il ne parvient pas à achever son désir de liberté, persuadé que le monde l’empêche de reprendre la route.
Je me sens pas persécuté, je te dis simplement qu’on me juge avant de me connaître. Les gens, ils aiment pas la différence. J’suis pas soumis, je serai jamais résigné. Moi je veux évoluer à ma guise. (…) Je veux être libre, le reste c’est pour les cons.
Cet électron a vraiment besoin que Sainte Mathilde, patronne des familles nombreuses, le remette à sa place.
Qu’est-ce que tu veux prouver ? Tu crois qu’être un homme c’est avoir un poing et une bite, tu crois que ça te rend invulnérable ? Pauvre con. En plus, t’as pas inventé l’eau chaude. (…) Si t’as cinq minutes descends de ta croix. (…) Comporte toi décemment, les gens te respecteront. T’es qu’un parleur.
En quelques mots, Jésus vient de comprendre l’essentiel.
Tu m’as ouvert les yeux.
Grâce à Mathilde, il se rend compte que la colère ne lui apporte rien. Chercher désespérément la liberté sans avoir de but précis n’a finalement que très peu d’intérêt. À quoi cherche-t-il à échapper ?
Il est temps de ranger les points d’exclamation. Poser sa croix comme on pose ses valises. Jésus réussit à dompter ses demons pour devenir amour.