AS BESTAS

AS BESTAS

Rodrigo Sorogoyen, 2022

LE COMMENTAIRE

Des décisions sont prises au plus haut niveau qui nous concernent toutes et tous. Discutées puis votées dans les hemicycles par des représentant·es de ce peuple qui vote encore. Après quoi, on passe de la théorie à la pratique.

LE PITCH

Dispute de voisinage internationale au sujet des éoliennes. Sale histoire en Galice…

LE RÉSUMÉ

Conseil plutôt agité dans le bar du village. Xan (Luis Zahera) est plutôt remonté. Il en a contre tout le monde, et surtout contre le Français. Antoine (Denis Menochet) s’est installé avec sa femme Olga (Marina Foïs) il y a peu de temps pour retaper des vieilles fermes, et faire les marchés.

Lorenzo (Diego Anido) le frère de Xan exerce également des petites pressions sur Antoine, qui commence à perdre patience. Puis les intimidations de Xan se font plus insistantes.

Me tourne pas le dos le Français… Viens t’intégrer au village, t’as la trouille ? Tu penses toujours qu’on est des ‘tarés de merde’ ?

Antoine tient bon. Mais quand il découvre que les frères ont saboté son potager, il décide de commencer à tout documenter avec sa caméra – contre l’avis d’Olga.

On n’est pas venu pour faire la guerre.

En cause, le vote d’Antoine contre les éoliennes alors que les autres villageois se frottaient déjà les mains à l’idée de toucher une somme d’argent.

Ce fric, j’y avais droit!

Antoine prend son courage à deux mains pour aller s’expliquer avec les deux frères mais rien n’y fait. Après plusieurs menaces, Xan et Lorenzo finissent par coincer Antoine dans la forêt et l’étouffent.

Olga s’accroche seule et continue de chercher le corps de son conjoint disparu depuis des mois. Pas exactement aidée par la police locale, et se sentant toujours de trop au village. Sa fille (Marie Colomb) lui rend visite pour l’inciter à partir. Olga n’est pas décidée.

Je veux pas partir, je me sens bien ici.

Personne comprend.

Peut-être qu’il faut le vivre pour comprendre.

Le dialogue est houleux. Une fois la dispute passée, la mère et la fille se réconcilient. Olga fait preuve de caractère pour continuer de se lever tous les jours et affronter les locaux. Elle va à la rencontre de la mère des deux frères car elle les sait responsables.

Vos fils vont aller en prison. Il ne reste que nous deux.

La police retrouve le corps d’Antoine. Soulagée, Olga esquisse un sourire dans la voiture. Elle est sur le point de venger la mémoire de son défunt mari.

L’EXPLICATION

As Bestas, c’est la fragilité du projet Européen.

Trouver un consensus à l’échelle mondiale relève de la gageure tant les intérêts des un·es et des autres divergent (cf Babel). Un example : alors que nous sommes pourtant tous concerné·es par le changement climatique, il est impossible de se mettre d’accord sur ce sujet qui parait évident.

Partant de là, on pourrait penser qu’à plus petite échelle, la co-opération fonctionne mieux. Au niveau local. Le projet Européen lancé après la deuxième guerre mondiale pour éviter le jamais deux sans trois, va en ce sens – en dépit de quelques petits accidents de parcours.

La réalité est loin d’être aussi simple, comme l’illustre la situation que rencontre ce couple d’expatriés Français fraichement arrivés en Galice.

Tout le monde voit d’un mauvais oeil qu’Antoine et Olga s’intéressent à l’immobilier. Peut-être vont-ils faire venir d’autres personnes comme eux ? Remplacer les gens du village par des bobos fans de nature et de tomates bio. C’est la crainte numéro un qui explique pourquoi Antoine se retrouve régulièrement isolé au bar du marché (cf Jean de Florette).

On peut rajouter les tensions culturelles. Les montagnards espagnols assimilent Antoine et Olga à des conquistadors Napoléoniens. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne portent pas la France dans leur coeur.

Putain de pays de sauvages, en plus ils disent du mal de nous!

Il est vrai que quand Antoine est arrivé, il ne parlait pas bien la langue. Cela n’a pas aidé à son intégration. Alors qu’il vit son rêve d’une certaine manière (cf L’Auberge Espagnole).

Cet endroit est tout pour moi, c’est mon projet de vie. C’est chez moi ici!

Sa déclaration d’amour pour la Galice passe mal auprès de Xan qui trouve injuste que le vote de ce Français compte autant que le sien, malgré ses cinquante ans d’existence dans la montagne.

Alors que les Français s’imaginent profiter de la deuxième moitié de leur vie, en bossant dur et contribuant au développement de l’économie locale ; ils ne sont tout simplement pas les bienvenus. Les locaux préférant le chacun chez soi (cf Les Visiteurs).

Dégage de chez nous!

Qu’on se sent soudainement seul dans la forêt, avec son chien et son baton de pèlerin.

