PRISONERS

PRISONERS

Denis Villeneuve, 2013

LE COMMENTAIRE

L’heure d’hiver, les ennuis du boulot, le mauvais temps, les disputes de couple, les factures à payer sont autant de sources de stress qui finissent par donner des cheveux blancs et des cernes. Cela ne sert vraiment à rien de se mettre en colère.

LE PITCH

Deux petites filles vous manquent et tout est dépeuplé.

LE RÉSUMÉ

Les Dover se rendent chez les Birch pour Thanksgiving. Anna Dover (Erin Gerasimovich) et Joy Birch (Kyla-Drew Simmons), pourtant sous la surveillance de leur frère (Dylan Minnette) et soeur (Zoë Soul) disparaissent. Rien à signaler dans le voisinage qu’un mobile home suspect.

Très vite alertée, la police arrête le conducteur du véhicule. Alex Jones (Paul Dano) se révèle être attardé mental. Interrogé par le détective Loki (Jake Gyllenhaal), il ne dit rien. Aucune trace des filles dans son camping car.

L’enquête piétine. Les chances de retrouver les petites se réduisent au fur et à mesure que les jours passent. Nancy Birch (Viola Davis) n’arrive plus à dormir ni à manger. Keller Dover (Hugh Jackman) panique. Il est convaincu qu’Alex est le coupable. Keller va donc se faire justice lui-même en kidnappant le simplet, avec la complicité de Franklin Birch (Terrence Howard).

We hurt him until he talks or they gonna die. That’s the choice.

Alex ne sort pas de son mutisme, malgré des jours et des nuits de torture.

De son côté, Loki n’a pas abdiqué. Au fil de ses recherches, il finit par trouver beaucoup de poussière sous le tapis. Dans la cave du prêtre Patrick Dunn (Len Cariou), il découvre le corps d’un homme qui aurait tué une quinzaine d’enfants. Toujours pas de nouvelle des fillettes.

Joy réussit à s’échapper miraculeusement. À l’hôpital, son témoignage permet à Keller de comprendre qu’Holly (Melissa Leo), la tante d’Alex, est la responsable. Il la confronte. Suite à la mort de son fils, Holly et son mari ont kidnappé de nombreux enfants, dont Alex, Anna et Joy. Holly menace Keller de son arme et l’emprisonne dans un puisard où il retrouve le sifflet qu’il avait donné à sa fille.

Loki ne désespère pas. Il continue son enquête et retrouve d’abord Alex puis remonte jusqu’à Holly. Anna est choquée mais saine et sauve. Keller est toujours porté disparu. La police a quitté les lieux sauf Loki dont l’attention est attirée par le son étouffé d’un sifflet sous-terrain.

L’EXPLICATION

Prisoners, c’est avoir la tête sous terre.

Quand on habite au fin fond de la Pennsylvanie, il fait gris toute la vie. Les usines ont fermé. On ne dirait pas le Sud, n’en déplaise à Nino Ferrer. Plutôt les Hauts de France (cf La Cravate). Pour éviter de déprimer, on se laisse pousser une barbe, une vraie – pas une barbe de hipster. On conduit un gros 4×4, un vrai – pas un crossover compact à l’épreuve de la ville.

Éventuellement, on équipe ses fenêtres de barreaux en plus de son alarme antivol pour se protéger des cambrioleurs potentiels. La chasse au chevreuil dans les bois (cf Voyage au bout de l’enfer). On se sert les coudes entre voisins, en attendant le déclin qui ne saurait tarder.

Pray for the best, but prepare for the worst.

Keller, comme la plupart des habitants de ces petites villes, pense par le bas. Englué dans cette mentalité de l’attente du pire. Il est certainement sensible aux arguments conservateurs. Ses grands principes protectionnistes et son sifflet ne vont pourtant pas empêcher sa fille de disparaître, dans son propre lotissement c’est à dire quasiment sous son nez.

Keller est déjà à la merci du ravisseur de sa fille avant même que le drame ne se produise car il est prisonnier de sa propre angoisse du monde: moi contre les autres.

You know the most important thing your granddad ever taught me? Hmm? Be ready. Hurricane, flood, whatever it ends up being. No more food gets delivered to the grocery store, gas stations dry up. People just turn on each other, and uh, all of a sudden all that stands between you and being dead is you.

La disparition de sa fille lui offre exactement ce qu’il attendait: une injustice qui va lui permettre de libérer sa sauvagerie. Tout ce qui se passe autour de lui n’est plus que de l’huile jetée sur son feu. Il nourrit sa propre peur. Comme Paul le jaloux, Keller est tout simplement prisonnier de sa folie.

Why won’t you just fucking tell us?……… He knows, he knows.

En vérité, il ne veut même plus retrouver sa fille, il veut avant tout retrouver son agresseur et lui faire payer. Il veut se venger.

Don’t talk to him! Arrest him!!

Cogner, encore et encore plus fort. Se laisser s’enfoncer lentement dans l’horreur.

He’s not a person anymore. No, he stopped being a person when he took our daughters.

