LA STRATÉGIE DE L’ÉCHEC
Dominique Farrugia, 2001
LE COMMENTAIRE
Lors de la 39ème Cérémonie de remise annuelle des diplômes de LaGuardia Community College, la Directrice exécutive d’ONU Femmes Michelle Bachelet a déclaré que le XXIe siècle serait celui de la femme. Cela passe nécessairement par la parité au travail. Sentant les prémices d’une possible révolution professionnelle, les hommes sont déjà entrés en résistance.
LE PITCH
Quelques règles de base pour bien rater sa carrière en entreprise.
LE RÉSUMÉ
Le narrateur (Dominique Farrugia) partage des principes clés afin de connaître l’échec au travail en commençant par ne pas postuler aux bons métiers. Luc (Jean-Paul Rouve) et Luc (Maurice Barthélémy) se prêtent à l’expérience pour illustrer ces précieux conseils.
Ne réagissez jamais positivement.
Pour se planter, rien de tel qu’une mauvaise hygiène de vie comme boire un grand verre d’huile d’arachide chaque jour.
Un cycle complet sera une série de 100.
Plus efficace encore : se prendre des coups.
Aïe! Ça fait mal…
Afin d’éviter toute possibilité de succès, il est important de ne surtout pas saisir sa chance si l’on cherche à rentrer en contact avec vous. Par exemple, Luc insulte copieusement Sylvie (Judith El Zein), sans raison, alors que celle-ci cherche à le joindre.
Allo?
Sale petite pute!!
Rater son entretien d’embauche reste encore le plus sûr moyen de ne pas réussir. À chaque question, Luc répond à côté de la plaque.
Touche à ton cul. Sens ton doigt.
Malgré toutes ces recommendations, vous pouvez encore réussir. La bonne nouvelle est que l’échec est possible à chaque instant. Lors de son premier jour, Luc répond à Monsieur Golden (Kad Merad) qu’il est fatigué, qu’il ne se sent pas bien et qu’il va rentrer chez lui. Parfait.
Agacer ses nouveaux collègues en prenant son temps à la machine à café. Ne pas ranger son bureau. Mal respirer. Ne pas savoir déléguer.
Réfléchissez bien avant de choisir quelqu’un. Orientez votre choix sur une personne psychologiquement faible, facile à déstabiliser, qui pleure souvent, qui sort à peine d’une dépression.
Envenimer une situation conflictuelle est une excellente manière d’échouer.
Enculé, c’est toi l’enculé. Elle c’est une salope. Et moi j’vais t’tuer! J’vais t’tuer, j’vais t’tuer, j’vais t’tuer, j’vais t’tuer, j’vais t’tuer, j’vais t’tuer, j’vais te tuer, j’vais t’tuer, j’vais t’tuer, Aaaaaaahh, j’vais t’tuer, j’vais t’tuer, j’vais t’tuer, ah j’vais t’tuer!!!
Si la réussite vous court encore après, vous pouvez toujours démissionner à tout moment, en prenant soin de tenir des propos incohérents et offensants à l’encontre de votre manager direct.
C’est fini.
Vous êtes désormais prêt à toucher le fond.
L’EXPLICATION
La Stratégie de l’Échec, c’est la faute à Luc.
Réussir au travail n’a jamais semblé aussi important qu’aujourd’hui. Même si on parle d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie professionnelle, il faut absolument s’épanouir sur le plan professionnel (cf La La Land). Le travail est plus que la santé, c’est la vie.
On passe ses soirées à regarder des séries comme The Office ou Caméra Café pour rire un peu de ce qu’on vit la journée. En terrasse, on ne discute pas de théories philosophiques mais plutôt des potins du boulot. Sur les réseaux sociaux prévus à cet effet, les cadres d’entreprises redoublent d’ardeur pour faire leur auto-promotion. Ils passent leur temps à parler de leur fierté ou à remercier les équipes pour avoir accompli tel ou tel projet.
Les coaching en entreprise se multiplient pour fournir aux employés les clés de succès dont ils ont besoin pour être des héros du bureau. Les revues professionnelles regorgent de bonnes idées pour les parfaits bons élèves avec la bonne attitude, et les bonnes formules.
Obsédés par la réussite.
Terrorisés par l’échec.
Ces talents, comme on les appelle aussi, cherchent à cocher toutes les cases. Malgré tout, ils se rendent bien compte que d’autres profitent des promotions. Pas eux. C’est bizarre. Cela leur parait injuste. Mais c’est ainsi. Ils rentrent chez eux frustrés, sans explication.
Ce qu’ils n’ont pas compris est que le secret de ceux qui réussissent réside précisément dans le fait d’avancer à contre-courant. Les employés qui progressent sont ceux qui ne pensent tout simplement pas comme la majorité. En regardant l’échec les yeux dans les yeux, en le provoquant même parfois, ces employés finissent par n’avoir peur de rien.
Je suis prêt à tout pour échouer.
Alors qu’ils semblent faire tout de travers, on finit par leur dire merci. Ils se voient même récompensés – comme si quelque chose ne tournait pas rond dans le monde bien policé du corporatisme.
Les employés qui emploient la stratégie de l’échec s’expriment dans un mode peu académique, mais qui fonctionne.
Je sais cette phrase n’est pas très claire, peu importe.
Car en réalité, les codes de l’entreprises sont un piège dans lequel tombent trop d’employés modèles. Peu importe que les choses soient droites ou fassent du sens effectivement. À la fin de la journée, l’entreprise est là pour faire des bénéfices et verser des dividendes, pas distribuer des médailles (cf Monsieur Schmidt). Pourquoi les employés du mois encadrés dans les fast food ne sont jamais les patrons? Et comment expliquer que les placards soient remplis de cadres compétents et consciencieux?
Les employés qui réussissent sont ceux qui cultivent la stratégie de l’échec.
L’échec est une philosophie. (…) Il passe par la méchanceté mais aussi l’ignorance. (…) C’est ma femme : je ne lui parle pas.
Des personnes sans scrupule, qui n’ont rien à perdre. Elles séduisent en entretien car leur posture dénote. Ils se moquent du regard d’autrui. Leurs réactions sont imprévisibles. En réunion, un comportement injurieux leur permet souvent de prendre l’ascendant. Elles font régner la terreur aux ascenseurs.
Enculé, est-ce que c’est toi qui a dit à Muffin que j’ai oublié de rendre le rapport du mois d’août?
Beaucoup d’étudiants en grandes écoles rêvent de faire carrière en imaginant qu’il existe un chemin tout tracé. Ils passent leur temps à chercher les bonnes réponses plutôt que de potasser leur théorie du chaos. Qu’ils arrêtent de se prendre au sérieux. Cela leur permettrait de ne pas finir comme leurs aïeux ridicules, en burn out – désormais reconnu comme maladie professionnelle.
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