OPPENHEIMER
Christopher Nolan, 2023
LE COMMENTAIRE
Il arrive parfois que l’on se retrouve pris·e dans un projet dont les conséquences sont inconnues et peuvent finir par nous dépasser, voire nous embarrasser (cf The Reader). Néanmoins si l’on croit en la religion du libre-arbitre, alors chacun·e peut sauter du train en marche. Théoriquement. À défaut, il faut apprendre à vivre avec ses scrupules.
LE PITCH
Le destin tourmenté du père de la bombe atomique.
LE RÉSUMÉ
J. Robert Oppenheimer (Cillian Murphy) est un physicien de génie, reconnu pour ses travaux en mécanique quantique, en physique des particules et en physique nucléaire.
La 2e Guerre Mondiale vient d’éclater. Les Nazis font des progrès fulgurants et menacent de se doter d’une arme ultime. Le Général Américain Leslie Groves (Matt Damon) a pour mission de combler le retard afin de sauver le monde libre.
Il recrute Oppenheimer, et d’autres scientifiques de renom dont Edward Teller (Benny Safdie), Giovanni Lomanitz (Josh Zuckerman) ou encore Klaus Fuchs (Christopher Denham). Le groupe travaille à Los Alamos, en complète isolation, à la réalisation d’une arme nouvelle dont les capacités seraient démultipliées grâce à l’énergie atomique.
Le temps presse. Si Hitler s’est suicidé dans son bunker (cf La Chute), l’Empire du Japon est plus que jamais engagé dans le conflit et ne montre aucun signe de reddition. Pour en finir avec la guerre, il faut frapper fort.
Dans le désert du Nouveau Mexique, l’essai est concluant.
It worked.
Mais le pouvoir de cette nouvelle bombe est terrifiant. Oppenheimer en avait une petite idée puis s’en rend bien compte après l’explosion de Trinity.
Now I am become death, destroyer of the worlds…
L’arme est prête. Harry Truman (Gary Oldman) donne l’ordre de cibler les sites stratégiques de Nagasaki et Hiroshima. Le Japon rend les armes dans la foulée.
Une course à l’armement s’ouvre instantanément, cette fois-ci contre l’Union Soviétique que le patron de la commission pour l’énergie atomique Américaine Lewis Strauss (Robert Downey Jr.) soupçonne de travailler également sur sa bombe (cf Docteur Folamour). Peut-être même une bombe plus puissante encore…
A Russian bomb is a matter of time.
L’influence d’Oppenheimer qui milite pour le désarmement pose problème à Strauss qui souhaite intégrer le gouvernement, ainsi qu’à Teller qui voudrait prendre le pilotage du projet de bombe à hydrogène. Strauss surfe sur le McCarthysme (cf Good Night, and Good Luck) et créée une commission visant à discréditer Oppenheimer.
This won’t be a fair fight.
Oppenheimer est attaqué sur tous les fronts : son frère (Dylan Arnold), sa maitresse (Florence Pugh), ses liens avec les communistes… Il est ardemment soutenu par sa femme Katherine (Emily Blunt) qui l’incite à se battre pour son honneur.
You need to stop playing the martyr!
Il perd son accréditation, mais il reste soutenu par la communauté scientifique. David Hill (Rami Malek) témoigne en sa faveur et empêche Lewis Strauss d’entrer au gouvernement. Celui-ci enrage d’avoir l’impression de perdre sa bataille contre Oppenheimer.
I made him remembered for Trinity! not Hiroshima, not Nagasaki! He should be thanking me!
Le physicien est réhabilité. Ceux qui lui avait tourné le dos lui serre de nouveau la main. C’est à ce moment qu’Oppenheimer se rappelle des mots d’Einstein (Tom Conti):
Just remember it wont be for you, it will be for them.
Il se souvient aussi de la réponse d’Einstein après qu’il lui eut révélé sa crainte d’avoir créée l’arme de l’apocalypse:
Now it’s your turn to deal with the consequences…
L’EXPLICATION
Oppenheimer, c’est une stratégie pour soulager sa conscience.
Le monde n’est pas que guerrier, il est surtout politique. Oppenheimer s’en rend compte dès qu’il est recruté par l’armée. Il a été choisi autant pour ses compétences que pour son passé, dont le gouvernement pourra se resservir contre lui le temps venu.
They need us, until they don’t.
