BERNARD TAPIE L’AFFRANCHI

BERNARD TAPIE, L’AFFRANCHI

Sébastien Tarrago, Fabien Touati, 2019

LE COMMENTAIRE

En France, il y a l’art et surtout la manière. Et les deux semblent indissociables. Obtenir des résultats est une chose, qui ne suffit pas. La manière dont on obtient ces résultats compte presque davantage. Quand un Français gagne avec le sourire et le poing rageur, quasiment à l’Américaine, on ne lui pardonne pas.

LE PITCH

Portrait d’un personnage controversé.

LE RÉSUMÉ

Dans les années 80, Bernard Tapie est un entrepreneur qui affirme au et fort sa volonté de gagner beaucoup, beaucoup, beaucoup d’argent. Sa spécialité est de reprendre des affaires qui battent de l’aile pour les remettre à flot. Il rentre dans le sport par la porte du cyclisme, en rachetant La Vie Claire. À l’époque, l’équipe cycliste est en perte de vitesse et Bernard Hinault un champion vieillissant.

Tapie va accorder sa confiance au blaireau et lui offrir un cinquième tour de France. Les deux hommes se trouvent très vite.

C’est un combattant. Quelqu’un qui a envie de gagner.

Au delà de cette victoire symbolique, Tapie va dépoussiérer le cyclisme. Il injecte de l’argent et fait venir Greg LeMond, qui finira sur les Champs-Elysées avec le maillot jaune sur les épaules l’année suivante. Tout le monde se rappelle encore de la victoire de prestige de Hinault à l’Alpe d’Huez, main dans la main avec l’Américain. Une volonté de Tapie pour qui l’image importe autant que le résultat.

L’homme d’affaires voit plus grand. Séduit par la proposition de Edmonde Charles-Roux, il rachète en 1986 le club de football de l’Olympique de Marseille pour un franc symbolique. L’OM est dans le ventre mou du classement. Très vite, grâce à Tapie, le club sort de l’ombre. En 1989, le club remporte le titre de champion et fait même le doublé en gagnant la coupe de France. Pape Diouf reconnait le talent de Tapie.

Il a vite compris les règles du jeu. De ce point de vue, il est sans équivalent.

Tapie insulte Guy Roux, qui se souvient des années plus tard sans lui en vouloir.

‘Gros con, rentre dans la niche!’ J’ai pas pris ça pour une insulte. C’était pendant le combat.

À mesure que son OM progresse, Tape continue son ascension et rentre en politique. Il est le seul à ne pas se démonter face à Jean-Marie Le Pen sur les plateaux de télévision. Partout où il passe, Tapie fait le spectacle.

C’est pas parce que vous parlez fort que ce que vous dites est vrai… Parce que vous dites n’importe quoi.

Le golden boy rentre au gouvernement comme Ministre de la Ville sous Pierre Beregovoy mais doit démissionner après cinq mois, rattrapé par une mise en examen pour abus de biens sociaux dans l’affaire Toshiba.

En 1990, l’OM perd contre le Benfica Lisbonne en demi-finale de Coupe d’Europe sur une main d’un joueur adverse. Tapie fulmine devant les caméras de TV.

Manager l’environnement d’une coupe d’Europe j’avais pas compris, là je vous promets que j’ai compris. Ça se reproduira plus jamais.

Il rachète Adidas et met le Kaizer Franz Beckenbauer sur le banc, pour le remplacer par Raymond Goethals quelques mois plus tard. Le club atteint la finale de Coupe d’Europe mais perd aux penaltys. Basile Boli est en larmes.

En 1993, Basile Boli sèche ses larmes. C’est la consécration face au Milan AC. Aucun club français n’était parvenu à gagner une Coupe d’Europe, et aucun club français n’est parvenu à en gagner une autre depuis. Au stade Vélodrome, le public est en liesse. Tapie déchaîne les passions.

C’est stupide parce qu’on devrait pas se mettre dans cet état, mais tant pis on va pas faire semblant : c’est génial!

Antagoniste, Tapie ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs.

Où tu es avec lui ou tu es contre lui. Il n’y a pas d’espace pour la nuance. 

Il fait virer le journaliste Dominique Grimault de TF1 pour un acte de trahison. Avec Pascal Olmeta, il échange quelques politesses dans l’intimité du vestiaire. Puis son fidèle lieutenant Jean-Pierre Bernès va le lâcher dans l’affaire de corruption OM-VA pour laquelle Tapie prend une peine de prison ferme.

Malgré sa popularité, incarnée par Nanard dans les Guignols de l’info, personne n’est dupe. Tapie était un dur qui ne faisait pas de cadeau. Prêt à tout pour la gagne.

