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Pablo Larrain, 2012
LE COMMENTAIRE
On les connait les créatifs d’agences de publicité (cf 99 francs) : ces adulescents en bermuda et en tongs qui ne rêvent que de Lions à Cannes. Leurs bureaux sont truffés de gadgets et d’images érotiques supposés stimuler l’inspiration. Parfois, ils se réapproprient des idées volées dans des films ou des musées d’art moderne. La plupart du temps, ils dorment. Quand ils ne harcèlent pas sexuellement les filles insolentes et rebelles avec lesquelles ils travaillent.
LE PITCH
Le Chili se prépare à un référendum capital pour son avenir.
LE RÉSUMÉ
Après quinze ans d’une dictature féroce, le gouvernement Pinochet organise un grand référendum censé consacrer le Général devant les caméras du monde entier.
René Saavedra (Gael Garcia Bernal), directeur de création dans une agence de pub de Santiago, est approché pour prendre en main la campagne du « non ». Ancien exilé lui-même, cette cause le touche particulièrement. Il doit cependant manoeuvrer adroitement car le patron de son agence Luis Guzman (Alfredo Castro) est un fervent partisan du régime.
L’équipe du « non » présente sa campagne à René dans le but d’avoir son avis. Le résultat est anxiogène. Le publicitaire suggère d’adopter une autre approche.
Vous n’avez rien d’autre? Quelque chose de plus léger, de plus sympathique…
Camarade, vous trouvez que la situation au Chili est sympathique?
Non. Tout cela me bouleverse autant que vous. Je trouve juste que ce n’est pas vendeur.
Saavedra fait de la joie le moteur de la campagne. Il trouve un jingle entrainant. Un logo en forme d’arc en ciel. Certains membres de l’équipe du « non » trouvent que ce travail est indigne de leur combat. Ils ne veulent pas d’une pub Coca et quittent la salle.
Tu as perdu la notion des choses!
Le résultat est néanmoins imparable. Ceux qui restent approuvent le concept. Le mouvement autour du « non » commence à prendre de l’ampleur. Tandis que les partisans du « oui », emmenés par Guzman se retrouvent pris au piège d’une campagne défensive ».
Malgré les tentatives de destabilisation, l’effervescence autour du « non » grandit .Les résultats tombent. Pinochet perd. Les militaires s’en vont.
La vie reprend son cours, comme si de rien n’était. En présentation de création, Guzman fait l’éloge de son directeur de création devant les clients. Et Saavedra reprend sa rengaine :
Ce que vous allez voir s’inscrit dans le contexte social actuel. Nous pensons que le pays est prêt pour ce type de communication.
L’EXPLICATION
No, c’est toujours le même système qui gagne.
Le Général Pinochet a été mis au pouvoir par les Gringos, c’est à dire les Américains, qui ont fortement aidé le coup d’état militaire pour renverser le Président socialiste Salvador Allende, élu démocratiquement trois ans auparavant. Il s’agissait donc bien d’une dictature, mais inféodée à Washington. C’est pourquoi l’armée était puissante, ainsi que les agences de pub – bras droit du marketing pour faire tourner la machine capitaliste à plein régime. Saavedra n’est qu’un soldat du système en quelque sorte. Ce qui explique que Guzman ne comprenne pas sa décision de supporter le « non ».
Je te demande d’être cohérent. Ton fric tu l’as empoché. Tu l’as pas filé aux communistes.
Le travail du publicitaire est de vendre – sans état d’âme. Trouver ce qui fonctionne. Il sait analyser la situation avec lucidité, comme Dominic Cummings a su anticiper le Brexit.
Les gens ne pensent qu’à leur profit personnel. Ils savent que sous le socialisme c’est la misère. En revanche, votre système permet à n’importe qui d’être riche. Attention, pas ‘tout le monde’. ‘N’importe qui’. On ne peut pas perdre si ‘tout le monde’ cherche à devenir ce ‘n’importe qui’.
Avec ses recettes, le publicitaire sert parfaitement la soupe aux masses.
C’est tout ce dont notre jeunesse a besoin. Musique. Rébellion. Histoires d’amour. Mais dans l’ordre et le respect.
Pour quelle raison Saaverda accepte-t-il la campagne du « non » ? Parce que son père était un socialiste puni par le régime de Pinochet ? Parce qu’il a été lui même en exil ? Ou parce qu’il aime relever des challenges impossibles ?
À quoi bon cette campagne? L’élection est arrangée!
Pour un publicitaire, quoi de plus gratifiant que de retourner la tête des gens avec une astuce vieille comme le monde : le « non » qui veut dire « oui ». Tellement de Chiliens sont désabusés. Inverser le sens de l’histoire de ces élections par une pirouette relèverait du miracle.
Et la torture, les arrestations, les déportations, vous en pensez quoi ?
Je ne m’en fiche pas. Mais c’est le passé. La démocratie est en marche.
Ce challenge est à la hauteur de l’ego de Saavedra qui se lance et va gagner parce qu’il est plus malin. Il n’est pas dans l’idéologie. Ceux qui le sont manquent d’empathie et ne savent pas communiquer. Les t-shirt arc-en-ciel, l’hymne, les sketchs, ce « non » synonyme de « oui » à la démocratie… Autant d’outils de communication simples et efficaces qui vont permettre de gagner le coeur des électeurs. Saavedra fait son métier et le fait bien.
Soyons plus créatifs. Retournons ça à notre avantage.
La défaite de Pinochet rime avec la victoire du peuple mais aussi le triomphe d’un publicitaire habile. C’est la preuve que les projets politiques ne peuvent pas gagner s’ils ne sont pas joliment emballés dans un beau papier cadeau. Des électeurs votent pour la promesse de Make America Great Again, sans se soucier du comment. Les Anglais votent contre l’Europe mais avant tout pour le Brexit.
Mitterrand avait compris la puissance de la communication en allant chercher Jacques Séguéla, notre meilleur vendeur de tapis. En parlant de personnes sans scrupule, celui qui a soutenu à la fois Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy a déclaré : À l’exception des extrêmes pour lesquels j’ai toujours refusé de travailler, je me moque pas mal des idées de ceux que je conseille. Il s’est aussi distingué par sa sortie sur les Rolex à moins de cinquante ans. C’était brilliant.
Quelque part, les États-Unis finissent par renverser grâce à la publicité un candidat qu’ils avaient mis en place par la force. Pinochet est remplacé par Patricio Aylwin, un candidat démocrate-Chrétien de centre droit qui mena une politique économique largement semblable à celle du régime militaire, tout en donnant quand même des garanties sociales aux plus démunis.
Changer, sans rien changer.
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