JE NE SUIS PAS UNE SALOPE, JE SUIS UNE JOURNALISTE
Marie Portolano, Guillaume Priou, 2021
LE COMMENTAIRE
On dit parfois que ce n’est que du sport, comme pour relativiser. Parce qu’il y a des choses plus graves dans la vie. Et pourtant, on ne peut pas tout relativiser. Qu’on le veuille ou non, le sport est aussi un reflet de notre société avec tout ce qu’elle compte de dérèglements : corruption, tricherie (cf Icarus, Stop at nothing), violence, abus, racisme, harcèlement, homophobie, misogynie… Dans les stades, comme dans les rédactions.
LE PITCH
Une journaliste de sport raconte la face cachée de son métier.
LE RÉSUMÉ
Marie Portolano, journaliste au service des sports de Canal+, échange avec ses collègues. Nathalie Ianneta, Estelle Denis, Clémentine Sarlat, Charlotte Namura, Lucie Bacon, Mary Patrux, Vanessa Le Moigne, Margot Dumont, Isabelle Ithurburu, Laurie Delhostal, Cécile Grès, Amaia Cazenave, Tiffany Henne, Frédérique Galametz, Isabelle Moreau prennent la parole.
Elles évoquent comment elles ont réussi, non sans mal, à percer dans un milieu à la culture patriarcale (cf Et Dieu créa la Femme). À se faire une place. Comment elles contribuent modestement à changer les choses.
Elles rendent d’abord hommage aux pionnières comme Marianne Mako, qui a du subir les moqueries incessantes de Thierry Roland – la légende de Telefoot.
L’une après l’autre, elles parlent des remarques désobligeantes qu’elles ont du essuyer de la part de leurs collègues masculins.
T’as été prise parce que t’es une fille.
Les traitements dégradants dont elles sont victimes.
Une fois, j’étais pas à l’antenne, j’ai été remplacée par une plante verte.
Les insultes sur les réseaux sociaux, de la part d’inconnus haineux.
J’ai envie de lui mettre profond à cette salope. (…) Elle a trop mangé cette pute. (…) Mais quelle conne, heureusement qu’elle est bandante. (…) Elle est prête à se faire prendre par toute l’équipe cette chienne. (…) Connasse, va les sucer dans le vestiaire. (…) Retourne dans ta cuisine salope.
Se faire cataloguer dans les médias, comme des objets sexuellement disponibles.
L’atout charme.
Les harcèlements scandaleux qu’elles subissent à travers des messages téléphoniques au milieu de la nuit, des séquestrations dans un bureau, des menaces…
Le danger vient de l’intérieur quand t’es journaliste.
La honte de devoir se taire. Puis la force de finalement parler et la colère de devoir affronter des hommes qui minimisent toujours leurs actes.
Si on peut plus rien dire…
Ne plus se cacher.
Il faut servir de modèles à celles qui vont arriver.
Se rendre compte de ce qui n’est pas normal. Refuser. Faire de la pédagogie (cf 20th Century Women). Célébrer le succès de celles qui réussissent, tout en restant humbles. S’accrocher. Continuer de travailler plus dur que les autres. Et faire preuve d’optimisme car le monde change.
Tout s’ouvre…
L’EXPLICATION
Je ne suis pas une salope je suis une journaliste, c’est une mise au point nécessaire.
Changer les mentalités prend du temps. Transformer une culture est comme s’attaquer à une montagne. Les premiers à s’élancer se prennent souvent le mur (cf Le Stratège), comme Marianne Mako qui fut l’une des premières journalistes sportives à essuyer les plâtres.
À force de patience et de persévérance, on parvient néanmoins à faire bouger les lignes. Renverser le cour du jeu. Prendre la profondeur.
Pour y parvenir, il est nécessaire de commencer par dire ‘non’ (cf No).
Marie Portolano permet aux journalistes de poser une question :
Pourquoi les hommes ont cette impunité et qu’ils se sentent le droit de dire ce genre de choses ?
Elles remettent en cause le fonctionnement d’un système machiste incapable de faire sa propre auto-critique. Certes le monde du journalisme sportif Français a été un univers quasiment exclusivement masculin. Une femme doit jouer des coudes pour se faire une place dans cet environnement sous contrôle autoritaire du boy’s club.
Comme l’a fait remarquer Thierry Gilardi à Nathalie Ianneta à l’époque :
C’est injuste mais c’est comme ça : il va falloir que tu sois deux fois meilleure que nous.
Une mise au point était nécessaire pour se rendre compte qu’il n’est absolument pas normal que ces journalistes sportives aient du endurer ce bizutage honteux, si longtemps. Les hommes se sont moqués en toute impunité, ont harcelé à de trop nombreuses reprises et ont bridé leurs collègues féminines.
À force d’être interrompue, je me suis tue.
Cette mise au point était d’autant plus nécessaire que certains ne voient toujours pas le problème aujourd’hui, comme Pierre Menès censuré au montage mais qui fait parler de lui malgré tout. Il fait presque de la peine. Celui qui ne se souvient plus d’avoir soulevé la jupe de Marie Portolano s’emmêle les pinceaux.
En 2021, il ne voit pas en quoi il n’aurait pas le droit de chambrer une fille sous prétexte qu’elle est une fille. Ce personnage médiatique est devenu anachronique (cf Austin Powers), donnant l’impression de s’être égaré dans le passé. Coincé quelque part dans le XXe siècle.
Une mise au point peu évidente dans une société où le seul film qui s’intitule Harcèlement traite d’un homme abusé par… une femme – le monde à l’envers! Peu évidente dans une société Française où l’on a plutôt pour habitude de ne pas toucher aux monuments comme Luc Besson, Gérard Depardieu ou Thierry Roland en l’occurrence.
De ce point de vue, Patrick Poivre d’Arvor fait un peu figure d’exception.
La mise au point sert à dresser un constat. Les femmes sont encore trop peu nombreuses aux postes de direction.
On manque encore de femmes.
La mise au point enfin s’adresse aux futures journalistes, pour les aider à dépasser la blessure.
Partager des conseils utiles afin de performer dans un milieu très exigeant : Comment rester soi, tout en dépassant son genre (cf Working Girl) ?
Bosse. Ce qui va compter, c’est ton talent. (…) Il faut y aller, tout en restant à sa place… mais pas à la place de la femme!
Un exercice de style assez subtil que la prochaine génération est en passe de relever.
Une mise au point habile, sans rancoeur ni amalgame. Remarquablement fair-play. La plus belle des réactions. Aucun carton rouge n’est distribué. Espérons que les principaux concernés sachent se reconnaître, se faire tout petits et trouver la force de changer. Après tout, il n’est jamais trop tard.
L’exemple proposé par Marie Portolano et ses consoeurs fait davantage que libérer la parole ou montrer la voie, il ouvre les fenêtres. Ce milieu en avait cruellement besoin. Ces journalistes participent à la réinvention de leur profession (cf Les figures de l’ombre), ce qui permettra sans doute de porter un regard nouveau sur le sport.
Toujours plus passionnant.
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