MOONLIGHT

MOONLIGHT

Barry Jenkins, 2016

LE COMMENTAIRE

Pour savoir si l’on peut faire confiance à quelqu’un, on peut se laisser tomber à la renverse. On compte sur l’autre pour nous rattraper. Pour savoir si l’on peut vraiment faire confiance à quelqu’un, on peut se laisser porter. On comptera alors sur l’autre pour qu’il ne nous fasse pas boire la tasse.

LE PITCH

Les trois grands chapitres de la vie d’un homme qui passe de petit garçon à 50 cents.

LE RÉSUMÉ

i. Little

Chiron (Alex Hibbert) se fait harceler à l’école. Sa mère (Naomie Harris) est toxicomane à temps plein et n’a donc pas le temps de s’occuper de son fils. Juan (Mahershala Ali), un dealer local le prend sous son aile. Il est le père que Chiron n’a jamais eu.

At some point you’ve got to decide for yourself who you gonna be. And let nobody make that decision.

Chiron n’est pas dupe. S’il est redevable envers Juan, il devine malgré son jeune âge que Juan contribue à empoisonner sa mère.

ii. Chiron

Quelques années plus tard, certaines choses n’ont pas changé. Chiron (Ashton Sanders) est toujours harcelé par ses camarades. Sa mère est toujours plus que jamais défoncée. Elle lui fait du chantage affectif.

You’re my only. I’m your only.

Après une journée un peu plus dure que les autres, Chiron décide de traîner sur la plage avec son copain d’enfance Kevin (Jharrel Jerome). Les deux garçons fument un joint puis s’embrassent. Kevin caresse Chiron sur la plage avec beaucoup de délicatesse.

Quelques jours plus tard et sous la pression des autres, Kevin va cependant devoir frapper son partenaire. Ce dernier, le visage encore en sang, refuse de balancer. Il va se faire justice lui-même en fracassant une chaise sur Terrel (Patrick Decile). Direction le centre de détention pour mineurs (cf Sleepers).

iii. Black

Chiron (Trevante Rhodes) a mué en dealer respecté dans la banlieue d’Atlanta, empruntant son style à Juan. Il a pris le surnom de ‘Black’ que lui avait donné Kevin (André Holland). Un beau matin, il reçoit un message de son ami devenu cuisinier dans un resto cubain, ex-taulard, divorcé et papa. Avec une invitation pour Miami. Chiron fait un crochet pour voir sa mère dans un centre de désintoxication avant de faire les 10h de route.

Black et Kevin ont du mal à cacher leurs émotions respectives. Tant d’années ont passé… Ils ont besoin de quelques minutes pour s’apprivoiser, avant de se retrouver.

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L’EXPLICATION

Moonlight, c’est la beauté d’une personne sans filtre.

Coluche avait traduit les évangiles dans un éclair de génie: Dieu a dit, il y aura des hommes grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux, il y aura des hommes moches, il y aura des hommes blancs, il y aura des hommes noirs… et tous seront égaux. Mais ça sera pas facile! Dieu a ajouté, il y aura des hommes petits, moches et noirs et pour eux ça sera très dur!

La réalité de Chiron.

Le petit garçon doit s’inventer gangster pour mieux affronter le monde. Pas d’autre manière pour lui d’assumer sa différence.

Little n’a évidemment pas le physique de l’emploi. Il n’est clairement pas de taille. Son papa est parti. Beau-papa vend indirectement du crack à sa mère démissionnaire. Chiron est noir. Et il aime les garçons.

Il parait bien esseulé dans ce combat (cf Philadelphia) et se fait logiquement chahuter à l’école où il est une proie facile pour les autres. Trop faible en apparence.

Toute une vie passée à se chercher.

Savoir qui on est. Devenir qui on est. Aimer qui on est.

Little galère un bout de temps à se demander qui est Chiron. Et même si Juan lui a dit qu’il ne devait laisser personne le définir, Chiron ne fait que chercher à lui ressembler. Black est devenu une copie de Juan. Et Black est ni plus ni moins le surnom que lui avait donné son amoureux à l’époque.

On mimique d’autres personnes par facilité. Toujours plus simple que d’assumer sa propre identité. Monter sur scène et se sentir soudainement bien seul.

Juan avait néanmoins raison sur un point: on n’a qu’une nature qui n’appartient qu’à nous. Cette nature est un agrégat de tout ce qui nous entoure.

You are in the middle of the world.

On ne peut comprendre quelqu’un que si on l’envisage dans toute sa complexité. Black est la conséquence de Chiron. Kevin lui-même ne le reconnaît pas dans un premier temps, alors qu’il a pourtant partagé son intimité dans le passé.

I ain’t see you in like, a decade… It’s not what I expected.

What did you expect?

Frustrant pour Chiron qui a l’impression de n’être que lui-même. Il ne force pas son personnage. Tout simplement, parce qu’il ne joue pas de rôle. Il porte en lui l’enfant du passé. S’il sait désormais gonfler les biceps quand la situation l’exige, il ne cache pas ses larmes. Il parle peu mais il parle. Ses mots n’en ont que plus d’importance (cf Three billboards).

I’m me man, I ain’t trying to be nothing else.

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Pour vraiment connaître – et accepter – quelqu’un, il est nécessaire d’aller au delà des apparences (cf Billy Elliot) et des silences. Regarder les gens à la lumière éclairante de la lune plutôt qu’à la lumière aveuglante du soleil (cf Sunshine).

Dans le regard sans émotion de Black, on sent l’influence de Juan. Cependant, ses muscles saillants ne sauraient masquer l’extrême sensibilité de Chiron. Même s’il a essayé de repartir de zéro à Atlanta, il a emmené son histoire avec lui. Impossible de comprendre Chiron sans connaître Little. Kevin reconnaît celui qu’il a fréquenté, son Chiron – ce centaure immortel réputé pour sa sagesse et ses nombreuses connaissances.

Une personne comme des mille-feuilles. Complexe et pleine de nuances.

Derrière l’adulte de marbre se cachent à la fois l’adolescent sensible et l’enfant perdu mais déterminé. À la lumière de la lune, toutes ces dimensions se réconcilient. Tout le monde s’y retrouve.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

4 commentaires

  • Merci pour ce très beau commentaire sur un très beau film. Si la lune est éclairante et le soleil aveuglant alors il faut savoir apprécier le clair de lune. Contrairement au dicton, la nuit tous les chats ne sont pas gris. Car quand on y pense, la lune ne fait que refléter la lumière du soleil. Encore faut-il savoir se regarder pour apprécier nos nuances. Ce que nous apprend ce film, peu de dialogues mais beaucoup de regards.

    • Merci Delphine. C’est vrai il y a un effort d’observation car tout ne passe pas toujours par le dialogue avec ceux qui ont du mal à parler. Le clair de lune met en relief les nuances, pour peu qu’on y prête attention…

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