LA TRAVERSÉE DE PARIS

LA TRAVERSÉE DE PARIS

Claude Autant-Lara, 1956

LE COMMENTAIRE

Charles De Gaulle avait qualifié les Français de veaux. Emmanuel Macron les a traités de Gaulois réfractaires dans un hommage à Astérix qui n’a pas été compris. Tous les deux voulaient saluer le tempérament français : chauvin et bougon. Le Français ne fait pas de comédie à l’Italienne. Cependant, il monte au bar et trouve encore le moyen de râler alors qu’il a pourtant quatre verres devant lui qui attendent d’être sifflés.

LE PITCH

Le commerce continue de tourner malgré l’occupation Nazie.

LE RÉSUMÉ

1942. Paris est occupée. Les ressources sont réservées aux Allemands. De nombreux Parisiens sont contraints de se rationner. Les boutiques refusent des clients.

Y’a plus rien, allez vous-en!

Marcel Martin (Bourvil), un chauffeur de taxi au chômage, fait de la contrebande. Il joue les mules pour le compte de Jambier (Louis de Funès). Sa prochaine mission est de porter quatre valises remplies de cochon de la rue Poliveau jusqu’à la rue Lepic.

Malheureusement pour Martin, son acolyte s’est fait arrêté par la police. Heureusement, il fait la rencontre d’un homme au verbe fort, un dénommé Grandgil (Jean Gabin). Pour éviter qu’il ne flirte avec sa femme Mariette (Jeannette Batti), Martin l’invite à dîner et lui parle de son plan.

Grandgil est intéressé. Mais la route est longue et les valises sont lourdes. N’ayant peur de rien, il fait du chantage à Jambier pour le faire payer davantage. Devant le refus du commerçant, Grangil hurle à la mort pour alerter le voisinage.

J’crois qu’il va me falloir deux milles francs d’plus. 

C’est sérieux??

Comment si c’est sérieux!

Rien du tout! Vous m’entendez : rien du tout!

J’veux deux mille francs nom de dieu Jambier!! Jambier, deux mille francs!

Rien du touuuut!

…. J’lui casse la gueule?

JAMBIER J’VEUX DEUX MILLE FRANCS JAMBIER 45 RUE POLIVEAU. JAMBIEEER… JAAAAMBIEEEER… JAAAAMBIEEEEER…

Jambier finit par faire pleuvoir les billets.

Le voyage de nuit est périlleux. Les chiens sont attirés par l’odeur du cochon. Les policiers rodent. Grandgil réussit à faire diversion en parlant allemand.

Un peu plus loin, le tandem s’arrête dans un café où Grandgil se fait encore remarquer en insultant copieusement les propriétaires.

3 mentons et les nichons qui déballent sur la brioche. Cinquante ans chacun. Cent ans pour le lot. Cent ans de connerie! 

Où est-ce qu’il va chercher tout ça…?

Qu’est-ce que vous êtes venus faire sur terre nom de dieu? Vous avez pas honte d’exister?? (…) Regarde-les, tiens… ils bougent même plus. Puis après ça, ils iront aboyer contre le marché noir… Salauds de pauvres ! 

Ils s’arrêtent en chemin dans l’appartement de Grandgil qui se trouve être peintre. Pas vraiment dans le besoin, à la surprise de Martin. Son compère l’accompagne simplement pour tester les limites.

Pourquoi t’as fait ça quoi?

Pour voir jusqu’où on peut aller en temps d’occupation. T’as vu comme on peut aller loin? T’as vu c’qu’on peut se permettre avec ces foireux là? Aussi bien avec les riches comme Jambier qui se déculottent pour qu’on les dénonce pas qu’avec les pauvres qui se déculottent eux aussi. Alors eux on se demande bien pourquoi. Probablement que c’est la mode en ce moment de se déculotter. 

Ils arrivent à destination mais trouve la porte fermée. Une patrouille les cueille. À la Kommandantur, un commandant allemand reconnaît l’artiste. Tous les autres sont emmenés, sauf Grandgil à qui l’on donne l’ordre de descendre du camion juste avant qu’il ne démarre. Quant à Martin, il n’aura pas cette chance.  

Et moi?? Et moi!!

1945. Paris est libérée. Grandgil s’apprête à prendre un train. Il est surpris de reconnaître Martin portant ses bagages.

Alors Martin?? Toujours les valises!

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L’EXPLICATION

La Traversée de Paris, c’est à la guerre comme à la guerre.

Une crise s’apparente à une sorte de parenthèse entre deux périodes de stabilité. Ce fut le cas de la Révolution Française ou des deux Guerres Mondiales. Si l’on manoeuvre correctement, on peut en sortir gagnant car l’équilibre des forces en ressort souvent chamboulé. Pour cela, il faut prendre position. Le danger peut conduire à la banqueroute ou à ne plus être en odeur de sainteté. Les plus intègres risquent donc leur vie.

