JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES
Jeanne Herry, 2023
LE COMMENTAIRE
Un motif d’agression n’est pas forcément personnel. Les rencontres entre les victimes et leurs agresseurs sont la plupart du temps brèves, presque accidentelles. Ils ne se connaissent pas. La justice restaurative se propose de mettre en relation des victimes et des agresseurs via une médiation. Pour que les parties puissent s’écouter, mettre un visage, et se remettre ensemble de cet accident.
LE PITCH
Un groupe de victimes rencontre un groupe de condamnés.
LE RÉSUMÉ
Michel (Jean-Pierre Darroussin) et Fanny (Suliane Brahim) sont formé·es par Judith (Élodie Bouchez) et Paul (Denis Podalydès) à la justice restaurative, un processus de rencontres encadrées entre des victimes de vols, de viols et aux auteurs d’infraction.
Tu ne comprends pas ce que cette personne a vecu, personne ne peut le comprendre. Tu peux juste l’imaginer. (…) Soutiens-la en l’écoutant. C’est ce que tu peux faire de mieux. (…) On ne parle pas à leur place, on ne suggère rien, on n’essaie pas de les transformer, on écoute.
Trois victimes : Sabine (Miou-Miou), Nawelle (Leïla Bekhti), et Grégoire (Gilles Lellouche).
Trois auteurs d’infraction : Nassim (Dali Benssalah), Issa (Birane Ba) et Thomas (Fred Testot).
Le groupe s’engage à se voir une fois par semaine pendant cinq semaines, afin d’échanger sur leurs expériences et engager un dialogue réparateur.
En parallèle, Judith accompagne Chloé (Adèle Exarchopoulos), à sa demande. Chloé a été victime de viols répétés par son frère Benjamin (Raphaël Quenard) qui vient de sortir de prison. Elle aimerait pouvoir discuter de termes afin d’éviter de le croiser, et en profiter pour qu’il réponde aux questions qui m’empêchent toujours de dormir.
Le groupe se rencontre et les premiers témoignages sont partagés. Nawelle a été braquée pendant une dizaine de minutes dans son supermarché. Elle prend la parole.
J’en ai marre de pas me remettre de ce qui est arrivé. J’suis plus comme avant, ma vie est plus comme avant. (…) Pour dormir j’prends des cachets, pour sortir je prends des calmants.
Puis c’est au tour de Sabine, victime d’un vol à l’arraché.
Je veux comprendre cette violence, j’ai l impression de venir d une autre planète. J’veux plus avoir peur.
Grégoire a été victime d’un homejacking avec sa fille. Depuis, il est en colère.
Quant à Issa, il a pris une peine de prison. Il explique pourquoi il est là.
Je veux ranger dans ma vie…
Thomas est toxicomane.
J’ai toujours tout détruit, j’ai envie de faire un truc positif pour une fois dans ma vie…
Nassim est sur le point de purger sa peine et souhaiterait aussi sortir de sa carapace, pour éviter une récidive.
Les présentations sont faites. Et déjà ces premières interactions apportent du positif. Les mots de Nassim apaisent Nawelle, qui l’en remercie lors de la séance suivante. Au fur et à mesure des séances, la parole se délie (cf Three Billboards). Le groupe apprend à se connaître et créer des liens. Au bout des cinq semaines, les participant·es semblent toutes et tous satisfait·es de leur expérience.
Les victimes en ressortent apaisées. Quant aux agresseurs, ils sont conscients que la route est longue mais au moins ils ont envie de s’accrocher.
Tu crois que tu vas réussir à pas récidiver ?
Je pense pas que j’y arriverais, je verrai toujours vos visages.
Le processus entre Chloé et Benjamin est plus douloureux car cette fois la victime doit faire face directement à son agresseur. Judith fait de son mieux pour relayer les demandes de l’un·e à l’autre pour qu’ils puissent se rencontrer. Peu de mots sont échangés. Chloé et Benjamin se mettent d’accord sur des règles. Et elle part en obtenant ses réponses.
