LE TOMBEAU DES LUCIOLES
Isao Takahata, 1988
LE COMMENTAIRE
Nous avons développé une forme d’addiction à l’horreur même si nous ne la vivons pas nous mêmes. Elle est partout autour de nous dans la rue (cf Capharnaüm). On la retrouve dans les médias qui en ont fait leur fond de commerce. Comme anesthésiés, nous n’y prêtons plus attention. Nous cherchons une surenchère morbide en guise d’électrochoc (cf The human centipede). Il devient de plus en plus dur de s’émerveiller. Plus de place pour les petites magies de la vie.
LE PITCH
Un garçon et sa soeur tentent de survivre au milieu de la débâcle.
LE RÉSUMÉ
1945. La Seconde Guerre Mondiale touche à sa fin. Au Japon, les bombardements de la US Air Force font de plus en plus de victimes. Seita et sa petite soeur Setsuko vivent dans la vielle de Kobé qui est ravagée. Les deux enfants passent entre les bombes incendiaires. Malheureusement, leur mère sera grièvement blessée et succombera de ses brûlures.
Papa nous vengera!
En l’occurrence, papa est officier de la Marine Impériale et ne donne pas de nouvelle. Seita et Setsuko se retrouvent livrés à eux-mêmes (cf Allemagne Année Zéro).
Comment on va faire?
Ils sont d’abord recueillis par une tante qui leur extorque leur nourriture, les traitant avec un profond mépris.
Les autres travaillent pour la patrie. Vous, vous trainez toute la journée. Faut pas confondre! (…) Tu voudrais manger du riz alors que tu ne fais rien pour le mériter!
Plutôt que subir ce traitement, Seita préfère partir avec sa petite soeur. Tous les deux trouvent un refuge et se débrouillent comme ils peuvent. Le soir, ils contemplent le spectacle que leur offrent les lucioles. La journée, il faut profiter des bombardements pour aller voler ce qui est possible de l’être, notamment de la nourriture pour éviter l’anémie.
Malheureusement, la condition de Setsuko se dégrade. La petite a besoin de manger. Dans l’urgence, Seita part en ville pour vider le compte en banque de ses parents. Il y apprend la capitulation de l’Empire et certainement la mort de son père.
Il est trop tard. Setsuko meurt de faim. Seita procède alors à l’incinération du corps de sa petite soeur.
Seul, il se laisse lui-même dépérir dans une gare – comme tant d’autres autour de lui. L’agent de maintenance retrouve la boite contenant les cendres de Setsuko, qu’il jette au loin.
Les esprits des deux enfants se retrouvent, heureux, contemplant ensemble le Kobé d’aujourd’hui.
L’EXPLICATION
Le Tombeau des Lucioles, c’est se satisfaire du peu qu’on a.
Les progressistes que nous sommes devenus veulent croire dur comme fer à la linéarité du temps, qui permettrait de penser que nous tendons vers le progrès. Demain est un autre jour – meilleur. En cela, nous nous inscrivons plutôt dans une mouvance Interstellar-ienne plutôt que Titanic-ienne. C’est à dire que nous espérons décoller vers l’espace plutôt que couler au fond de l’océan. Le happy end est devenu notre religion. L’histoire se finit forcément bien – pour nous en tout cas.
Les ambitieux que nous sommes également devenus ne peuvent pas se contenter d’un happy end. Il nous faut une fin glorieuse, en feu d’artifices. Nous voulons vivre dans le superlatif et le sensationnel. C’est pourquoi nous râlons constamment. Car nous refusons de nous satisfaire de ce que nous avons, surtout si nous pouvons avoir mieux. Notre plus belle célébration est à venir.
Récemment, nous avons même développé une telle fascination pour l’avenir que nous en négligeons le passé. Sur cette ligne du temps, nous ne regardons plus que vers l’avant. Le syndrome FOMO fait que nous sautons immédiatement sur la prochaine information ou le prochain événement. Jamais rassasiés. Nous voulons connaître la suite. On ne regarde pas dans le rétro. Pas le temps. Pour quoi faire ? #old. Il faut avancer, plus vite car le temps ne va que dans un sens. Rien ne doit nous ralentir. Surtout, rien ne doit nous empêcher de profiter de la vie, à son meilleur.
Ce système de pensée conduit à des dérives. Par exemple, une partie de la jeune génération souffre de la situation liée au covid car elle se sent littéralement privée de sa jeunesse. Ces mois vécus comme perdus sont insupportables.
On a envie de crier à l’injustice, refusant les règles du confinement pour continuer de jouir du temps ensemble. Pourquoi pénaliser certains pour préserver d’autres ? Vive Darwin et l’immunité collective. Tant pis pour les personnes fragiles.
Heureusement pour nous que le temps est linéaire. Car s’il était cyclique, comme l’imaginaient les Grecs, cela voudrait dire que des événements passés risqueraient de se reproduire à nouveau. Pour peu que l’on se rappelle de l’épidémie de grippe espagnole qui fit peut-être une centaine de millions de mort au siècle dernier, cette théorie du temps cyclique mériterait peut-être un nouvel examen.
Car il existe effectivement des situations qui ne s’arrangent pas, et qui se reproduisent de manière récurrente, comme des conflits qui voient des nations s’effondrer. Par exemple, le Japon s’enfonce inexorablement.
Ça va de plus en plus mal…
Personne n’est à l’abri. Pas même, Seita et Setsuko que personne ne veut voir mourir mais qui sont des victimes collatérales de ce drame national.
Ils sont pourtant parfaits puisqu’ils s’aiment très fort. Comme deux frères et soeurs, ils se font de belles promesses.
Je serai toujours avec toi.
Seita affiche le courage qu’on est en droit d’attendre de lui.
Tu es fils de marin. Sois digne de ton père.
Malheureusement, le contexte va avoir raison d’eux, malgré toute leur bonne volonté. Seita fait du mieux qu’il peut. Cependant, ce n’est pas assez. Il profite néanmoins des beaux moments avec sa soeur, comme ces soirées illuminées par les lucioles. Ce sont leurs petites parenthèses de poésie. La réalité veut qu’ils n’ont plus de famille et dans ce contexte, on ne peut pas vivre hors communauté puisque la nourriture manque.
Il n’y a pas de traitement, juste des bons aliments!
Les bons aliments où sont ils??
Aujourd’hui, nous ne manquons vraiment de rien. Il n’est pas évident de se contenter de peu quand on n’a jamais été privé de quoi que ce soit. L’exemple de Seita et Setsuko devrait nous rappeler que la roue tourne et que nous pouvons également tout perdre. Plutôt que d’aspirer à toujours plus, nous pourrions nous inspirer de Seita et Setsuko pour apprécier ce que l’on a.
J’ai besoin de rien. Reste avec moi Seita. Ne pars pas.
Ne pas lutter à tout prix contre son destin pour améliorer sans cesse sa condition mais plutôt accepter son destin pour mieux l’apprécier, aussi tragique soit-il. Dans les montagnes russes, se préparer à la descente.