JEANNE DU BARRY
Maïwenn, 2023
LE COMMENTAIRE
Dans un sanctuaire, personne n’a le droit de violer la règle sous peine de se retrouver puni, à genoux pendant une heure. Alors on n’oserait pas avoir l’idée de traverser le Louvre en courant comme l’ont fait Anna Karina, Samy Frey et Claude Brasseur (cf Bande à part). Mais comment ne pas avoir envie de respirer dans la galerie des glaces ?
LE PITCH
Une jeune courtisane devient la favorite du roi.
LE RÉSUMÉ
Jeanne Bécu voit le jour au XVIIIe siècle et part de très loin.
Fille illégitime d’un moine et d’une cuisinière.
Monsieur Dumousseaux (Robin Renucci) se prend d’affection pour la petite et lui offre une éducation au couvent censée la protéger des aléas de la débauche auxquels ses modestes origines doivent la conduire.
Elle n’y coupera pas. Jeanne se fait virer du couvent à cause de ses lectures olé olé.
Dehors! Catin!
Les années passent. Elle collectionne les amants, dont le Comte du Barry (Melvil Poupaud) ou encore le Duc de Richelieu (Pierre Richard). Les deux hommes songent à la présenter à Louis XV (Johnny Depp).
Il faut que le Roi rencontre Jeanne!
À Versailles, elle se fait remarquer. La Borde (Benjamin Lavernhe) se présente chez le Comte du Barry pour solliciter les services de Jeanne.
Avant la rencontre, elle a droit à une inspection en règles avant d’être finalement déclarée éligible.
Je déclare madame digne de la couche royale.
La Borde lui donne quelques dernières consignes.
Il faut jamais tourner le dos au roi. Aucune personne ne peut tourner le dos au roi.
Jeanne et Louis XV se rencontre. Comme prévu, l’apparente fébrilité de la jeune femme ainsi que son naturel charment le Roi, qui demande à ce qu’elle reste au chateau. Jeanne découvre la vie de son amant, ainsi que les rituels auxquels il doit se conformer. Pour s’installer, elle doit régulariser sa situation et épouser un noble. Jean-Baptiste du Barry se propose, moyennant une somme d’argent.
La du Barry dérange. Elle a trop d’influence sur le Roi. Ses filles protestent.
Nous sommes devenues la risée de Versailles à cause de vos égarements.
Louis XV n’en a cure. Jeanne pense différemment. Elle apporte un peu de fraicheur dans son quotidien.
La favorite doit composer avec la famille royale qui ne veut pas d’elle, et la cour qui la jalouse. Elle doit aussi apprendre à se faire à l’idée que le Roi se permette d’aller voir ailleurs.
Madame vous êtes la favorite du Roi, mais le Roi a le goût du changement. Il faut savoir rester digne et courageuse…
Le mariage du dauphin (Diego Le Fur) avec Marie-Antoinette (Pauline Pollmann) va compliquer sa situation. Pendant des semaines, la dauphine ne lui adresse pas la parole. Jeanne tient bon et finit par être reconnue, grâce à l’appui du Roi qui ne la congédie qu’à la fin de sa vie.
Mourant de la vérole, Louis XV cherche à se mettre bien avec son Dieu.
J’ai peur de l’enfer Jeanne. Il faut que tu te retires.
Lors de leurs adieux, le Roi lui confie qu’il l’aime.
Jeanne du Barry n’échappera pas à la guillotine.
L’EXPLICATION
Jeanne du Barry, ce sont des conventions que l’on ne brise pas.
Une personne bien née descend d’une famille noble, ce qui n’était pas le cas de Jeanne devenue du Barry par nécessité. La naissance était cruciale à l’époque, tout comme elle l’est encore aujourd’hui. L’avenir de Jeanne était tout tracé. On ne lui laissait pas le choix.
À quoi bon être innocente si les autres ont pour vous des désirs coupables ?
Prête à tout comme le sont supposément les filles de rien, Jeanne ne veut pas se résigner. Dès ses premières sorties, elle affiche un certain cynisme audacieux.
Quelle vie désirez vous ?
Une vie pleine de curiosités. Vous savez les gens comme moi on n’a jamais le temps de rien…
Elle cherche à s’élever aussi haut dans la société qu’elle le peut (cf Madame Bovary). Pour cela, elle utilise ses atouts (cf Les Liaisons Dangereuses). Elle va réussir le pari impossible de séduire le Roi, sans tricher. C’est bien là que la difficulté commence. Car être au contact du Roi va plonger Jeanne au coeur des manigances.
C’est ridicule.
C’est Versailles!
Jeanne fréquentait la haute société. Désormais, elle en fait partie. Elle y découvre le poids des regards, le bruit assourdissant des chuchotements et se prend la rigidité des conventions en pleine figure. Puisque les codes sont innombrables. Le jugement inévitable. La Borde l’aiguille pour ne pas qu’elle tombe de cheval.
On ne montre pas ses sentiments à la cour.
Bien qu’elle ne soit plus une simple courtisane, elle a l’impression qu’on cherche toujours à la contraindre – comme à la grande époque. Rien ne change.
Laissez vous faire!
Parce qu’elle n’est pas comme les autres, et qu’elle ne souhaite donc pas se plier aux règles, Jeanne déchaîner les passions. Elle défait ses cheveux ou s’habille comme un garçon par envie. Blasphème! Elle affiche son affection pour Zomar (Ibrahim Yaffa), un enfant venu d’Afrique, que son Roi lui a offert. Scandale!
Alors dès que l’on peut, on la rabaisse.
Tu es et tu resteras toute ta vie une putain ignorante!
Jeanne n’est pas libre de ses mouvements. Elle marche constamment sur un fil.
Le Roi pouvait la congédier au moindre faux pas.
Malgré tout, elle va réussir l’impensable : le Roi va tomber amoureux d’elle, selon ses principes.
C’est pas ça l’amour.
Il s’amuse de jouer le jeu de Jeanne.
Vous ne m’aimez pas, vous êtes excité de ne pas me connaitre…
Cet amour semble prouver que l’on peut vivre comme on l’entend, au delà des conventions.
Le personnage de Jeanne du Barry fascine de par sa modernité. On la contemple avec admiration, depuis la cour dont nous faisons en réalité partie toutes et tous.
Celles et ceux qui sont aux ordre de l’autorité la craignent car elle ose ne pas faire la révérence comme il se doit, ou en regardant le Roi droit dans les yeux en sachant qu’il s’agit d’une invitation à la bagatelle. L’autorité déteste la provocation, autant qu’elle peut avoir horreur du vide que représente Jeanne du Barry : une porte ouverte à tous les courants d’air.
Après des années de règne impeccable de Louis XIV, la cour perçoit l’intérêt de Louis XV pour la fantaisie de la du Barry comme un aveu de faiblesse. Elle inspira le dauphin auquel on reprochera de ne pas avoir été assez ferme. La possibilité de voir la vie différemment n’est apparemment pas permise. Elle repart comme elle est venue. Bon vent. Les têtes ne vont pas tarder à tomber.
Trop de Jeanne du Barry et tout le monde se met à faire n’importe quoi. Après un vent de révolte révolutionnaire, la bourgeoisie va s’empresser de refermer la parenthèse. Fini de rire. Il est temps de rentrer dans le rang.
On souffre des conventions, mais on les réclame.