MUSTANG
Deniz Gamze Ergüven, 2015
LE COMMENTAIRE
Quand on n’a que l’amour pour unique raison, la vie n’est déjà pas simple. Quand on est une jeune adolescente et qu’on vit dans la Turquie rurale, c’est beaucoup plus compliqué encore. Face à la rigidité des coutumes ancestrales qui empêchent l’individu féminin de se développer, on n’est pas trop de cinq. L’union fait plus que jamais la force.
LE PITCH
La tradition du mariage turque sépare cinq soeurs au compte-gouttes.
LE RÉSUMÉ
La petite Lale (Güneş Nezihe Şensoy) dit au revoir à son enseignante Mme Dilek (Bahar Kerimoglu), la mort dans l’âme puisque celle-ci repart à Istanbul. Lale rejoint ses soeurs pour aller fêter les vacances avec leurs camarades d’école.
Une fois à la maison, elles se prennent un savon par leur grand-mère (Nihal Koldaş) qui est au courant de tout. C’est le drame.
Tu as frotté ton entrejambe près du visage d’un garçon.
C’était un jeu!
Il n’y a pas de tels jeux!!
Lorsque leur oncle Erol (Ayberk Pekcan) rentre à la maison, c’est pire. Cet après-midi de légèreté va tout précipiter. Erol veut faire régner la discipline. Il transforme d’abord la maison en bunker au moyen de grilles sur les fenêtres. La cuisine et le ménage remplacent l’ordinateur et le téléphone. Selon les règles du patriarcat, ses nièces vont partir une à une au plus offrant. À l’ancienne.
Sonay (İlayda Akdoğan) exige d’être mariée à Ekin (Enes Sürüm), son petit-ami officiel. L’aînée met la pression sur sa grand-mère qui finit par céder.
Selma (Tuğba Sunguroğlu) se résigne à épouser le lugubre Osman (Erol Afşin), sans émotion d’un coté ni de l’autre.
Vous vous connaissez?
De vue.
Les parents sont à l’affût lors de la nuit de noce.
Tu nous montres le drap?
La jeune fille n’a pas saigné. Direction l’hôpital. Personne ne semble vouloir croire Selma lorsqu’elle affirme qu’elle est vierge.
Je veux qu’on me laisse tranquille.
Le gynécologue est pourtant formel, il voit bien l’hymen. Selma aura la vie sauve.
Ece (Elit İşcan) est la prochaine sur la liste. Violée par son oncle, elle préfère abandonner ses soeurs pour mettre fin à son supplice (cf The virgin suicides).
Désormais, c’est au tour de Nur (Doğa Zeynep Doğuşlu). Lale organise l’évasion (cf Les Évadés). Elle sait où se trouve l’argent et compte sur Yasin (Burak Yiğit) pour les déposer à l’arrêt de bus qui les mènera à Istanbul.
Le plan fonctionne.
Une fois dans la capitale, les filles se réfugient chez Mme Dilek.
L’EXPLICATION
Mustang, c’est une bataille contre le patriarcat (cf Les dents de la mer 2).
À défaut d’être quatre garçons plein d’avenir, Sonay, Selma, Ece, Nur et Lale sont cinq jeunes filles dans le vent. Leurs parents sont morts. Les voilà donc lâchées comme des chevaux sauvages dans la nature.
Elles font tout ce qu’elles veulent depuis toujours.
Profiter de la vie Oo presque… Puisque leur environnement n’est clairement pas favorable. À 1,000 kilomètres d’Istanbul, les filles sont espionnées et dénoncées par les voisines. Rien ne sert de protester.
Vos grands vêtements couleur de merde vous font l’émissaire de la morale?!
On finit par braquer les filles d’une carabine parce qu’elles s’amusent dans un champ, à la recherche du fruit toujours défendu.
On a juste cueilli quelques pommes!!
Pour obtenir leur liberté, elles vont devoir batailler contre Erol, représentant autoritaire d’un patriarcat à bout de souffle, qui survit encore tant bien que mal dans les villages. Cet homme n’a qu’une logique :
Fais ce que je dis!
Ce geôlier violent et hypocrite abuse de sa position dominante. Il se moque plus de l’avis de ses nièces que de l’identité du gendre. Ainsi, il se fait le porte-parole d’une idéologie nauséabonde qui a fait son temps.
La femme doit être chaste, pure et connaître les limites qui lui sont administrées. Elle ne doit pas rire devant tout le monde et être tentatrice par chacun de ses gestes. Elle doit protéger sa chasteté. Où sont les filles qui rougissent quand on les regarde?
De son côté, la grand-mère essaie de s’élever contre cette dictature ridicule. Elle couvre même pour ses petites-nièces quand celles-ci partent assister à un match de foot en cachette (cf Comme des garçons). Cette femme tente désespérément de raisonner son fils.
N’écoute pas tout ce qu’on dit.
C’est peine perdue. Le patriarcat est trop profondément implanté dans les mentalités sur les rives de la Mer Noire.
On en est là car tu n’as pas rempli ton rôle.
Comment s’en sortir? Sonay monte au bras de fer et parvient à s’en tirer avec les honneurs. Elle sera l’exception. Sans l’aînée, les soeurs perdent un atout de poids. Selma baisse bien vite les bras.
Si tu ne veux pas être la femme d’Osman, tire toi.
Comment?
Prends une voiture et file.
Et j’irai où?
Blessée, Ece préfère se suicider plutôt que de se laisser passer la bride.
Nur prend le même chemin que Selma.
La responsabilité revient à Lale, la plus sauvage, de prendre le taureau par les cornes en s’enfermant dans la prison qu’a construit Erol. Le piège du patriarcat se retourne contre le patriarche. La révolution gronde de l’intérieur. Les filles ne se cachent pas puisque Nur affirme clairement son intention d’indépendance, au grand jour.
Je ne me marierai pas avec ce type!
Ce non est fondateur. Il va permettre de reconstruire.
Reste encore à pouvoir s’enfuir de la forteresse, avec audace. Le jeune génération incarnée par Yasin se révélera être un allié précieux dans cette échappée. Il apprend à conduire à Lale et répond présent au rendez-vous. Altruiste, il dépose les filles à la station sans rien attendre en retour (cf A star is born). Puis il s’efface pour qu’elles puissent prendre leur envol (cf Le silence des agneaux). La preuve qu’on peut encore compter sur certains garçons (cf Je ne suis pas un homme facile).
Nur et Lale quittent l’obscurantisme de la campagne pour tenter leur chance à Constantinople, berceau de la civilisation. En ville, elles pourront compter sur Mme Dilek symbole d’un enseignement grâce auquel elles devront pouvoir réussir à se développer et s’épanouir.
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