Il exige une disponibilité totale et sans limite de ses collaborateurs.

Ceux qui l’ont côtoyé dans les bons et les mauvais moments se rappellent néanmoins d’un personnage hors-norme.

Tapie finira par perdre son match contre le cancer, la tête haute et avec les honneurs.

Personnage contrasté, (…) il aura marqué son temps et l’histoire du sport en France.

L’EXPLICATION

Bernard Tapie l’affranchi, c’est l’ambivalence.

Selon la définition, un affranchi est un individu qui s’émancipe de par l’indépendance absolue qu’il manifeste à l’égard des conventions morales ou sociales. Autrement dit, quelqu’un de libre.

De ce point de vue, Bernard Tapie était bien un affranchi. Il a secoué le monde du sport français en le faisant basculer dans la modernité comme l’explique Rachid Zeroual, le leader d’un groupe de supporter de l’OM.

Le côté spectacle, c’est lui qui l’a amené en France.

Tapie comprenait tout, très vite, notamment l’importance de l’image. Et sa méthode fonctionnait puisqu’il a obtenu des résultats. Il était un homme libre qui faisait gagner la France.

Rien ne lui semblait impossible. En un mot, il était très séduisant.

Un affranchi, c’est également un homme du milieu et qui en observe les règles (cf Les Affranchis). Tapie avait effectivement compris comment les choses fonctionnent. De ce point de vue, il était définitivement un affranchi.

Ce qui fit de lui une personnalité très ambivalente. Il caressait la tête des enfants pendant qu’il leur volait leurs sucettes.

Une personnalité clivante que l’on aime, ou que l’on aime détester. Des journalistes, comme Philippe Brunel, lui reproche encore la mise en scène de l’Alpe d’Huez…

C’était une parodie. Il nous a privé d’un vrai duel. C’est comme s’il voulait placer le Tour sous sa dictée. 

Tapie prenait beaucoup de place, sans doute trop de place.

C’était un vrai patron. (…) Il est omnipotent et s’occupe de tout. (…) Son ambition est plus forte que tout. (…) Il y a quelque chose chez lui d’animal.

Il était quelqu’un qui dérangeait, même dans la victoire. Pas assez académique. Une grande gueule dans un pays où avoir de l’ambition est plutôt mal perçu. Quelqu’un qui a gagné en trichant, plutôt que participer qui est le plus important d’après Coubertin – le loser. Comme s’il était possible de gagner dans les règles…

Si le titre de Munich reste entaché de l’histoire des valises de billets retrouvées dans les jardins de Valenciennes, il n’a pas été retiré à l’OM pour autant.

Tapie avait définitivement trop d’appétit pour une nation désespérément orpheline de ses Louis XIV et Napoléon. Un yuppie perdu dans un France traditionnelle. En plus, il ne venait pas du sérail. Trop partout au goût de certains. On le lui reprochait. S’il a repris La Vie Claire, c’était uniquement dans son intérêt. Même chose avec Adidas, ou l’OM. Bizarrement, on ne semble plus se poser autant de questions sur les motivations des patrons d’aujourd’hui. Un libéral à gauche, à l’époque cela posait problème.

Ses punchlines faisaient mouche, ce qui faisait de lui un populiste.

Bernard Tapie avait du charme et un charisme qu’on ne retrouve plus très souvent (cf Le Loup de Wall Street).

Il faisait en sorte que tout le monde ait une ambition commune. (…) C’est sa personnalité qui est envoutante. Vous avez l’impression que rien ne peut vous arriver. 

Alors on le jalousait. On attendait même qu’il se plante.

Il pense que ça va toujours passer, et ça passe pas toujours…

Beaucoup se sont réjouis de sa chute. Le procureur Eric de Montgolfier a fait son travail. Si l’on se rappelle de lui, c’est pourtant grâce à Tapie (cf Gatsby le Magnifique).

Quoiqu’on en dise et en dépit de ses échecs, Tapie reste fascinant. Il a pardonné à ceux qui l’ont envoyé en prison, comme Jean-Pierre Bernès avec lequel il reprit contact des années plus tard.

J’ai pas hésité à répondre parce que ça me faisait plaisir de l’entendre.

L’ambivalence se place au delà du bien et du mal. Tapie fut un combattant qui a marqué les esprits par sa force indéniable. Peu commune. Il a donné des coups. Puis il en a pris quelques uns également, et s’est toujours relevé avec la même rage (cf Rocky) – avant que la maladie ne l’emporte.

Il aura vécu sa vie pleinement, jusqu’au bout et sans regret. C’est peut-être ce qui a le plus gêné tous ceux qui en sont incapables.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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