Manque de diplomatie. Absence de dialogue, sur fond de zone sinistrée.

Toujours est-il que ce n’est pas exactement l’idée d’Europe qu’Antoine et Olga avaient en tête. Lorsqu’ils se rendent compte qu’ils ne sont pas logés à la même enseigne que les autres, leur rêve s’évanouit. Ils sont piégés.

Nous on respecte les règles, et eux ils font ce qu’ils veulent !?

Même la jeune génération se résigne, à l’image de la fille d’Olga qui tente de rapatrier sa mère vers l’Hexagone.

J’ai parlé à un psy. Il dit que si tu veux rester, c’est parce que tu es dans le déni de réalité.

Olga n’est pas dans le déni de réalité, elle est juste une emmerdeuse de Française qui ne lâche pas l’affaire contre quelques montagnards espagnols obtus – car tous les habitants du village ne sont heureusement pas aussi fermés.

Vent de face, Olga s’obstine, par principe, pour faire éclater une vérité pour laquelle se battait Antoine et que tout le monde essaie de cacher – avec l’aide des autorités locales.

Il est déjà suffisamment compliqué de s’entendre en couple, alors entre voisins (cf Carnage) – qui plus est voisins étrangers… Si seulement ces deux là étaient partis cultiver des tomates en Haute-Saône. Les Galiciens auraient pu profiter de l’argent de leurs éoliennes. Tout le monde aurait été content.

Au lieu de cela, le bilan est terrible. Pour un couple de Français qui tentent de s’installer en Galice, on compte un mort et deux peines de prison.

Cela donne envie.

C’est à en questionner l’intérêt des efforts déployés Jacques Delors pour construire cette Europe dont personne ne semble vouloir sur le terrain où l’on se conduit comme des animaux.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

8 commentaires

  • tres bien mais je n aime pas les references a d autres film qqfois douteuses un bon film a son caractere propre incomparable meme par « petit bout ».

    • Merci Jean-Louis et vous avez raison : chaque film est unique.
      Chaque film est d’ailleurs tellement unique qu’un remake ne raconte jamais vraiment la même chose que l’original (cf Simetierre et Simetierre, Il est revenu et Ça).
      Pour autant, il me semble intéressant de glisser quelques références pour celles et ceux qui seraient curieux de poursuivre leurs réflexions sur des thématiques similaires…

  • Aucun problème pour moi quand aux références qui sont toujours bienvenues et qui peuvent parfois nous permettre de découvrir d’autres films…
    J’ai adoré ce long métrage découvert durant l’été. Il souffre de la comparaison avec « Chiens de Paille » de Peckinpah dont l’ombre est un peu pesante durant l’intégralité du film. Néanmoins le réal a su raconter son histoire à sa manière avec des personnages aussi intéressant et touchant les uns que les autres.

    • Merci Vince pour ce commentaire. En effet, on peut voir un parallèle avec « Les Chiens de Paille » à travers l’histoire de ces étrangers qui ne sont pas les bienvenus en Espagne, et se retrouvent persécutés par les locaux. Merci pour la référence!

  • je ne comprends absolument pas la référence à la construction européenne. des français qui s’installent dans un pays étranger non UE, ça existe aussi. et ça finit pas par des morts. et à l’échelle d’un pays, un parisien qui vient s’installer en savoie ou en corse, il pourrait avoir des problèmes similaires (encore une fois sans les morts).
    ce film est haletant mais au scénario assez peu crédible : des gens qui décident de tuer leur unique voisin, qu’ils ont harcelé, qui a porté plainte à la police, etc. c’est assez suicidaire. ils finiront en prison, forcément. c’est même étonnant qu’avant la découverte du cadavre, ils y soient pas déjà. ils auraient pu se dire que tout les ramènerait à eux

    • Merci Jojo. Là où vous n’avez pas tort, c’est qu’il peut effectivement arriver des ennuis aux Parisiens qui voudraient tenter l’aventure savoyarde…

  • Film qui réussit à vous laisser en haleine du début à la fin, images magnifiques, acteurs très bons
    Cependant le scénario manque parfois de crédibilité:
    – les opposants aux éoliennes sont minoritaires, alors pourquoi le projet est-il bloqué?
    – lors de la bagarre finale Antoine sait très bien ce qui va se passer, pourquoi ne s’y est-il pas mieux préparé? (bon en même temps ce ne serait pas le même film!)

    • Merci JPG pour votre commentaire. Vos deux points peuvent s’expliquer je pense.
      – Des communautés reculées ont le pouvoir d’empêcher de plus grands projets. Ce petit village d’Espagne pourrait faire songer à un autre petit village d’Armorique qui « résiste encore et toujours à l’envahisseur »… Peut-être s’agit-il là d’une forme de dénonciation ?
      – Il y a une sorte d’épuisement ou de résignation face à l’opposition locale qui finit par nous prendre au piège. On a l’impression que le dialogue s’enlise et nous conduit à une impasse. Antoine est chassé au sens propre, comme au figuré.

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