J’me lave pas depuis que la France a été vaincue. Et si personne ne se lavait, la France serait plus propre.

Si l’on ne fait rien, on peut passer entre les gouttes avec un peu de chance et retrouver sa situation d’avant. Car pour certains, tout change mais rien ne change finalement. Les pianistes d’alors continuent à jouer du piano (cf Le Pianiste). Les porteurs de valises comme Martin continuent de porter des valises.

C’est pour cela que la plupart des personnes en temps de guerre ne font pas de vague. Comme ces pauvres que Grandgil dénonce, qui se déculottent et s’en remettent à une poignée de résistants pour retourner la situation. Du fond de leur cachette, ils ont peur.

Messieurs partez ici c’est une maison tranquille, et honnête.

J’ai bien envie de te dénoncer pour t’apprendre à vivre!

D’autres voient leur intérêt dans cette situation. Il s’agit des riches qui s’adonnent au marché noir, comme Jambier, et qui font du profit sur la misère des autres. Ils tirent partie de la crise pour gratter un peu d’argent, à l’image aussi de la femme de Martin qui ne veut pas se contenter de la survie que lui propose son mari.

Alors quand je travaille madame n’est pas libre?? Écoute, t’as pas à te plaindre. Les dix francs que je te paie c’est peut être pas le cinéma tous les soirs mais c’est le bifsteak assuré.

Dans tout ça, il y a les artistes pseudo-engagés comme Grandgil alors qu’ils sont parfaitement neutres. Ils font mine d’être des acteurs de la situation alors qu’ils ne sont que de simples observateurs.

Je l’imaginais autrement le marché noir.

Comment?

Plus noir.

Grandgil fait de grands gestes. On l’entend à des kilomètres à la ronde. Il a la critique facile : les patrons sans scrupules et les employés victimes en prennent pour leur grade. 

Demain qui c’est qui me fera travailler? Plus personne.

Et ben tu feras travailler les autres. Tu seras forcé de devenir patron. Tu vois où ça mène d’être malhonnête?

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À dénoncer tout le monde, on finit par ne dénoncer personne. Grandgil joue sa carte perso pour mieux s’en tirer, comme Malik (cf Un Prophète). Le peintre est avant tout poli avec l’occupant, il extorque les riches et fraternise avec des pauvres qu’il laisse pourtant porter ses valises – sans problème. Martin est pour lui un ami qu’il ne fait pourtant pas descendre de camion.

Chômeur mon ami Martin? Mais il a jamais autant travaillé de sa vie!

Il se comporte avec l’audace de celui qui n’a rien à perdre. Et pour cause : il ne perd rien. Son talent d’artiste lui offre un passeport confortable. Il traverse les périodes sans encombre.

Pendant la crise, on ne joue pas les héros (cf Le Pianiste). Les héros se font fusiller (cf L’Armée des ombres). La majorité s’accroche aux branches (cf Le Marchand). On joue son rôle et on s’en remet à ce qu’on sait faire (cf Casino). Son argent pour Jambier, sa main d’oeuvre pour Martin et son art pour Grandgil. À chacun sa bouée de sauvetage (cf Titanic). Ceux qui font profil bas sont finalement les moins hypocrites.

LE TRAILER

Cette explication n’engage que son auteur.

7 commentaires

  • Le « Salauds de pauvres! », il faudrait le voir comme un cri contre la médiocrité et la petitesse. Il est malheureusement ressassé de manière trop littérale par les pseudos gauchistes et mélenchonistes, qui ne veulent y voir que du mépris des « privilégiés » contre les « pauvres ».

    Bourvil est magistral : face à Grandgil, Martin parvient a avoir de la répartie.
    « Ben, attends un peu qu’il te tombe quelque chose sur le point de la gueule, quelque chose que t’attendrais pas, bien sur! Quelque chose que t’as pas voulu! »

    • Oui et non.

      Oui puisqu’il s’agit bien d’un cri contre la médiocrité de ces petits commerçants qui grattent quelques sous par-ci par-là sur le dos des personnes dans la difficulté. Et effectivement la formule est souvent reprise par les gauchistes pour dénoncer le mépris des privilégiés.

      Non au sens où il ne s’agit pas d’une accusation générique lâchée par n’importe qui. Grandgil est un artiste bourgeois qui vit de son art, contrairement à d’autres (cf At Eternity’s Gate). Il ne fait pas que dénoncer la petitesse, il vise particulièrement certains qui, en l’occurrence, n’ont pas le privilège, comme lui, d’être épargné par les Allemands grâce à son statut.

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