ROCKY
John G. Avildsen, 1976
LE COMMENTAIRE
On peut passer sa vie à regarder devant, à l’horizon pour aller le plus loin possible. Sans se retourner. De temps en temps, cela ne fait pourtant pas de mal de regarder un peu dans le rétroviseur (cf Duel). Quand un homme regarde son passé, il peut y voir le petit garçon rêveur qu’il fut autrefois. Ce face à face ne lui donne que plus de détermination pour avancer.
LE PITCH
Un petit boxeur de Philadelphie va se voir offrir la chance d’affronter le champion.
LE RÉSUMÉ
Apollo Creed (Carl Weathers) remet sa ceinture de champion du monde des poids lourds en jeu. Son challenger se blesse, forçant les promoteurs à trouver un remplaçant au pied levé. L’idée d’affronter le champion avec seulement quelques semaines de préparation n’excitant personne, le choix va se porter sur un illustre inconnu.
Cet inconnu sera Rocky Balboa (Sylvester Stallone), boxeur amateur et homme de main d’un petit mafieux local.
Personne ne mise un centime sur les chances de l’étalon italien. Rocky va vouloir faire bonne figure et va donc se préparer avec beaucoup de sérieux sous la houlette de son entraîneur Mickey (Burgess Meredith) qui lui fait une promesse.
You’re gonna eat lightnin’ and you’re gonna crap thunder!
Rocky se lève tôt pour aller courir le matin, il fait de la corde à sauter et gobe des jaunes d’œufs. Il est prêt.
Apollo prend d’abord l’affrontement à la légère et se fait surprendre par la résistance d’un Rocky qui le pousse jusque dans ses retranchements, l’envoyant même au tapis pour quelques secondes.
Rocky finit par perdre la rencontre mais il sort vainqueur de la soirée.
L’EXPLICATION
Rocky, c’est se prouver qu’on vaut mieux que l’on pense.
Rocky pourrait être Tess McGill (cf Working Girl), Riggan Thompson, (cf Birdman) ou encore Locke. Il boxe parce qu’il n’a pas d’autre talent. Simple combattant (cf Fighter).
Why do you wanna fight?
Because I can’t sing or dance.
Il fait avec les moyens du bord (cf Manchester by the Sea). Frappe contre des morceaux de bidoche dans des chambres froides. Son crédit n’est pas illimité. C’est tout à son honneur. Son histoire est belle. Quand les plus forts qui ont déjà tout gagnent encore et toujours, cela n’a guère d’intérêt. Ce qui arrive trop souvent malheureusement.
Rocky n’a rien à perdre. Donc tout à gagner.
Sachons reconnaître que les plus belles histoires partent modestement d’un garage et pas d’un compte en banque plein de zéros. Pour Rocky, c’est pareil. Le simplet, moqué par tout le monde, a peu de perspectives. Cela ne l’empêche pas d’avoir un peu d’amour propre. Il garde une photo de lui enfant, attachée à son miroir. Comme pour se rappeler une promesse qu’il aurait pu se faire à lui-même il y a des années. Pour ne pas se décevoir (cf Aux Pieds de la Gloire).
Il sait aussi garder une certaine modestie dans l’ambition. Conscient d’où il vient, de qui il est, et surtout de qui il n’est pas.
I mean, who am I kiddin’, I ain’t even in the guy’s league.
Reconnaissant d’avoir sa chance contre le champion du monde, il cherche juste à ne pas avoir l’air ridicule. Il veut exister. Quelle fierté de se prouver qu’il est peut-être capable de tenir les quinze rounds. Un marathonien.
All I wanna do is to go the distance.
Le combat de Rocky est noble. Son histoire se situe quelque part entre les grands mythes fondateurs que sont David et Goliath, l’odyssée d’Ulysse, la révélation de Suzanne Boyle dans Britain’s Got Talent, l’épopée des amateurs de Calais en coupe de France, et la poupée Barbès – Partie de rien pour arriver nulle part, c’est toi ma star.
La détermination avec laquelle il aborde ce grand rendez-vous est rafraîchissante, surtout quand on pense à tous ces ambitieux sans talent qui espèrent profiter des tremplins offerts par la télé réalité poubelle pour rester dans la lumière toute leur vie – pas une minute de plus (cf La valse des pantins).
On a gonflé l’ego de toute une génération au point où elle pense qu’aujourd’hui tout est possible. Il suffit d’une vidéo pour devenir célèbre (cf The American Meme), sans besoin de se lever à cinq heures du matin pour cela. Et puis la célébrité, c’est visiblement tout ce qui compte au final. Le talent se mesure en nombre de vues.
Rocky se révèle être une bonne surprise, qui n’a pourtant rien à voir avec le hasard. Certes il a la chance d’être repéré et d’avoir un tremplin. Une fois encore, on n’a rien sans rien. Rocky va travailler dur sous la houlette de Mickey pour montrer qu’il est plus qu’un simple sparring-partner.
Les plus grandes victoires se gagnent parfois dans la tête, sans personne, tôt le matin, en haut des marches.
Rocky a une forme de naïveté assez touchante. Il se moque de l’impossible. Fermant les yeux sur le regard des autres, il fait avec ses moyens. Il s’investit. Et c’est parce qu’il est pleinement convaincu que ce qu’il fait en vaut la peine, et peut le conduire loin, qu’il va y arriver. Il prend les choses très au sérieux. Comme le fait remarquer l’entraîneur d’Apollo :
He doesn’t know it’s a damn show, he thinks it’s a damn fight.
Ce n’est pas un spectacle pour Rocky, c’est sa vie. C’est cette résistance et cette envie qui vont faire vaciller Apollo.
Rocky dénote d’autant plus qu’il est un héros qui triomphe sans gagner, un paradoxe. On apprend pourtant beaucoup dans la défaite. On ne perd jamais comme disait Mandela (cf Invictus). C’est d’ailleurs parce que le rêve américain proposé par Rocky n’était peut-être pas assez américain qu’il a fallu proposer un nouveau combat permettant à Balboa de devenir le champion, celui qui porte la ceinture à la fin.
Par ailleurs, Rocky est complètement dans l’ordre des choses, à travers l’authenticité de sa préparation et la sueur de son front. Il gagne sans gagner car sa victoire est ailleurs. Dans sa volonté. À la fin du combat, Rocky ignore les journalistes.
C’est Adrian (Talia Shire) qu’il cherche. Sa victoire c’est Adrian. Il se moque de la ceinture. Se moque de la célébrité. Son monde est Adrian et il vient de lui prouver qu’il n’était pas un tocard.
Sous ses gros muscles et son air benet, Rocky est peut-être l’un des derniers vrais romantiques du XXe siècle.
13 commentaires