VALSE AVEC BACHIR
Ari Folman, 2008
LE COMMENTAIRE
Les années se suivent et se ressemblent. À croire que les générations qui passent ont le pouvoir d’effacer les consciences (cf Le Vieux Fusil). Il suffit de quelques trous de mémoires, de mauvaises notions en histoire pour que les drames se répètent, et que les chiens soient de nouveau lâchés.
LE PITCH
Des années après la guerre du Liban, un soldat israélien essaie de se souvenir.
LE RÉSUMÉ
Ari Folman croise Boaz qu’il a connu il y a des années lors de son service militaire, pendant l’opération « Paix en Galilée ». Boaz lui fait part des cauchemars qui le hantent depuis maintenant deux ans. Vingt six chiens qui viennent grogner sous sa fenêtre, comme le nombre de chiens qu’on lui a demandé de tuer en opération.
Quand tu rentres dans village, les chiens viennent te renifler. Ils commencent à aboyer et ne s’arrêtent pas. Le village se réveille, le suspect s’enfuit. Tu perds l’effet de surprise. L’un d’entre nous devait les éliminer, on risquait la vie de nos soldats. (…) Ils me savaient incapable de tirer sur des gens, donc ils m’ont dit : ‘Ok Boaz, tu vas précéder le commando et tu tireras sur les chiens’.
Cet épisode réveille les souvenirs de Ari, qui n’arrive cependant pas à bien se rappeler de cette époque trouble de sa vie.
Honnêtement, je n’ai rien gardé en mémoire.
C’était il y a plus de vingt ans. Tout ce qui lui revient sont les fusées éclairantes qu’il contemplait depuis la baie de Beyrouth.
Un ami psychiatre lui explique que ce processus d’oubli est naturel.
La mémoire est dynamique, vivante. Et même s’il manque des détails et qu’il y a des trous noirs, la mémoire remplit les trous de choses qui ne sont jamais arrivées.
Ari va à la rencontre de personnes qui étaient avec lui, pour reconstruire les faits et comprendre quel fut son rôle dans le massacre de Sabra et Chatila.
Ta mémoire te conduira là où il faut…
Les vétérans partagent leurs expériences, avec plus ou moins de précision. Des anciens soldats de Tsahal se souviennent se protéger de snipers palestiniens pour survivre (cf Le Pianiste). Certains ont été attaqués par un enfant armé d’un lance-roquettes. D’autres se rappellent avoir tiré dans tous les sens et bombardé à l’aveugle, tuant certainement des civiles au passage. En période de guerre, plus aucune règle ne s’applique.
Qu’est-ce que ça change ?
Ceux qui ont été les témoins du massacre de Sabra et Chatila restent bloqués.
Le massacre a été effacé du disque dur.
Un autre soldat se rappelle du ballet de Shmuel Frenkel, valsant entre les balles devant les posters de Bachir Gemayel.
Suite à l’assassinat du leader chrétien, les miliciens phalangistes avaient juré de se venger.
Les choses commencent à me revenir. J’ai presque le tableau complet.
Ari se rappelle qu’il fut celui qui tira ces fameuses fusées éclairantes qui aidèrent sans doute les miliciens dans leur entreprise macabre.
Il se revoit approcher l’entrée du camp de réfugiés, et découvrir l’horreur de milliers de cadavres entassés sur le sol.
J’ai enfin compris ce que je voyais.
L’EXPLICATION
Valse avec Bachir, c’est passer de victime à complice.
La diaspora juive a été accompagnée partout de nombreuses discriminations, pogroms et d’une tentative d’extermination totale par les Nazis (cf La Conférence). Suite à la Shoah, les Juifs ont réclamé leur terre. En 1947, l’ONU a voté le plan de partage de la Palestine et David Ben Gourion a proclamé l’indépendance de l’état d’Israël l’année suivante.
Bien décidés à ne plus se laisser faire, les Juifs sont rentrés en guerre à de nombreuses reprises avec leurs voisins. Ils ont également traqué leurs ennemis (cf Munich). C’est fini : les Juifs ne seront plus jamais des victimes.
En s’impliquant dans la guerre du Liban, les soldats de Tsahal vont se retrouver dans la position inverse. Tout comme des personnes savaient pour les camps à l’époque, et n’ont rien fait. Les généraux n’ont pas voulu prendre part dans ce carnage, mais ils étaient au courant.
On sait, on s’en occupe…
Si Ari n’a pas été un bourreau, il a joué le rôle de complice dans le massacre de Sabra et Chatila. Une autre forme de traumatisme.
À vrai dire, je ne me reconnais pas moi-même.
Car les parents de Ari ont connu Auschwitz. Alors comment imaginer pouvoir infliger à d’autres un traitement similaire à celui qu’ont subi ses parents ? Les Palestiniens n’étaient pas les Nazis. Ari n’exprime même pas des désirs de vengeance.
Son ami psychiatre lui explique qu’il a sûrement du faire une association entre ces deux tragédies. Un déni opportun pour Ari qui ne peut pas s’imaginer dans l’uniforme de soldats Nazis persécutant ses parents.
Ari a donc préféré effacer ces souvenirs insupportables de sa mémoire (cf Eternal Sunshine). Il ne pouvait pas faire autrement.
Je voulais oublier…
Ari a passé vingt ans dans l’ombre de ce nuage. Il a repris sa vie, comme si de rien n’était. En continuant à se cacher inconsciemment, essayant de se convaincre que tout irait bien.
Ça ira.
Tu crois…?
Quand on n’est pas rattrapé soi-même par ses propres cauchemars, on finit par l’être d’une manière ou d’une autre par les cauchemars des autres. Les insomnies de Boaz concernent également Ari qui va devoir regarder sous son tapis.
C’est pas dangereux de découvrir des choses sur moi que je ne veux pas savoir ?
À travers ses échanges avec d’autres soldats, il découvre que l’on peut être affligé deux fois par le même traumatisme – mais dans des positions différentes. Plutôt que de tout faire pour empêcher le genre d’atrocités qu’ont vécu les siens, on peut malheureusement tolérer que ces atrocités se perpétuent. Pire, on peut le permettre de manière passive.
Puisque le peuple juif ne veut plus subir et qu’il participe activement à des conflits, il va nécessairement se retrouver de l’autre côté. Il s’agit d’une réalité troublante et paradoxale que le peuple juif doit cependant accepter. C’est ce que fait Ari, qui a le courage d’assumer ses responsabilités plutôt que de faire semblant.