SUGAR MAN
Malik Bendjelloul, 2012
LE COMMENTAIRE
Quand on a besoin du sel ou du poivre c’est facile : on n’a qu’à demander à quelqu’un (cf « Tu peux me passer le sel et le poivre? » sur un ton autoritaire en prenant bien soin d’omettre le s’il te plait). Quand on cherche quelque chose d’introuvable, la règle c’est de regarder derrière le frigo. En général, c’est là où on le trouve. Pour retrouver la piste de l’artiste Sixto Rodriguez, il aura fallu aller jusqu’à Détroit en passant par Cape Town.
LE PITCH
Deux fans sud-africains retrouvent leur idole des années plus tard.
LE RÉSUMÉ
Sixto Rodriguez est un artiste folk qui a pour lui d’avoir pondu deux albums dans les années 60, dans l’esprit de Bob Dylan. Bien que de qualité, ses morceaux n’ont jamais réussi à passer le cap de la popularité. Incapable de sortir de l’anonymat et ne rencontrant qu’une réception critique mitigée, Sixto Rodriguez s’en retourne à la maçonnerie et aux concerts dans les bars du coin le vendredi soir.
Ce qu’il ignore c’est que de l’autre côté de la planète, ses chansons ont rencontré un gros succès populaire. En Afrique du Sud, Rodriguez est plus connu qu’Elvis Presley lui-même. Il passe en boucle à la radio. Il est une sorte de légende.
La star est tellement anonyme que les rumeurs les plus folles courent sur sa mort. Deux fans mènent alors l’enquête, ouvrent un site internet qui attirera la curiosité des filles du chanteur, surprises qu’on puisse s’intéresser à leur ringard de père.
He had this kind of magical quality that all the genuine poets and artists have: to elevate things. To get above the mundane, the prosaic. All the bullshit.
Ils remontent jusqu’à Sixto Rodriguez et prennent contact avec lui. Cela bientôt presque trente ans. Sixto Rodrigues entame la tournée triomphale qu’il méritait auprès d’un public sud-africain qui n’en demandait pas tant.
L’EXPLICATION
Sugar Man, c’est le public qui trouve son artiste.
Comme le dit l’adage…
1) Faute de grives on mange des merles.
Rodriguez a passé sa vie loin de la célébrité et ça l’a peut être sauvé. Parce que les stars américaines ont souvent mal tourné dans les années 80. On pense à Whitney Houston. En tout cas la gloire ne semble pas avoir manqué à Rodriguez. Comme quoi on peut vivre sans. Nicholas Van Orton le dit d’ailleurs dans The Game : Quand on ignore la bonne société on ignore aussi la satisfaction qu’il y a à l’éviter. En tout cas le destin aura permis à Rodriguez de ne pas voir sa tête gonfler comme un ballon. Rodriguez est loin d’être un homme parfait. Au moins il est resté un homme simple.
2) Nul n’est prophète en son pays.
Heureusement que le monde est grand et qu’il ne s’arrête pas à Forbach, sinon Patricia Kaas ne serait pas sortie de sa Moselle natale. Rodriguez savait-il seulement placer l’Afrique du Sud sur une carte. Aux États-Unis, ses paroles résonnaient sans doute moins à l’époque que dans un pays sous le joug de l’Apartheid (cf Invictus). Ce qui est sûr c’est qu’on n’est pas toujours capable d’apprécier les talents qu’on a sous la main.
Cela dépend aussi parfois de l’endroit et de l’époque. Par exemple Dany Brillant court désespérément après le passé comme un enfant essaie de remonter un escalator en sens inverse. Et Jean-Pascal était sans doute en avance sur son temps.
Cela prendra peut-être encore dix ans aux femmes pour s’apercevoir qu’il n’était pas qu’un agitateur génial ainsi qu’un redoutable baiseur.
3) Tout vient à point à qui sait attendre
Si tout est une question de timing, on peut se réjouir que Rodriguez n’ait pas décidé de sauter d’un pont (cf Two Lovers) par manque de succès. Aujourd’hui beaucoup de jeunes artistes ne parvenant pas à percer n’arrive pas à supporter l’idée d’une vie banale, avec des enfants et un chien. Ça a pourtant du bon de savoir avaler son ego parfois. Parce que le talent finit toujours par payer un jour ou l’autre.
3,5) Mieux vaut tard que jamais.
Sugar Man c’est aussi l’histoire d’une rencontre entre les fans et l’artiste qui finit enfin par se produire. Il faut avoir en tête la place qu’occupent les chanteurs dans notre quotidien grâce aux plateformes musicales. Une place si importante que lorsque certains d’entre eux disparaissent, on a l’impression de perdre un proche. Combien de cœurs la mort de Claude Nougaro a-t-elle brisé ? Alors qu’en fait on s’en moque comme de l’an 40. On peut donc imaginer la joie de ces deux fans au moment de rencontrer enfin celui qu’ils avaient cru si longtemps être un fantôme. Certes Rodriguez n’a plus vingt ans. Il est toujours debout.
4) Il ne pleut pas tous les jours.
Rodriguez, sûrement très déçu de ne pas exploser, a du traverser des moments difficiles. Il a su rester patient. Et c’est quand il attendait le moins la gloire qu’elle a fini par sonner à sa porte. Comme le dit le Papé dans Jean de Florette: Tu vois Galinette, il ne faut jamais désespérer de la providence. L’histoire de cet artiste retrouvé par son public apporte un peu de fraîcheur à l’heure où le public d’aujourd’hui est plutôt asphyxié de jeunes pseudo-artistes poussés par des marketeurs experts. Il y a quelque chose de très émouvant dans la manière avec laquelle Rodriguez s’adresse pour la première fois à son public pendant toutes ces années, sans stress apparent, comme si tout ça s’inscrivait finalement dans l’ordre des choses.
Thanks for keeping me alive!
5) Pas folle la guèpe!
Rodriguez a quand même été un peu escroqué par son label qui l’avait d’abord pris pour un con en lui demandant de se produire sous le nom de scène de Rod Riguez, puis surtout en lui dissimulant cette histoire d’Afrique du Sud. Parce qu’il est passé où le pognard ? Dans un premier temps Rodriguez s’est montré indifférent face à ce symbole de ce succès, avant finalement de poursuivre le label en justice. Parce que la comédie a assez duré.
C’est pas parce qu’on a un nom de Mexicain qu’il faut se faire prendre pour un Mariachi. Rodriguez a refusé le trop bon trop con. Donc par ici les pépettes!
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