Bon courage…
Les médiateurs et les médiatrices font un travail admirable pour permettre ces moments. Un travail de longue haleine.
On n’a pas le droit de se planter. (…) La justice restaurative, c’est un sport de combat.
L’EXPLICATION
Je verrai toujours vos visages, c’est une manière de réparer.
La justice civile gère les conflits entre les personnes. Le cas échéant, elle condamne afin de rendre possible la vie en société. La punition se traduit en paiement de dommages et intérêts, ou en une peine d’incarcération. Dans certains pays, on condamne encore à mort (cf La dernière marche). Mais l’équilibre n’est pas rétablit pour autant.
C’est plus compliqué que ça…
La justice civile ne répare pas. La prison n’a pas vocation à réinserer les détenus (cf The Yards, Un Prophète). En effet, les agresseurs peuvent sortir de l’institution et recommencer. Tandis que les victimes souffrent encore, en dépit des sanctions prononcées.
C’est en cela que la justice restaurative est intéressante : elle vise à compléter le travail de la justice civile à travers la médiation.
Si ce concept n’est pas nouveau, la justice restaurative reste en phase de développement. Il faut donc l’expliquer.
Ça sert à quoi ?
Les agresseurs peuvent penser à tort que participer à ces rencontres vont leur offrir une remise de peine. Quant aux victimes, elles ne voient pas forcément l’intérêt de rencontrer ceux qui sont de l’autre côté de la barrière.
Pour moi, ils ont rien dans le coeur ces gens là!
Pourtant, la justice restaurative présente une utilité puisqu’elle s’appuie sur le passé pour permettre un futur différent, sans juger ni léser personne. Que faire pour ce que s’est produit ne se reproduise plus ? Comment se libérer de ses angoisses ?
Parce que la rencontre est délicate, elle doit être bien préparée.
Les victimes sont en colère. Parfois elles se sentent même coupables, paradoxalement. Grégoire regrette de ne pas avoir entendu des hommes s’introduire chez lui. Il souffre de ne pas avoir su défendre sa fille. Sabine pense qu’elle n’aurait pas du sortir si tard. Comme si leurs agressions étaient de leur faute.
J’m’en veux.
Les agresseurs ont besoin de clarifier leur intention, même si cela est difficile à entendre.
On vient pas pour les victimes.
Ces rencontres permettent aux agresseurs d’expliquer comment ils en sont arrivés là.
En vrai, j’ai l’impression d’avoir jamais rien décidé dans ma vie. (…) Y’a rien qu’est prévu dans les quartiers quand tu décroches au collège.
Ce qui donne l’occasion aux victimes de vider leur sac.
Toi tu fais les trucs, y a pas de conséquences derrière. Mais assume!! (…) Tant que tu te poseras pas la question tu changeras jamais!
Les victimes peuvent aussi poser des questions essentielles pour enfin comprendre.
Pourquoi tu t en prends aux autres ??
Ce que les victimes n’ont pas l’occasion de faire dans un climat relativement apaisé – grâce à la présence des médiateurs ou des médiatrices.
Les agresseurs peuvent aussi rétablir quelques vérités. Nawelle est tellement en colère contre ses agresseurs qu’elle pense que la prison ne suffit pas. Nassim peut lui répondre l’inverse.
T inquiète pas : on paie, on souffre, on est enfermé, on n’a droit à rien.
Enfin les agresseurs peuvent demander pardon, face à face. Ce que les victimes peuvent entendre.
Au delà de cette étape nécessaire, le dialogue permet à chacun de découvrir l’autre. Ainsi, ces personnes qui ne se connaissent pas mais on vécu des expériences similaires peuvent se venir mutuellement en aide.
Ce qui n’est pas aussi évident dans le cas de Chloé et Benjamin, qui ont un rapport direct. Parfois, il n’y a pas de réponse. Il faut s’y préparer.
Pourquoi moi…?
Je sais pas…
En tout cas, la démarche en vaut certainement la peine.