DELICATESSEN
Jean-Pierre Jeunet, Marc Caro, 1991
LE COMMENTAIRE
La France est un pays de gastronomes au point qu’on aime y manger un peu tout et n’importe quoi, même si nos voisins ne peuvent pas le comprendre. Les Anglais se moquent de notre amour des grenouilles. Les Américains sont horrifiés parce que nous mangeons du cheval. Seuls les Chinois n’arrivent pas à comprendre comment nous nous refusons à déguster du chien ou du chat. Faut pas exagérer quand même. Nous préférons le fromage de tête. Sans doute à cause de nos chers philosophes.
LE PITCH
Un immeuble vit sous la menace d’un boucher fou.
LE RÉSUMÉ
La guerre a ravagé le pays. Les habitants sont contraints de se rationner (cf La Traversée de Paris).
Comment ça va en ville?
Mal! Très mal!
Le boucher du rez-de-chaussée en profite. Clapet (Jean-Claude Dreyfus) est un homme plutôt brutal. Son job requiert de ne pas faire dans la dentelle. Son astuce, faire passer des offres d’emploi dans le journal local « Temps difficiles » afin de recruter des candidats qu’il pourra mieux hacher et resservir à ses clients.
Louison (Dominique Pinon) répond à l’annonce. Il semble un peu trop frêle au goût du boucher qui le prend malgré tout sous son aile, à la maintenance de l’immeuble.
Vous manquez de charpente. Mais je veux bien vous donner votre chance. Mais va falloir bosser hein!
Ancien clown de profession, Louison se fait rapidement apprécier par les résidents. Son travail est tellement efficace qu’il prolonge temporairement son espérance de vie. Julie Clapet (Marie-Laure Dougnac), la fille du boucher, en tombe rapidement amoureuse. Elle l’invite chez elle à prendre le thé. Tous les deux font preuve d’une timidité touchante.
Le temps passe et les meurtres s’enchaînent. Les cris retentissent dans la nuit, créant un climat de paranoïa insoutenable dans tout le bâtiment. Chacun s’enferme à double-tour. Julie connaît le tempérament changeant de son père et s’inquiète pour son amoureux. Elle prend l’initiative de contacter un groupe d’activistes végétariens qui vivent dans les égouts. Le plan : Exfiltrer Louison contre quelques sacs de maïs.
Les Troglodistes tentent une mission sauvetage mais capturent par erreur Madame Plusse (Karin Viard), la maîtresse du boucher. Fou de rage et au bout de sa patience, Clapet finit par attaquer Louison qui se réfugie dans l’appartement de Julie. Ils ont l’idée d’inonder la pièce.
Appuyé par tous ses voisins, Clapet ouvre la porte et provoque un déluge. Pendu sur la cuvette des toilettes, Louison parvient à éviter le couteau du boucher qui lui revient en pleine tête. Le règne despotique de Clapet touche à sa fin.
Les deux amoureux jouent de la musique sur les toits.
L’EXPLICATION
Delicatessen, c’est le triomphe de guignol.
Quand on a le nez dans le guidon, on n’arrive pas à constater les changements de société. C’est le risque qu’on prend à être collé à l’information d’un peu trop près : on se prive du recul nécessaire pour analyse ce qui se passe dans le monde. Notre tolérance à l’inacceptable nous empêche de mesurer la dégradation d’une situation.
Par exemple, Donald Trump a enchaîné les mensonges ou les allégations scandaleuses les unes après les autres sans que les Américains ne disent stop. Résultat, le pays a plongé de manière vertigineuse sans que personne ne s’en rende véritablement compte.
Tout cela pour dire qu’on ne voit jamais arriver les dictatures car elles manoeuvrent de manière sournoise par la suppression graduelle des libertés (cf La Vague). Quand on le réalise, il est souvent trop tard.
On ne sait pas ce qui s’est passé dans cette ville pour que le seul quotidien disponible soit le journal « les temps difficiles ». Avec un titre comme celui-là, difficile de regarder l’avenir avec confiance. Qu’est-ce qui a ravagé les coeurs : Une guerre ? Une catastrophe naturelle ? Toujours est-il que l’humanité en est quasiment revenu à l’état de nature et que les forts en profitent, à savoir ceux qui sont grands et qui parlent fort comme Clapet.
Il cumule :
Vulgarité
Oh oui boucher! On va les massacrer!
Nan mais dis donc connasse… tu t’es crue au safari ??
Xénophobie.
Ici ou ailleurs on n’est nulle part ici. Comme ça, on n’est pas emmerdé par le voisinage! Ni par les visiteurs.
Misogynie.
Ce serait dommage de perdre ces jolis jambons…
Homophobie.
Ces pédés de bouffeurs de légumes, ils paient rien pour attendre!
Clapet a le blues du boucher.
Je sais bien que t’aimes pas mon métier mais il en vaut bien d’autres. Je suis pas un artiste moi!
Le Maître des lieux est donc un homme rustre, qui frappe sa fille et qui tue des inconnus pour les dépecer et les revendre à ses clients. Ce dirigeant cannibale fait régner la terreur dans un monde qui s’arrête à sa cage d’escaliers (cf Pusher 3).
Sous cette gouvernance, les gens différents sont contraints de vivre au sous-sol.
Arrive alors un petit bouffon, Louison, sur la pointe des pieds.
Comment tu le trouves le nouveau ?
Il est maigre…
Louison ne tue personne. Au contraire, il répare et entretient. Il s’agit d’un mélomane, sensible à la nuance. Créatif, il divertit les enfants. Grâce à lui, l’immeuble retrouve un peu de sa magie perdue. Il gagne vite le soutien des faibles et parvient à se faire une petite place dans cet enfer : Louison est celui que le public réclame à la place du gendarme.
Cette popularité vient faire de l’ombre à Clapet qui ne peut pas supporter de ne plus être le centre du monde. L’affrontement final entre ces deux forces opposées est quasiment inévitable (cf Le Bras de fer). Le nouveau ne se défile pas.
Comme David, conscient qu’il n’a aucune chance face à Goliath, Louison sait qu’il va devoir avoir recours à la ruse. C’est pour cela qu’il a l’idée d’inonder la résidence de ses idées qui se répandent comme de l’eau, sans qu’on puisse les arrêter (cf Inception). Clapet en perd son équilibre.
Tel un maître des arts-martiaux, Louison n’a jamais recours à la force. Il ne fait que se défendre. Ne reste plus qu’à attendre Clapet se mette lui-même hors jeu, ce qui ne va pas tarder à se produire.
Aucune situation n’est désespérée. Attendons le messie, qui n’a pas toujours la forme d’un grand gaillard musclé (cf Terminator 2) ou d’un jeune hacker stylé (cf Matrix). Parfois, il s’agit d’un petit bonhomme qui peut malgré tout nous permettre de remonter sur les toits pour profiter un peu du ciel.
Aucune situation n’est désespérée. Inquiétons nous peut-être simplement du fait que la satire ait disparu de l’espace public. Et prions pour qu’elle renaisse bientôt de ses cendres.
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