AMY
Asif Kapadia, 2015
LE COMMENTAIRE
Comme le fait remarquer Marsellus Wallace (cf Pulp Fiction), certaines personnes se bonifient avec l’âge. Les années apportent expérience et sagesse. La maturité permet d’affiner le talent et les choix esthétiques. On dit moins de bêtise. La précipitation a laissé place la maîtrise. Fabienne Thibault, Céline Dion, Christophe Dugarry font meilleure figure aujourd’hui que dans leurs jeunes années. Inversement, d’autres personnes vieillissent comme le vinaigre.
LE PITCH
Le destin fulgurant d’une étoile filante du jazz.
LE RÉSUMÉ
La petite Amy est une enfant turbulente, comme les autres. Ses parents ont divorcé alors qu’elle n’a que neuf ans. Le père est absent.
My dad was just never there.
La mère manque d’autorité. Rien de plus classique. Sauf lorsqu’Amy se met à chanter. L’ambiance se fait plus jazzy. Il est évident que la petite a une voix.
Elle compose également. Ses maquettes se font remarquer. Elle signe son premier contrat avec Island / Universal. Nick Shymansky devient son agent et lui trouve des concerts. Les médias raffolent de cette personnalité entière.
She liked to get people in a comfortable position and then shock them.
Au fur et à mesure de sa folle ascension, la chanteuse croise la route d’autres artistes en devenir comme les Babyshambles. Amy tombe amoureuse de Blake Fiedler, un papillon de nuit toxicomane. Tous les deux se sont trouvés.
We were like twins. I was sabotaging myself and I think she wanted to sabotage herself too.
Le père d’Amy refait surface pour s’occuper de la carrière de sa fille – et prendre sa commission. L’album Frank est un succès. Les récompenses commencent à pleuvoir et avec elles les attentes grandissantes du public. Les flash crépitent. Impossible de faire un pas dehors sans être épiée.
Everybody just wanted to spend time with Amy. In that business there’s nothing that can prepare you for that level of success.
Amy reste fragile. Elle ne bénéficie d’aucune véritable protection et par dessus le marché, elle est mal entourée puisque Blake l’initie aux drogues dures : crack, crystal, héroïne… Elle aperçoit très tôt le fond de la piscine.
Par chance, Blake finit en prison. Ce qui laisse un peu de respiration à Amy qui sort Back to Black. Énorme carton mondial. L’artiste change de galaxie en enchaînant les plateaux TV américains. Sa célébrité masque difficilement la dépression qui la mine. Elle supporte de moins en moins la pression et ne rate pas une occasion de se mettre minable pour ne pas pouvoir honorer ses dates. Après quelques cures de désintoxication, et autant de rechutes, Amy navigue à vue. Le milieu se moque d’elle.
Can somebody wake her up around 6 this afternoon and tell her…drunk ass!
Un enregistrement avec son idole Tony Bennett lui redonne le moral.
Son entourage tente de maintenir la poule aux oeufs d’or sous perfusion.
When a lot of money and a lot of expectations is at stake, people’s ideas become a bit skewed. They want to try to sort it out things in a way that doesn’t upset the financial trajectory that’s going on.
M. Winehouse programme le grand retour de sa fille à Belgrade alors qu’elle répète à tout le monde qu’elle n’en a absolument pas envie. On la force à monter sur scène. Elle refuse de chanter comme une enfant qui ferait un caprice devant des milliers de fans qui filment en direct le fiasco sur leurs téléphones portables – prêts à partager cette minute historique sur les réseaux sociaux (cf The Social Network). Embarrassant.
On la croit grillée. Un mois plus tard, on l’a retrouve morte.
L’EXPLICATION
Amy, c’est merci pour tout.
On pourrait se lamenter sur le destin tragique d’Amy Winehouse, fauchée trop tôt par la vie comme de nombreux artistes avant elle : Wolfgang Amadeus Mozart, Jeff Buckley, Grégory Lemarchal, Filip Nikolic. En réalité, elle a été parfaite de bout en bout.
Elle a d’abord donné de l’espoir à ce peuple auquel les élites font miroiter un petit quart d’heure de gloire et puis c’est tout. Impossible d’y arriver dans la vie sans piston? Amy Winehouse a tout simplement prouvé le contraire.
It’s a big leap of faith.
Merci.
Elle fut une artiste sensible qui allait chercher les émotions au plus profond d’elle-même, parvenant ainsi à transformer des drames complètement quelconques en poésie universelle. Ses chansons nous ont donné, et nous donnent encore, des frissons.
I really started to write music to challenge myself.
Merci.
Elle fut une artiste authentique, sans compromis. Intense et extrême dans tout ce qu’elle faisait. Incrédule sur scène lorsqu’elle reçoit un Grammy en direct. Implacable lorsqu’elle frappe les paparazzis qui la suivent dans la rue.
That’s what I liked the most about Amy : she was real. She was just charming. Sweet lady. Raw. Big giant laugh.
Merci.
Elle fut ce qu’on attend d’une artiste : une âme déchirée qui a cherché à s’échapper du réel via les drogues et l’alcool. Finalement incomprise des journalistes et de son public – qui n’y connaissent rien. Parfait.
The more people see of me the more they’ll realize that all I’m for is making tunes so leave me alone.
Merci.
On peut regretter que Blake Fiedler lui ait fait goûté les drogues. Ses paroles auraient-elles été aussi fortes si elle avait chanté à l’eau claire ? Que son père ne l’ait pas protégée comme il l’aurait du le faire. Eut-elle été plus heureuse ? Que nous aurions pu lui donner un peu plus de temps. Ses morceaux auraient-ils été aussi bons si on l’avait laissée en paix ?
Cette femme a vécu exactement comme elle l’a voulu. Son destin est impeccable. Elle savait depuis le début qu’elle ne serait pas capable de gérer cette pression mais elle a malgré tout fait le choix de suivre cette impasse (cf Born to be blue). Le reste était ineluctable.
I don’t think I could handle it. I think I would go mad.
En réalité, elle nous a offert une partition sans fausse note. Ses nombreuses sorties de route ont permis aux médias d’écrire des papiers, ses prestations ont emballé les foules, ses caprices ont permis au public de se nourrir d’histoires sordides dont on raffole, son épilogue est récupérée par les documentaristes et sa famille a pu pleurer sa disparition prématurée comme il se doit (cf Les Petits Mouchoirs). Tout le monde s’y retrouve. Sauf elle, comme souvent avec les grands artistes.
Life teaches you really how to live it, if you live long enough.
Rendons un nouvel hommage à celle qui s’est privée d’un rappel.
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