Dès qu’il a réussi ce qu’on lui avait demandé de faire, son bébé lui est immédiatement confisqué.
With respect, we’ll take it from here.
Le physicien n’est là que pour remplir un rôle. À ce titre, chacun tente de servir la cause, sans oublier quand même son agenda personnel. Ce qui explique comment chacun navigue et développe des stratégies pour tirer son épingle du jeu (cf Un Prophète).
This is how the game is played.
Leslie Groves a construit le Pentagone. À présent, il doit livrer la bombe au Président pour passer Général.
L’agenda d’Oppenheimer semble obscur.
Nobody knows what you believe!
En réalité, son agenda est très clair. Il veut le prix Nobel. Oppenheimer est effectivement un homme très ambitieux qui s’accommode très bien de faire la une de Time magazine. Il n’a pas beaucoup de scrupule pour arriver à ses fins (cf The Watchmen).
I wont live my life afraid to make a mistake.
Le projet Manhattan est une aubaine qui pourrait le rapprocher de son rêve. Non seulement, il s’agit de faire une découverte majeure qui va changer la face du monde, mais en plus il pourrait doubler les Nazis qui sont en train d’exterminer son peuple.
Depuis le début, Oppenheimer a donc très bien compris les enjeux. Il sait parfaitement dans quoi il s’embarque. Créer un nouveau big bang. Rien de plus beau pour un mégalomane de son espèce.
It’s not a new weapon, it’s a new world.
Même si on lui demande d’utiliser le terme de gadget plutôt que bombe, il sait que son travail peut avoir un impact terrible pour l’humanité.
What if the truth is catastrophic..?
Cela ne l’arrête pas. Mieux, il n’a aucune envie de s’arrêter en si bon chemin.
Is there a chance that by pushing this button, we may destroy the world?
Chances are near zero.
Par contre, il anticipe déjà l’après.
History will judge us…
Tout peut se retourner contre lui. Il peut devenir le père de l’apocalypse. Car le vent tourne vite dans le désert.
The world is pivoting in a new direction.
Comment ne pas se faire voler la vedette, sans passer non plus pour celui qui a piloté le programme pouvant contribuer à l’annihilation de la planète…? Et surtout comment dormir la nuit ?
Oppenheimer sait bien que dans ce monde, on ne peut compter que sur soi (cf Casino).
Who’s protecting you?
Comprenant qu’on n’obtient pas le prix Nobel en semant la mort, il a plus peur d’être jugé par l’Histoire que de perdre son accréditation.
Did you think the world would forgive you?
Comme il ne veut pas être éclipsé par Truman qui revendique d’avoir mis fin à la 2e guerre Mondiale, ni être tenu pour responsable des massacres – ou de la suite, Oppenheimer va rapidement changer de discours pour se mettre à l’abri des radiations. Juste après le premier test, il commence à prendre ses distances tel un Frankenstein n’assumant pas sa création. Affirmant que la bombe allait devenir un outil pour la paix, tout en sachant très bien que ce ne serait que le début d’une course effrénée à l’armement.
Il sert un discours patriotique attendu pour invalider toute thèse selon laquelle il pourrait être un rouge, tout en donnant l’impression que les militaires ou la commission pour l’énergie atomique lui ont dérobé son beau projet – à commencer par Strauss.
If what you say is true, we have to develop Los Alamos, not shut it down!
Une partition compliquée mais adroite. Oppenheimer endosse un rôle de martyre, qui a le don d’irriter sa femme, mais qui lui permet d’éviter de devenir un monstre. Sa stratégie fonctionne à merveilles. Il n’a fait qu’obéir aux ordres et maintenant le vilain gouvernement cherche à le condamner.
I would have done anything I was asked to.
Une posture finalement très hypocrite, mais qui fonctionne : on se rappelle toujours de lui, et pas comme d’un monstre. Sa stratégie lui a permis de soulager sa conscience (cf Memento, Insomnia, Inception).
You can convince anyone of anything, even yourself.
Pierre Desproges ironisait sur la soit disante non-responsabilité des savants.
Qualifiant Oppenheimer et Sakharov de gredins et de cuistres. Écoutez les geindre : Oh ma chère, si j’avais pu me douter qu’on utiliserait mes travaux atomiques à des fins militaires, je vous assure que j’aurais fait de la broderie plutôt que de la recherche…!!