Où les pulsions de Keller le conduisent-elles ailleurs que vers les ténèbres (cf It comes at night) ? Il n’a pas la lucidité de savoir par où commencer. Par contre il a la prétention de croire qu’il peut faire le boulot de la police (cf l’ultime souper). Pourtant, il est bien trop aveuglé par la haine pour trouver qui que ce soit. Il finit par se mettre à boire pour mieux torturer une innocente victime.

Sa fille est en vie mais c’est Keller qui perd la sienne, tout seul. Il se retrouve pris à son propre piège.

Loki, le petit flic de rien du tout, ne baisse jamais les bras. L’éclaireur trouve la responsable. Celui qui parvient à libérer Anna, pas son père fou furieux. C’est même Loki qui va libérer Keller de son trou. Loki a toujours refusé le défaitisme et la médiocrité affichées par son chef:

Look, kid, we can’t always save the day. All right? We’re just cops. Janitors.

Quand on veut trouver des solutions, on en trouve. On peut aussi s’appuyer sur les autres pour garder son calme, réfléchir, questionner et faire attention aux détails. Car on n’est pas tout seul. Quand la contagion de la bêtise nous menace, l’intelligence reste encore le meilleur des vaccins (cf Three billboards).

Nous avons le devoir de venir au secours de ceux qui se noient. Ne pas laisser le couvercle sur la casserole de Keller pour l’empêcher de mijoter dans son obscurantisme. L’aider à sortir la tête de sous terre. Le libérer de sa propre prison.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

9 commentaires

  • Si on avait pu voir la fin ce soir sur la 25 mais non pas de signal

  • Bonjour, merci pour l’éclairage sur ce film sombre. En revanche, je m’étonne de votre explication : rien sur Bob Taylor ? Bien cinéphilement

    • Merci Lachepa pour votre question. Il s’agit sans doute d’une fausse piste de plus dans un gros sac d’embrouilles. Bob Taylor est l’un de ces nombreux détraqués qui existent et dont nous n’avons pas conscience. Il est la poussière sous le tapis. Lui aussi a été victime d’un kidnapping dans son enfance. Sa présence se justifie pour renforcer la complexité de l’enquête.

  • Bonjour, Tout à fait d’accord sur l’analyse de Keller qui semble déjà engagé dans une tragédie avant qu’elle n’arrive. Par contre, les choses ne me paraissent pas si simples concernant Loki. Certes, il est plein de bonne volonté et essaie de faire son boulot du mieux possible, mais c’est un enquêteur plutôt médiocre et il en a conscience. Il se soumet aux décisions pitoyables de son chef même s’il se rebelle verbalement. C’est d’ailleurs son chef qui l’envoie chez Holly Jones et s’il sauve la petite Keller, c’est vraiment par hasard. La médiocrité semble encore centrale quand Holly Jones se joue de Keller, le surentraîné, et lui dit que depuis le départ de son mari, elle fait ce qu’elle peut. J’imagine qu’il faut y voir le fait que notre monde est gouverné par la médiocrité et menacé par le fanatisme.

    • Merci beaucoup Nico Jana pour ce commentaire. Regard très intéressant sur le personnage de Loki.
      Je partage votre explication sur un cocktail entre médiocrité et frustration qui peut conduire à des dérives fanatiques.

  • Je ne suis pas d’accord sur le portrait negatif que vous faites de Keller.
    C’est un père qui s’est juré de protéger sa famille et qui se retrouve dans l’échec et le desespoir. Avec en plus sa femme qui lui met la pression en lui signifiant qu’il est responsable car il n »a pas pu protéger son enfant.
    Vous oubliez qu’il a entendu directement de la bouche d’Alex que celui-ci avait enlevé les filles alors que la police le tient pour totalement innocent et trop idiot pour pouvoir enlever des gamines en plein jour.
    Seul contre tous, la suite de l’intrigue lui donne raison : Alex a bien enlevé les fillettes et sait très bien qu’elles sont prisonnières chez sa tante.
    Keller n’use pas de la violence par plaisir, il implore Alex de parler pour lui éviter de le torturer. Il prie sans cesse en espérant être pardonné de sa violence. Ce qu’il fait le répugne mais il est convaincu que son suspect est le bon et pour cause, il a deux éléments à charge assez lourds : l’aveu oral du suspect et la chanson des gamines qu’il a reprise en promenant son chien.
    Je pense sincèrement que vous devriez essayer de vous mettre à la place de Keller, si vous avez des enfants et que vous les aimez je pense que vous devriez arriver à le comprendre au lieu de le juger de façon aussi superficielle et caricaturale.

    • Merci beaucoup Jean-Luc pour cette belle contre-explication. Vous apportez une autre lecture très juste, qui s’appuie sur le désespoir d’un père de famille qui pousse un homme à commettre des actes infâmes qui le répugnent. Keller est prisonnier de sa situation. Mais on peut envisager sa position en étant moins critique, vous avez raison. Il ne contrôle plus rien.

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