JULIE EN DOUZE CHAPITRES
Joachim Trier, 2021
LE COMMENTAIRE
Les femmes qui font des bébés toutes seules courent toute la journée, de décembre en été. En tout cas, c’est ce qu’affirme la théorie de Jean-Jacques Goldman. Il est peut-être bien beau d’assumer sa féminité, encore faut-il savoir après quoi on court!
LE PITCH
Une jeune Norvégienne s’interroge sur le sens de sa vie.
LE RÉSUMÉ
- Prologue
Julie (Renate Reinsve) s’oriente vers des études de psycho puis se rabat finalement sur la photographie. Elle fait la rencontre d’Aksel Willman (Anders Danielsen Lie) lors d’une soirée. Malgré leur différence d’âge, elle emménage avec ce dessinateur de BD à succès.
- 1 – Les autres
Les amis d’Aksel sont aussi plus vieux qu’elle, et clairement plus chiants.
Être jeune aujourd’hui c’est différent. (…) Tu as envie de faire quoi comme métier?
Très vite se pose la question des enfants. Julie ne ferme pas la porte.
Je veux un enfant mais pas tout de suite.
- 2 – Infidélité
Julie n’est déjà plus sur la même longueur d’onde qu’Aksel. Elle s’éclipse lors d’un vernissage pour s’incruster dans une autre soirée où elle y flirte avec Eivind (Herbert Nordrum). Lui ne veut pas d’enfant. Tous les deux se cherchent jusqu’au petit matin, sans dépasser la limite.
- 3 – Fellation à l’ère de #metoo
Julie jette sur papier un texte sur la fellation. D’abord un peu bousculé, Aksel lui conseille de le mettre en ligne.
- 4 – Une famille à soi
Julie rend visite à son père, vu qu’il ne s’est pas déplacé pour ses trente ans. Ce qui devrait être une raison suffisante pour couper les ponts selon Aksel, et surtout fonder sa propre famille. Le bougre insiste.
- 5 – Une question de timing
Julie travaille dans une librairie. Elle y aperçoit Eivind, en compagnie de sa petite-amie. Le jeune homme trouve une excuse pour retourner à la caisse et glisser à Julie qu’il a très envie de la revoir.
Un beau matin, Aksel se fait un café. Julie allume la lumière. Le temps s’arrête. Elle s’imagine rejoindre Eivind. À son retour à l’appartement, la vie reprend. Julie n’en veut plus. Alors elle rompt avec Aksel qui lui demande si elle sait ce qu’elle fait.
- 6 – Le plateau du Finnmark
Eivind et Sunniva (Maria Grazia Di Meo) partent camper. Elle a une révélation : elle veut devenir prof de yoga. Changement de vie radical. Ils ne vont pas tarder à se séparer.
- 7 – Un nouveau chapitre
Julie emménage avec Eivind.
- 8 – Le cirque narcissique de Julie (cf Sick of Myself)
Ils prennent des champis.
- 9 – Le lynx bousille Noël
À la salle de gym, Julie s’arrête un moment pour regarder Aksel en train de s’enliser sur un plateau TV où la journaliste l’accuse de sexisme.
- 10 – Le malaise dans la culture
Eivind tombe par hasard sur son texte à propos de la fellation et la félicite. Plutôt que de recevoir le compliment, Julie reproche à Eivind de ne pas lui offrir de perspective.
J’ai envie d’autre chose!
- 11 – Positif
Julie a appris qu’Aksel avait développé un cancer. Elle lui rend visite à l’hôpital. Il lui confie être désespéré de ne plus avoir de futur. Elle lui avoue être enceinte mais ne pas savoir si elle veut garder l’enfant. Sa séparation avec Eivind est actée, le temps qu’elle se décide.
- 12 – Tout a une fin
Julie accompagne Aksel dans ses derniers instants. Le soir de sa mort, elle fait une fausse couche sous sa douche.
- Epilogue
Julie travaille désormais comme photographe sur un tournage. Elle fait des retouches sur photoshop en essayant de ne pas trop penser à Eivind qui a eu un enfant, avec une autre.
L’EXPLICATION
Julie en douze chapitres, c’est plus vrai que nature.
Depuis Gutenberg et surtout les frères Lumières, nous avons pris pour habitude de nous réfugier dans la fiction pour donner du relief à nos vies. On se rapproche du mythe, comme si le réel n’avait pas lieu. Nous nous assimilons à des personnages parce que nous trouvons bien plus facile de s’épanouir dans le fantasme (cf Ready Player One).
Comme pris dans un cercle vicieux, nous devenons accrocs à ces histoires exagérées. Dans l’incapacité de nous débarrasser de nos filtres et de redescendre dans le réel, où la vie est plus normale. Un scenario dans lequel nos faiblesses ne sont même pas suffisamment honteuses pour faire la une des journaux. Bien assez d’ego et jamais assez d’humour. Mesquinerie, jalousies, prises de têtes. Tuer le temps avec des ragots, entre petits matchs de foot ou petites sorties entre copines.
Julie semble vouloir devenir le personnage principal de son propre film, elle aussi (cf Frances Ha).
J’ai l’impression d’être la spectatrice de ma vie.
En vérité, il n’en est rien. Julie veut sortir du rêve pour rentrer dans le dur. Ne plus être une étudiante qui se cherche sur les bancs de l’université, bercée par ses illusions.
Quand la vraie vie allait elle commencer ?
Julie se fait bien un film en douze chapitres. Documentaire. Plus vrai que nature. Derrière son écran, elle nous propose un angoissant reflet de notre propre vie avec tout ce qu’elle comporte d’envies.
Où est la limite ?
Une existence tourmentée par de nombreuses hésitations concernant son futur – comme si cela avait une quelconque importance.
Héroïne à notre image, Julie n’a pas le courage de se disputer avec son père. Timide lorsqu’il s’agit de lire son histoire de fellation à sa mère. Pourtant, elle a envie que son talent soit reconnu, donc elle publie sa prose quand même.
Si elle a mis un point d’honneur à dire leurs quatre vérités aux garçons dans sa jeunesse, Julie tatonne dans ses relations (cf Les Olympiades). Elle passe encore trop de nuits avec Aksel bien qu’elle n’aime plus depuis longtemps. Ne pouvant se résoudre à le quitter sans raison. Manquant de courage au moment de lui dire qu’elle a effectivement rencontré quelqu’un d’autre.
Chercher un peu de poésie mais se séparer pitoyablement.
Les soirées finissent par l’ennuyer. Tout l’ennuie.
Douze chapitres, c’est long.
Elle n’aime plus Aksel, mais elle l’aime encore. Suffisamment pour saborder sa relation avec Eivind, coupable d’une légèreté qui fut pourtant appréciée quand Julie en avait besoin.
Car Julie change d’avis. Elle aimerait avoir des certitudes. S’en veut. C’est souvent de la faute des autres et quand même un peu de la sienne aussi. On trouve toujours des motifs pour se dire que cela ne va pas. Ni trop, ni trop peu. Juste assez pour nourrir plein de regrets.
J’ai perdu tellement de temps a craindre que ça se passe mal.
Elle donne l’impression de lutter désespérément contre le courant pour finir exactement au même endroit.
J’ai plus personne à qui parler.
Un peu de solitude, rien de tel pour mieux se retrouver.
Julie n’est pas la pire personne du monde. Elle est simplement comme tout le monde.
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