QUAI D’ORSAY
Bertrand Tavernier, 2013
LE COMMENTAIRE
Dans le noble art du football, on a coutume de parler de la solitude du gardien de but – un joueur qui se trouve hors champ. On devrait parler un peu plus de la solitude du politique, alors qu’il se trouve pourtant au coeur de l’action et bien qu’il soit plutôt très entouré.
LE PITCH
Un jeune diplômé rejoint les équipes du Ministre des Affaires étrangères.
LE RÉSUMÉ
Arthur Vlaminck (Raphaël Personnaz) intègre le cabinet d’Alexandre Taillard de Worms (Thierry Lhermitte) au quai d’Orsay. Son rôle consiste à écrire les discours du Ministre.
Je vous confie ce qu’il y a de plus important : le langage!
Vlaminck prend ses marques auprès des membres du cabinet:
- Claude Maupas (Niels Arestrup): Directeur de cabinet
- Stéphane Cahut (Bruno Raffaelli): Moyen-Orient
- Valérie Dumontheil (Julie Gayet): Afrique
- Sylvain Marquet (Thomas Chabrol): Europe
- Guillaume Van Effentem (Thierry Frémont): Amérique et Asie
- Bertrand Castela (Jean-Marc Roulot): Directeur stratégique
- Nathalie (Sonia Rolland): Conseillère parlementaire
Le Ministre est volcanique. Une sorte de tornade, très difficile à suivre.
J’ai besoin d’un commando!
Claude le flegmatique réussit toujours à se faire entendre d’Alexandre.
On va essayer de régler le problème calmement…
Pendant que les conseillers se tirent dans les pattes (cf L’exercice de l’Etat), Vlaminck trouve péniblement ses repères au milieu de ce panier de crabes. Sa mission est occulte. Il n’a pas de bureau. Ses discours ne vont jamais.
Il faut tout reprendre de A à Z, il faut structurer : responsabilité, unité, efficacité!
Travail nuit et jour. Marina (Anaïs Demoustier), sa copine, fait le dos rond.
Entre rencontre avec le prix Nobel de Littérature (Jane Birkin), attentat terroriste, coup d’état en Afrique, pas le temps de s’ennuyer.
Il faut vous mettre au boulot mon vieux!
Ni le temps de rien en vérité.
Un jour le Président m’a dit quelque chose de fondamental : Avec les vies qu’on mène, il faut faire les choses quand elles viennent. Dès que vous avez le temps de bouffer : vous bouffez, dès que vous avez le temps de baiser : vous baisez, dès que vous avez le temps de pisser : vous pissez. Point, à la ligne.
Vlaminck comprend vite que son rôle n’est pas vraiment de ciseler des discours pointus qui seront de toute façon retouchés par des poètes (Jean-Paul Farré) ou des écrivains (Didier Bezace), mais plutôt de suivre la cadence – sans tomber du TGV en marche.
Comment on descend du grand huit?
Accompagner le Ministre dans sa croisade.
Je vais dans les flammes, je deviens la flamme… notez Arthur! (…) Les gars, c’est maintenant ou jamais : quand faut balancer une grenade, faut balancer une grenade!
Comme lors de ce discours au sommet de l’OTAN au cours duquel le Ministre reçoit les applaudissements de l’assistance.
‘Il croit en notre capacité de construire ensemble, un monde meilleur. Je vous remercie’.
L’EXPLICATION
Quai des Orfèvres, c’est l’importance du langage.
Ces dernières années, les hommes et femmes politiques ont fait beaucoup d’effort pour désacraliser la fonction. En commençant par se rendre sur des plateaux d’émission grand public à la TV jusqu’à improviser une session avec des YouTubeurs depuis le Palais de l’Elysée. Tout cela dans le but de réconcilier la politique avec le peuple, et en profiter pour draguer l’électorat de demain de manière éhontée en parlant son langage sur ses plateformes sociales.
Ce faisant, les hommes et femmes politiques ont fait du mal à la fonction.
Ces efforts ne portent d’ailleurs pas leurs fruits puisque l’abstention des jeunes reste massive. Beaucoup s’orientent même vers les extrêmes (cf La Cravate). Vlaminck dont les études le prédestine à cette carrière fait part de ses doutes pour la suite…
De toute façon, je suis même pas sûr d’avoir envie de travailler pour ce mec.
Les personnalités politiques nous paraissent de moins en moins crédibles – alors que les programmes satiriques ont pourtant disparu des écrans. Paradoxal. Plus grave que de se moquer gentiment d’eux, nous n’en attendons plus rien.
La sphère politique est critiquée car elle est immanquablement composée des mêmes personnes, sortant des mêmes écoles. Tout le monde se connait. Quand on vient du sérail, peu importe les convictions. Tou·tes pourris ?
Nous sommes sur un bateau qui coule. Sur un bateau qui coule, elle est où la droite, elle est où la gauche ?
En se rapprochant de nous, les politiques donnent l’illusion de croire que chacun pourrait prendre cette responsabilité. Pendant des années, les Français aimaient critiquer les choix de l’entraineur de l’équipe de France de foot comme s’ils pouvaient faire aussi bien, voire mieux. Aujourd’hui, n’importe qui se permet de critiquer la parole politique. Qui souhaiterait prendre la place de Taillard de Worms ?
Un OVNI qui voue une passion pour Héraclite, sans cacher son addiction au stabilo. Ses envolées lyriques sur les abeilles qui butinent plusieurs fleurs font sourire. Il semble perché. Personne ne comprend ses grandes tirades.
La colonne vertébrale de l’action, c’est l’urgence!
Il critique parfois ouvertement le système.
Métier de con!
Ses éruptions ne doivent pas faire oublier qu’il reste sous un stress intense.
Autour de lui, on préfère le boucler du cynisme pour se protéger. Les conseillers finissent par se convaincre que ce qu’ils font ne sert à rien.
Ce qui compte c’est pas le discours qu’on va faire à la tribune, c’est ce qu’on va faire dans les coulisses!
Impressionnant là, toute cette énergie pour un discours que personne ne va écouter…
Les uns et les autres se concentrent sur eux-mêmes. Vlaminck s’inquiète pour lui, comme beaucoup de conseillers ambitieux (cf Les marches du pouvoir). Il perd des forces dans les petites querelles du quotidien pour se manger le nez.
Au contraire, Taillard de Worms veut continuer d’y croire.
Maupas se bat également pour maintenir l’équilibre international. Il a compris que ce que veut dire le sens du sacrifice. L’intérêt de la nation prime sur les personnes (cf Raison d’état).
Il faut qu’on élève le débat. (…) Vous valez mieux que ça.
Ces politiques sont un cran au dessus. Ils comprennent les enjeux essentiels.
Connaissant notre Ministre, à ta place je ne m’embarrasserais pas avec les aspects techniques.
Taillard de Worms sait que le langage est un exercice de style qui a une valeur (cf Three Billboards). Nous ne sommes que des messagers. Les discours comptent.
On a pris date!
Taillard de Worms est excentrique. Il n’est reste pas moins respectable car il n’hésite pas à aller en première ligne. Valérie Dumontheil le considère comme un sorcier Africain parce qu’il est porté par une vision. Quelque chose qui le dépasse.
Il redonne ainsi ses lettres de noblesse à la communication. On ne gouverne pas par le cynisme. Heureusement.
Ces hommes et ces femmes paraissent parfois tyranniques (cf Un pays qui se tient sage) ou guignolesques. Ce sont pourtant eux qui garantissent l’équilibre des forces.
Un commentaire