DEAD MAN
Jim Jarmusch, 1996
LE COMMENTAIRE
La raison pour laquelle il faut laisser les gondoles à Venise est assez simple. C’est parce que ceux qui m’aiment prendront le train, comme disait François Reichenbach. Souscrire un contrat pour se déplacer dans des conditions souvent médiocres et arriver certainement en retard, à l’autre bout du monde. Un voyage qui aura le mérite d’être inoubliable.
LE PITCH
Un jeune homme découvre les mystères de l’Ouest.
LE RÉSUMÉ
William Blake (Johnny Depp) quitte Cleveland et traverse le pays pour la côte Ouest où il s’attend à travailler comme comptable pour John Dickinson (Robert Mitchum). À son arrivée à Machine, il déchante. Il n’y a rien pour lui. La place est déjà prise. Le vieux Dickinson le chasse à coups de carabine.
Now get out!
Le soir, William Blake vient en aide à une ancienne prostituée du nom de Thel (Mili Avital) bousculée par un poivrot. Ils passent la nuit ensemble. Le lendemain matin, son ex-petit ami Charlie Dickinson (Gabriel Byrne) les découvre. Il tire sur le couple, tuant Thel au coeur et blessant Blake à la poitrine. Celui-ci peut riposter et s’enfuir à cheval. Le lendemain, un Amérindien du nom de Personne (Gary Farmer) vient à son secours.
Le vieux Dickinson commissionne trois chasseurs de prime pour venger la mort de son fils : Cole Wilson (Lance Henriksen), Conway Twill (Michael Wincott) et Johnny « The Kid » Pickett (Eugene Byrd).
Personne se prend d’affection pour William Blake qu’il considère comme la réincarnation du poète du même nom.
‘Every night and every morning, some to misery are born, every morning and every night, some are born to sweet delight. Some are born to sweet delight, some are born to endless night.’
Pourtant, Personne ne porte pas l’homme blanc dans son coeur depuis qu’il a été kidnappé étant enfant et exposé dans une cage en Europe comme une bête sauvage. C’est d’ailleurs là-bas qu’il a découvert la poésie de William Blake, avant de s’échapper. À son retour, sa tribu l’a refoulé. Il est devenu Personne.
William Blake se fait tirer dessus, mortellement cette fois, par un missionnaire. Dans un village Makah, Personne négocie un canoë mortuaire dans lequel Blake fera son dernier voyage.
L’EXPLICATION
Dead Man, ce sont les origines du racisme anti-blanc.
Certain·es pensent que le racisme anti-blanc ne peut pas exister dans la mesure où le racisme est, par définition, un truc de blancs.
On repense alors à l’essai de Gobineau sur l’inégalité des races humaines. Aux croisades de l’Église contre les peuples dits ‘primitifs’. À l’intervention musclée du GIGN contre les barbares avec qui on ne peut pas discuter (cf L’Ordre et la Morale).
L’histoire montre que celles et ceux qui n’ont pas la chance d’avoir une peau de lait le paient très cher (cf 12 years a slave, Detroit, Hidden Figures, Get Out, Mississippi Burning).
Il y a encore quelques années, les blancs aimaient bien faire des blagues à l’encontre des gens dits de couleur (cf OSS 117). Encore aujourd’hui, les choses ne sont pas toujours très claires (cf Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu?), notamment aux États-Unis où on tire plus facilement sur les Afro-Américains. Même en France où un Arabe est facilement assimilé à un islamiste radical.
S’il y a un raciste, il est donc blanc. Majoritaire.
Et il ne peut pas y avoir de racisme à l’encontre du raciste. La minorité ne peut pas être taxée de racisme.
Et pourtant, on peut entendre de plus en plus de « sales blancs! », ce qui tendrai malgré tout à prouver que le racisme anti-blanc existe bien.
Certain·es autres pensent que non seulement le racisme anti-blanc existe et que ce serait une forme dissimulée d’antisémitisme. À travers les blancs, on vise le Juif.
Personne n’aime pas les blancs et le dit même haut et fort.
Stupid fucking white man.
Pas très sympa. Les blancs ont quand même fait quelques trucs bien aussi, en dehors des massacres et de la discrimination. Faut pas exagérer.
Thomas Edison a inventé l’électricité. Pratique.
Pasteur a inventé le vaccin contre la rage. Vital.
Oppenheimer a invité la bombe atomique. Mortel.
Tous ces hommes étaient blancs. Alors pourquoi Personne est-il si remonté ?
En dehors du fait que l’homme blanc l’ait capturé et exhibé partout dans le monde comme s’il était un animal de foire (cf Nightmare Alley), le conduisant à être rejeté par les siens, Personne reproche de nombreuses choses aux blancs.
Tout d’abord, d’être paresseux. William Blake aime faire la grasse matinée. Personne sait que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.
Don’t let the sun burn a hole in your ass, William Blake.
Ensuite, de ne pas tenir ses promesses comme Dickinson qui promet une embauche à William Blake par écrit et lui fait traverser le pays pour finalement le mettre à la porte sans ménagement, comme un malpropre. On ne peut pas faire confiance à un blanc.
D’être jaloux, comme Charlie Dickinson qui n’hésite pas à tuer Thel et essayer de tuer William Blake. Alors que personne n’appartient à personne d’autre qu’à soi-même. Personne le sait.
De mal se comporter avec les femmes, comme ce poivrot à la sortie du saloon.
D’être vulgaire.
De ne s’intéresser qu’à lui-même, au mépris du monde qui l’entoure.
I don’t give a shit who saw what, and who did what, or who did who.
D’être un loup pour les autres (cf Enemy).
Le blanc taxe les ‘autres’ de communautaristes et leur reproche de ne pas s’intégrer. Alors que le premier communautariste est pourtant blanc. La preuve, Personne a été trimballé dans une cage d’une ville à l’autre où chacun se ressemblait – au niveau de la couleur de peau :
I was then taken east, in a cage, I was taken to Toronto. Then Philadelphia. And then to New York, and each time I arrived at another city, somehow the white men had moved all their people there ahead of me. Each new city contained the same white people as the last, and I could not understand how a whole city of people could be moved so quickly.
Personne reproche surtout au blanc d’être bête comme ses pieds.
I prepared your canoe with cedarboughs. It’s time for you to leave now, William Blake. Time for you to go back where you came from.
You mean Cleveland?
Le blanc ne comprend rien.
That tobacco is for your voyage, William Blake.
Nobody, I don’t smoke.
Cette bêtise fait du blanc quelqu’un d’étriqué, qui voit le monde comme un territoire qu’il se doit de délimiter pour mieux le conquérir. Il pense petit.
If the doors of perception were cleansed, everything would appear to man as it is: infinite.
Personne a bien raison d’être en colère contre l’homme blanc. C’est un imbécile qui a engendré la misère des autres de par son égocentrisme. Et pourtant, la colère de Personne ne va pas lui éviter de mourir d’une balle tirée par Cole.
Parce que Personne aura été sensible à la poésie de l’homme blanc, celle de William Blake. En essayant d’aider un blanc, il finit tué par un blanc. Quelle ironie.